CLXXXIV. Bienvenue chez moi

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CLXXXIV. Bienvenue chez moi*

Il était plus d’une heure du matin, et à peine Louka fut-il sorti, Lisandru dans les bras, pour aller le présenter au comité d’accueil interculturel qui l’attendait de pied ferme en salle d’attente, que je m’endormis sans demander mon reste.

Ils revinrent tous les deux un peu plus tard. Le petit sommeillait entre les mains toutes émotionnées du grand, ils étaient si doux, si beaux tous les deux !

« - Je suis désolé, Romy, je ne voulais pas te réveiller…

- Ce n’est rien. Dis-moi plutôt comment ça s’est passé !

- Bien. Ils t’embrassent tous et ils viendront te voir demain.

- What ? C’est tout ?

- Well… Tu veux vraiment les détails ? Tu as l’air crevée…

- Raconte-moi !

- Eh bien… Il était une fois la salle d’attente d’un hôpital parisien dans laquelle patientent depuis plusieurs heures une grande réalisatrice italienne, une jeune grand-mère marocaine et un papy un peu rêveur venu du Far West.

- Quelle drôle de famille, quand même…

- Indeed. Donc je suis arrivé avec le petit dans les bras, Chiara a plus ou moins crié, Malika a eu les yeux éblouissants de larmes, et je suis resté planté entre les deux… Je leur ai dit de venir vers moi, I mean vers nous, parce que je ne pouvais pas choisir entre elles. Elles se sont approchées et ont regardé Lisandru, elles avaient des sourires aussi larges que leurs larmes ! Ensuite Chiara m’a poussé doucement vers Malika en me disant : “Elle d’abord, Louka mio”.

- Ah ! Je la reconnais bien là ! Possessive, mais généreuse.

- …

- Et après ?

- Mama a pris le petit dans ses bras, elle était très émue, elle le regardait en lui murmurant plein de jolies choses en arabe… Après deux minutes, elle l’a donné à Chiara, tout doucement. Là évidemment, changement de rythme, Chiara s’est mise à déclamer en italien, et même en sarde je crois, parce que par moments je ne comprenais pas bien ce qu’elle disait. Bref, c’était les Oscars à la maternité !

- Je vois ça d’ici…

- Pendant ce temps-là, Mama est venue vers moi… Elle m’a regardé très fort, elle semblait… Je ne sais pas, presque douchée d’émotion. Elle a posé sa main sur mon bras, sur ma joue, elle a vissé son regard au mien et puis elle m’a pris dans ses bras avec beaucoup de force, en me disant à l’oreille qu’elle était heureuse, qu’elle était fière, qu’en devenant son fils je lui avais offert toute la joie du monde, que sa vie aurait désormais deux soleils et qu’elle regrettait que mon Papa ne soit pas là pour partager cela avec nous.

- Oh…

- Ensuite, j’ai récupéré Lisandru et je l’ai porté à ton père qui était resté dans son coin tout timidement. Il l’a serré contre lui, m’a demandé de tes nouvelles, a dit en anglais que le petit était beau et qu’il était si content d’être GrandPa… You see, notre fils est né depuis une heure et il a déjà été bercé dans quatre langues différentes, j’espère que ça ne le rendra pas fou.

- Mais non ! J’ai hâte de voir mon Daddy en version papy, en tout cas.

- Il sera parfait.

- Oh ! Oui, je n’en doute pas !

- lls viendront tous te voir demain : ton papa d’abord, puis Chiara et Mama vers 16h. Ingrid et Pietro passeront après l’école, avec les petits, mais ils ne resteront pas longtemps pour ne pas te fatiguer.

- Ah ! Je me réjouis de les voir… Mais j’espère que Lucia ne sera pas trop jalouse.

- Non, ça va aller… Mais si on avait eu une petite fille, là, je ne dis pas !

- Ohlala oui, si un jour elle n’est plus ta seule et unique petite chérie, ça va être dur pour elle.

- That’s right ; but…

- But what ?

- Je crois quand même qu’elle a compris que j’avais une autre “petite chérie”, as you say.

- Mila ?

- Non, dummy. Je parle de toi… »

Louka me sourit d’un air aussi incrédule qu’indulgent, s’extasia encore du coin de l'œil sur notre bébé endormi, et vint me rejoindre dans le lit. J’étais épuisée par mon accouchement et lui par ses émotions, aussi nous collâmes-nous l’un contre l’autre (l’option lit king size n’étant hélas pas proposée par notre maternité…) en fermant les yeux.

Le silence était profond, plein d’une force étonnante, le petit était immobile dans son berceau, Louka me tenait dans ses bras et le sommeil s’apprêtait à s’emparer doucement de moi. Quand je le sentis frissonner tout contre ma peau.

« - Louka ? Are you alright ?

- Ce n’est rien. Ça va passer.

- Mais… Tu trembles ?

- …

- Louka, tout va bien. Lisandru va bien. Moi aussi, je vais bien.

- Je sais. C’est juste que… Maintenant, je n’ai plus le droit de mourir.

- You know what ? Si tu meurs… Je te tue. D’accord ? Alors vis, bordel. Embrasse-moi. Et arrête de penser à la mort. Aujourd’hui, c’est la vie qui a gagné. »

Je le sentis sourire… Et resserrer son étreinte avant de sombrer, quelques minutes plus tard, dans un sommeil fragile.

*Bienvenue chez moi, de Florent Pagny ; in Bienvenue chez moi, 1995.

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