CLXXXII. Singin’ in the rain

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CLXXXII. Singin’ in the rain*


D-Day


C’était un matin qui ressemblait à tout autre matin d’automne. Il faisait gris, l’appartement était plongé dans une pénombre épaisse. J’étais positionnée en chien-de-fusil, mes jambes contre celles de Louka qui était allongé sur le dos. Le silence était doux, chaleureux malgré la pluie qui résonnait sur les carreaux. Nous étions perdus dans nos pensées comme des musiciens sans partition ou des marins sans carte SHOM. Pourtant ce jour-là, la vie semblait moelleuse et chaleureuse comme un apple pie.


« - So, miss ! Any plans for today ?

- Pfffff… Quelle question ! Normalement j’ai rendez-vous avec ton enfant… Ou pas, we’ll see. En attendant, il faut que je vérifie que mon sac est prêt pour la maternité.

- Le sac que you have checked quatre fois hier, deux fois avant-hier, et environ une fois par jour ces cinq dernières semaines ?

- Absolutely. Mais ce n’est pas gentil de te moquer de la mère de ton fils.

- Sounds so strange… “La mère de mon fils.”

- …

- Romy, tu te souviens, le soir de mon anniversaire, quand tu m’avais dit que tu avais envie d’avoir un enfant ?

- Et que tu m’avais répondu toutes ces horreurs ? Oui, je m’en souviens.

- Well... Je t’avais dit que si tu voulais un bébé, tu n’avais qu'à le faire avec quelqu’un d’autre.

- Je me souviens parfaitement, Louka. Mais je n’ai pas très envie de le réentendre, actually.

- I know, but… Je voulais te dire que non seulement c’était bête et méchant, de te dire ça, mais en plus…

- What ?

- Eh ben, je ne l’aurais pas supporté ! Que tu fasses un enfant avec quelqu’un d’autre.

(Il se tourna vers moi, calant son torse tout contre mon dos, et m’enserra de ses bras)

- Et moi, je ne voulais d’enfant avec personne d’autre, Louka… Mais, puisque nous y sommes, à propos de ce jour-là…

- Oui ?

- Tu m’avais balancé que tout ce que je voulais, c’était ton sang, ton visage ou ton argent.

- C’était con.

- Indeed ! Mais je suis sûre que derrière, il y a un petit fond de vraie inquiétude. Sur le moment, j’ai failli t’étrangler ! Mais plus tard, en y repensant, je me disais… Well, Natalia...

- Quoi, Natalia ? Qu’est-ce qu’elle a à voir avec ça ?

- Natalia ne t’a mis au monde que parce que tu portais le sang de ton père, non ?

- Oui. Un genre de trophée. C’était sordide, malsain, je n’ai pas très envie d’y penser. Surtout aujourd'hui, Romy.

- Et après, elle t’a rejeté, pour exactement la même raison.

- …

- Moi, Louka, justement aujourd’hui, je voudrais te dire que si je veux un enfant, c’est parce que c’est toi. Le reste, ça ne compte pas.

- …

(Il resserra son étreinte et m’embrassa doucement la nuque)

- ...

- Tu sais que c’est peut-être la dernière fois qu’on peut glander au lit comme ça, Romy ?

- Hmmm… Tu oublies toutes ces fois où on enverra Kerguelen junior en vacances à Cargèse ou dans le Wyoming ; toutes celles où Ingrid et Pietro feront du baby-sitting ; et aussi celles où Malika sera tellement contente d’accueillir son petit-fils.

- Oui... Mais ce ne sera pas pour tout de suite.

- That’s right. So ! Any suggestion pour s’occuper agréablement pendant cette dernière grasse matinée à deux ?

- J’ai bien une idée… Très agréable. Et en plus, il paraît que ça peut aider à déclencher l’accouchement.

- Coquin ! »

Petit à petit, sa respiration s’accéléra, ses mains parcoururent tout mon corps avec autant de douceur que d’appétit. Comment pouvait-il me trouver désirable alors que je ressemblais à s’y méprendre à une gigantesque barrique ? Mystère... Mais la preuve était là, chaude et ferme, pressée doucement contre mes fesses. Et nous fîmes l’amour ainsi, très tendrement, avant de nous rendormir collés l’un contre l’autre.


Quand nous nous réveillâmes, il était plus de midi. Un déluge s’abattait sur Paris, il faisait noir comme dans un four éteint. Nous étions anxieux, mais sans pour autant nous laisser abattre ! Après un bon brunch bien nourrissant, je me sentis pleine comme un bateau promène-touristes à Scandola au mois d’août. Je peinais à bouger, mes chevilles étaient enflées, mon pull avait la taille d’une montgolfière… Louka était impatient, inquiet à l’idée de se retrouver papa jusqu’à ce que la mort les sépare. Mais il était là, avec moi, et c’était là l’essentiel.

Malika m’avait envoyé un message me souhaitant bon courage. Mila avait déjà appelé deux fois depuis que le soleil s’était levé sur Manhattan. Chiara envoyait un texto toutes les dix minutes et Louka menaçait d’aller jusqu’à son hôtel pour lui confisquer son téléphone. Seul Pietro sut montrer un peu plus de réserve… Mais quand, à 18h, alors que j’avais perdu les eaux et que le travail s’annonçait, nous sortîmes dans le couloir, devinez qui apparut, innocemment, par la porte de l’appartement du dessous ?

Pietro, of course. A croire qu’il guettait notre sortie... Il nous accompagna jusqu’à la voiture, prit rapidement Louka dans ses bras puis referma la portière sur nous en disant : « Il a bien choisi son jour, ce loupiot, on va tous se noyer en allant à l’hosto… Déjà pénible comme son père ! Mais au moins, il devrait aimer l’eau… Avanti ! Je vous rejoins tout à l’heure. Bon courage, Romy, tout se passera bien. Et toi, Louka mio, essaie de ne pas t’évanouir : ce serait ballot de manquer la plus grande émotion de ta vie. »



*Singin' in the rain, de Gene Kelly ; bande originale du film Singin' in the rain, 1952.

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