CLXXVI. Jazz Méditerranée

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CLXXVI. Jazz Méditerranée*

Le lendemain, je passai la journée à paresser à l’ombre bienveillante des petits soins de Chiara. Mon seul effort consista à porter mon petit-déjeuner jusqu’à la terrasse où je dévorai de bon cœur une gigantesque tartine à la confiture de figues et quelques canistrelli aux amandes. En contrebas, la mer était à couper le souffle, aussi bleue, aussi profonde que le ciel de mon Wyoming. Je restai un moment à la regarder en silence, droit dans les yeux, comme un miracle.

Plus tard, Chiara et moi emmenâmes Lucia pique-niquer sur la plage de Peru, où nous restâmes une partie de l’après-midi. La petite était ravie, passant de pâtés de sable en éclaboussures salées, elle riait aux éclats en plein dans le soleil et sa grand-mère n’en finissait pas de s’extasier d’avoir une petite-fille aussi adorable.

De retour à la maison, je fis prendre son bain à Lucia tandis que Chiara préparait le dîner : polenta, aubergines grillées, fromages corses et pain sarde. Simple mais délicieux ! Puis Lucia eut droit à deux histoires (mais pas une de plus, à son grand regret…) dont une en visio racontée par sa maman. Lorsque la petite se fut endormie, Chiara me confia son téléphone pour me permettre de discuter avec sa belle-fille, tandis qu’elle finissait de ranger la cuisine.


Sur l’écran, Ingrid était radieuse : une vraie princesse Disney, mais avec cernes mauves et cheveux courts. Elle tenait dans les bras son Numérobis qui avait bien changé ! Il ressemblait à Pietro, mais en version viking ou normande : mêmes traits, même sourire, mais sa peau était plus claire et ses cheveux presque blonds. Ses yeux ressemblaient à deux billes de mer, comme ceux de sa sœur… Bref, Nils était trop mignon ! Et il s’endormit doucement, une risette sur les lèvres, pendant que je papotais avec sa mère.

« - Tu as bonne mine, Romy ! Tu savoures tes vacances ?

- Pire que ça ! Je ne fais rien, c’est une honte. Chiara refuse de me laisser ne serait-ce que faire la vaisselle… Je me sens comme la pire des enfants gâtées.

- Ce n’est pas étonnant. Rien n’est plus précieux que ton mini Kerguelen… Profites-en, va !

- Oh oui, je ne veux pas la contrarier… Et ça me fait du bien, je commençais à fatiguer un peu.

- Alors repose-toi. Tu as des nouvelles de garçons ?

- Ils naviguent, ils bronzent, ils profitent. Bref, ils s’éclatent ! Ils rentrent demain, normalement.

- Oui, c’est ce que Pietro m’a dit tout à l’heure… Mais quand ils sont en mer, et quand ils sont tous les deux, je me demande toujours s’ils vont vraiment rentrer.

- A cause de l’accident ?

- Non. A cause de leur auto-suffisance dès qu’ils mettent un pied sur un voilier : comme si le reste du monde n’avait plus d’importance.

- Oh, tu es injuste avec ton mari, il tient trop à votre petite famille pour vous abandonner ! Louka, en revanche, a toujours une petite partie de lui qui a envie de fuir. Alors, va savoir…

- Et ça t’inquiète, Romy ? Tu as peur qu’il parte ?

- Parfois… Mais je ne vais pas l’attacher ! C’est difficile, pour lui, de s’imaginer devenir père.

- Hum, au point où vous en êtes, il ne s’agit plus seulement de se l’imaginer.

- Tu as raison… Mais Louka n’est pas sûr d’être à la hauteur ; il a toujours cette sensation étrange, comme s’il allait transmettre au bébé je-ne-sais-quel truc sale ou impur. Parfois, il se met en retrait. Mais d’autres fois, il est archi-mignon ! Alors même s’il doute, moi, je crois qu’il sera là. Et qu’il s’en sortira très bien.

- Je suis d’accord… Et puis s’il fait le con, j’irai le chercher par la peau des fesses et je te le ramènerai ! Tu peux me faire confiance.

- A 100%, Ingrid ; mais…

- Mais ?

- Ne touche pas aux fesses de mon mec, OK ? Je fais des efforts pour être moins jalouse, mais il ne faut pas pousser quand même… »

Elle éclata de rire comme une drôle de fée assez folle, mais lumineuse ! Hélas, cela réveilla Nils qui se mit illico à réclamer son biberon. Résultat, nous écourtâmes la conversation et, voyant que Chiara s’était installée au salon devant un film italien, je montai dans la chambre de Louka, pris ma douche et me mis au lit avec un livre. Trois pages plus tard, je dormais à poings fermés.


Je ne me réveillai qu’en milieu de matinée. Chiara, qui partait faire les courses, en profita pour me faire choisir le menu du soir : décidément, elle me dorlotait ! Au lieu d’un plat raffiné digne de mon traitement de princesse, j’optai en bonne Américaine pour un barbecue et lui parlai d’une voix gourmande d’une sauce aux oignons et aux tomates que j’adorais quand j’étais petite… Un souvenir de ma mère. D’ailleurs, je pensais souvent à elle, I mean, je pensais encore plus souvent à elle depuis que j’étais enceinte. La grossesse est toujours une courroie de transmission entre le passé et l’avenir, et la mienne était brisée.

C’était sans compter sur l’extraordinaire obstination de Chiara ! Elle mit de la musique pour se donner du courage, et passa des heures à préparer des sauces et à me les faire goûter jusqu’à ce que je reconnaisse, enfin, THE goût de THE sauce de mon enfance… J’en fus toute émue, Chiara explosa de fierté, Lucia qui avait pu goûter chaque essai virevoltait autour de nous, barbouillée de rouge de la tête aux pieds…C’est ainsi que les garçons nous découvrirent, absurdement guillerettes au milieu de la cuisine, pleines de sourires et de tomate.

Après une bonne douche, nous nous retrouvâmes sous la pergola : car la pluie s’était invitée à notre barbecue. Brochettes, entrecôtes, chips et salade verte : un vrai festin ! Les garçons étaient un peu fatigués mais l’air marin les avait requinqués comme on remonte une horloge. Lucia était ravie d’avoir retrouvé son Papa et son Zio et pépillait joyeusement entre deux bouchées. Chiara, comme toujours, régnait sans partage sur Pietro et Louka, entre taquinerie et bienveillance. La pluie rinçait la Corse comme l’Inde sous la mousson, l’eau faisait briller la terre sous les lumières du port, une musique jazz très douce tintinnabulait depuis le salon…


Louka, malgré les cernes sous ses beaux yeux, semblait serein comme si enfin, il craignait moins les tempêtes. Comme s’il avait moins peur de tout perdre à chaque seconde.



*Jazz Méditerranée, d'Henri Salvador ; in Chambre avec vue, 2000.

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