CLXXV. Calvi

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CLXXV. Calvi*


Nous passâmes cinq jours vraiment très agréables, à remonter la côte Ouest depuis Cargèse jusqu’à Calvi. Chaque matin, nous prenions tout notre temps pour petit-déjeuner sur le pont avant de nous offrir un premier bain dans les eaux cristallines. Puis nous prenions la route dès les premiers vents thermiques et naviguions en pères peinards pendant quelques heures. Nous grignotions en route (ou en nav’, dixit Louka) quelques fruits ou sandwichs, avant de chercher un mouillage pour la suite du programme : baignade, douche sur le pont, apéritif, dîner, coucher de Lucia, papote autour d’une tisane (pour moi) ou d’une liqueur de myrte (pour les garçons).

J’eus un peu le mal de mer, mais très modérément ; ce dont les capitaines ne manquèrent pas de me féliciter ! Eux étaient indéniablement dans leur élément : la douceur de l’eau, la force de l’air semblaient leur insuffler de l’énergie dans les veines, dans le sourire, dans le regard. Ils étaient d’une complicité fluide, absolue, ils se parlaient d’un œil, se comprenaient d’un geste, se complétaient sans effort. Ils prenaient soin de moi… Et de Lucia, qui papillonnait joyeusement de l’un à l’autre, toute fière d’avoir son papa et son Zio pour elle toute seule, même si parfois au moment d’aller dormir, sa maman lui manquait un peu. Mais avec un gros câlin de chacun de nous, son cher Mayol 2 dans ses bras et un petit coup de fil en Belgique, elle retrouvait rapidement le sourire et s’endormait dans la foulée.

Pendant cette croisière, Lucia découvrit pas mal de choses. Qu’il vaut mieux se tenir quand on se déplace sur un bateau. Que la bôme, ça peut être dangereux. Qu’il faut penser à couper la VHF pour ne pas être réveillé en pleine nuit par un MAYDAY intempestif. Que les méduses, ça brûle. Que les assiettes peuvent finir par terre dès que le bateau gîte un peu. Que les poubelles prennent de la place. Qu’un dauphin en peluche ne sait pas nager, sauf si Pietro lui prête l’un de ses petits brassards fluos. Que les vagues, ça berce. And so on… Cette enfant était plus rafraîchissante que tous les embruns de la Méditerranée.


Nous passâmes ainsi du golfe de Porto à celui de Girolata, de la plage de Galeria à celle de l’Argentella, avant de remonter plus au Nord jusqu’à doubler le phare de la Revellata pour entrer enfin en baie de Calvi, où Lucia et moi devions retrouver la terre ferme. La citadelle nous attendait, perchée sur ses hauteurs comme la Liberté guidant le peuple, lovée dans ses remparts comme une jeune fille dans un voile d’ocre et de lumière. Corsica bella !

En cette période estivale, le port était plein à craquer. Nous prîmes donc une bouée loin dans l’avant-port, et les garçons sortirent l’annexe pour nous permettre de débarquer à terre. Je m’imaginais arriver sur les quais avec classe, comme un marin qui se respecte ou une princesse en limousine des mers. J’avais tout faux ! Il s’agissait d’une coquille de noix gonflable à la flottabilité douteuse, qui pencha dangereusement sur bâbord dès que je fus installée. Mon sac m’écrasait les genoux, le plastique me collait aux cuisses, ma voisine immédiate était une poubelle et le moteur crachait poumons et boyaux pour lutter contre le vent relativement soutenu qui balayait la Balagne sans aucun état d’âme… Une épreuve ! Et je jurai de ne plus jamais remonter dans cette embarcation… Ce qui amusa beaucoup Louka.


Une fois en ville, nous retrouvâmes Chiara qui était vêtue comme une duchesse de Savoie atterrie par erreur au milieu des touristes : mais comment faisait-elle pour avoir une telle classe ? Et pour marcher dignement avec des talons pareils ?

Nous devions dîner en compagnie d’un producteur de cinéma romain avec lequel elle travaillait depuis des années, m’expliqua-t-elle, et qui m’était parfaitement inconnu. Résultat : le repas se passa 100% en italien. Va bene ! C’était bien naturel et je ne m’en formalisai pas. Au contraire, cela me permit de réaliser que je comprenais de plus en plus de choses, tant qu’il s’agissait de sujets simples : à défaut de parler philosophie ou politique, j’étais capable de passer le sel ou d’indiquer mon prénom si on me le demandait. Lucia, assise près de moi, s’avéra une très mignonne professeur et me corrigea quelques tournures avec beaucoup de bienveillance.

Plus tard, nous marchâmes un peu dans les rues de Calvi baignées de lumière. La nuit entourait la citadelle d’un bleu presque noir, profond, immense. Les étoiles brillaient dans le ciel, le vent était tombé, la baie s’enroulait à nos pieds comme de l’encre de Chine. Tout en haut de la ville, nous rejoignîmes un incroyable piano-bar dont les musiques s’envolaient droit vers le firmament. De refrains de Brel en chansons corses, c’était un endroit unique, avec une vue exceptionnelle, une ambiance chaleureuse, des cocktails (sans alcool pour ce qui me concerne) excellents… Un vrai paradis !

Où nous ne restâmes pas longtemps, car Lucia s’était effondrée sur une banquette et je ne valais guère mieux. Nous redescendîmes doucement, Pietro portant sa fille endormie, pour rejoindre le niveau de la mer et la voiture de Chiara. Nous saluâmes le producteur italien, installâmes la petite dans son siège-auto et après quelques bisous et accolades croisées, nous nous séparâmes : les garçons d’un côté, pour rejoindre le bateau dont ils pouvaient profiter encore deux jours, et les filles de l’autre, pour rentrer à Cargèse.

La route passa en un éclair, puisque je m’assoupis illico ! Et lorsque je rouvris les yeux, nous étions devant la maison, Chiara me fit un sourire immense et me dit d’aller me coucher. Ce que je fis sans me faire prier, une fois que j’eus porté mon sac à l’intérieur, tandis qu’elle mettait au lit sa petite-fille qui n’avait pas refait surface… Et qui dormait comme un ange, avec un petit sourire aux lèvres et son éternel dauphin serré tout contre son cœur.


Avant de m’endormir, j’envoyai un texto à Louka pour l’informer que nous étions bien rentrées, et un autre à Ingrid pour lui dire que sa fille était merveilleuse. Ils me répondirent tous deux en moins de quelques secondes.

Louka K. Dos Santos : “Good ! Take care of you both. Tu as fait de sacrés progrès en italien ! Buena notte. Bisous.”

Ingrid Battisti : “Je le sais… Mais ton loupiot sera extra, lui aussi ! J’en suis sûre. Je t’embrasse. Je vous appelle demain, Chiara et toi.”



*Calvi, d'Izïa Higelin ; in Citadelle, 2019.

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