CLXXIII. La lune et le miel

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CLXXIII. La lune et le miel*



A mon retour à Paris m’attendaient un petit texto et une grosse déception.

Louka K. Dos Santos : “Hello there ! Welcome back :) Je suis désolé mais j’ai un truc à finir, je ne peux pas te récupérer à l’aéroport finalement. Je t’ai commandé un taxi, il t’attendra aux arrivées avec une petite pancarte à ton nom comme dans les films. A tout de suite. Bisous.”


Very well. Il avait intérêt à avoir une excuse en or massif pour ne pas être venu me chercher ! Et lorsque j’arrivai enfin rue de Médicis, j’avais quelque peu envie de lui tirer les oreilles…

Je plantai ma valise au milieu du salon et m’égosillai :

« - Louka ? Tu es là ?

- Right there.

- Right where ?

- Dans la chambre du bébé… Tu as fait bon voyage ? J’espérais un peu que ton avion aurait du retard.

- What ?

- Je n’ai pas tout à fait fini… Mais tant pis, viens voir ! »

Je vins voir. Et mon agacement se transforma en chamallow fondu ou en gros bouquet de fleurs bleues. Louka était assis par terre, torse nu, tournevis dans une main, notice dans l’autre, en train de monter le lit à barreaux que nous avions commandé ensemble quelques jours plus tôt. Il se leva en trois secondes, m’embrassa, caressa mon ventre du bout des doigts… Puis me demanda presque timidement : “So, what do you think ? J’espère que ça te plaît ?”


Alors je vis, derrière son épaule, la petite chambre parfaitement terminée. Les murs étaient d’un blanc cassé tout simple, avec quelques touches de bleu marine sur les plinthes, le rebord de la fenêtre, le radiateur… Les meubles étaient en bois plein, chaleureux, qui sentait le lointain et la forêt. A ma droite, Louka avait installé deux hublots en trompe l’oeil d’où jaillissaient deux magnifiques photos comme des portes ouvertes sur le monde : la citadelle d’Essaouira, fière et intemporelle à l’ombre de ses remparts, et la baie de Sagone dans le bleu absolu du soleil de midi. Juste en face, sur le mur de gauche, deux autres paysages qui semblaient répondre aux premiers : les gratte-ciel de New York dans les lumières noires de la nuit et le blanc infini des montagnes du Wyoming sous un ciel hivernal.

Au plafond, je reconnus la drôle de lampe en forme de montgolfière que j’avais trouvée si gaie, si colorée, si jolie dans le magasin. Tous les meubles étaient dûment montés : commode, armoire, étagère… Et tout en bas de cette dernière, il y avait le doudou chameau que Louka avait rapporté du Maroc. Et aussi le petit bison qui m’avait fait craquer dans la vitrine et que visiblement, il était retourné acheter. C’était trop mignon…


Louka guettait ma réaction avec une certaine timidité, alors pour le rassurer, je l’embrassai illico. Très fort. Parce qu’il m’avait manqué et parce qu’il était le plus adorable de tous les futurs papas. Je le remerciai, le rassurai (Of course I like it !) et laissai mes doigts vagabonder sur sa peau nue comme du velours.

Cinq minutes après, nous étions sous la douche tous les deux (enfin, deux et demi…) et nous nous savonnions des pieds à la tête à grands coups de caresses. Puis il me porta jusqu’à la chambre, m’allongea sur le lit comme si je pouvais me briser à la moindre secousse, et m’embrassa partout comme on enflamme un auditoire. Il était à la fois pressé et doux, veillant à ne pas heurter le petit renflement de mon ventre comme on préserve un instant fragile. Il me fit un amour délicieux, coquin, absolu, plein de délicatesse et de plaisir au rythme de son corps si souple, si ferme, si parfait pour les doigts comme pour les yeux.

Une fois rassasiés, nous restâmes longtemps dans les bras l’un de l’autre. Je somnolais un peu, jetlag oblige, Louka s’était roulé autour de moi. Il avait posé sa joue contre mon épaule et sa jambe sur les miennes, sa main caressait mon ventre si lentement que je la sentais à peine. Il faisait jour, mais sombre, le vent sifflait à travers la fenêtre et l’orage s’annonçait sur l’été parisien.


« - La chambre te plaît vraiment, dis ?

- Oui ! Bien sûr que oui. C’est très mignon, ce que tu as fait. Ce que vous avez fait, car j’imagine que Zio Pietro a mis la main à la pâte ?

- Oui, il m’a beaucoup aidé. Il me reste juste à finir de monter les barreaux du lit…

- Et tout sera prêt !

- Presque…

- Presque ?

- Moi, je ne suis pas sûr d’être prêt.

- Why ?

- Parce que j’ai peur. J’ai peur de tout. De la fatalité. De l’hérédité… J’ai peur de mon ambivalence, parce qu’une partie de moi souhaite que mon père ne meure pas tout à fait et que son sang coule encore dans les veines de quelqu’un, quand une autre partie rêve de casser le cercle, de briser la transmission. J’ai peur que mon fils ressemble à Natalia et que je ne le supporte pas. J’ai peur de ne pas savoir aimer mon enfant comme il le faut, comme je le dois, c'est-à-dire sans compter, sans penser que je pourrais le perdre. J’ai peur de ne pas accepter de vieillir, de grandir. Parce qu’après tout, avoir un enfant, c’est commencer à marcher derrière de tout petits pieds qui nous poussent vers la fin… J’ai peur de tout, Romy. Et j’ai peur de moi ; de ce que je porte en moi.

- Tu n’as pas besoin d’être infaillible, Louka ; au contraire ! Être faillible, c’est être vivant… Oublie la vitrine, cette beauté presque irréelle dont tu as doublement hérité. Et vis ta vie… Notre vie ! Tout simplement. Et puis je suis là, moi, tu ne seras pas seul. »

Je murmurais ainsi un bon moment à son oreille qui tremblait tout contre moi. Je lui embrassais les doigts, les lèvres, il était fragile comme un fétu de paille devant une allumette, comme un bateau en papier avant une traversée entre Corse et continent, comme un brin d’herbe à la veille d’une tempête automnale. Il reprit à voix basse :

« - Mais… Toi, ça ne te fait pas peur du tout ?

- Si ; bien sûr que si. Mais j’ai confiance en toi. En nous.

- Vraiment ?

- Oui, Louka.

- …

- …

- Alors si tu me fais confiance, j’ai le droit de proposer à Cinderella d’aller boire un verre ?

- What ??? Grrrrrrrrr…

(Il éclata de rire)

- Ouf ! Je te retrouve ! Si tu n’étais plus jalouse du tout, je m'inquièterais...

- C’est malin !

- Isn’t it ?

- …

- Bon, maintenant que je sais ce que valent tous tes excellents principes… Viens voir…

- What is it again ?

- I want you. Again… »


Alors je les mangeai tout crus, lui et son sourire en coin, et me délectai sans rougir de toutes les douceurs si fermes de son corps que je n’avais vraiment aucune intention de partager avec une quelconque voileuse trop maquillée… Ni avec personne d’autre, d’ailleurs.



*La lune et le miel, de Lynda Lemay ; in Du coq à l'âme, 2000.

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