CLXXI. Il fait dimanche

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CLXXI. Il fait dimanche*

Ce chapitre est dédicacé à un gentil ours en hibernation qui se reconnaîtra et que vous reconnaîtrez.

Le lendemain, j’eus bien du mal à émerger. Louka dut me secouer, gentiment certes, mais à plusieurs reprises, pour que je réussisse enfin à ouvrir un œil, puis l’autre. Il faut dire que nous avions un programme chargé, qui consistait à faire la tournée des magasins de décoration et de bricolage pour la chambre de notre petite crevette. Un vrai marathon !

Heureusement, j’avais beaucoup débroussaillé le terrain en amont, à coup de catalogues et de sites web, mais cela nous prit quand même du temps… C’était agréable, d’ailleurs, de discuter tous les deux de ce que nous aimions, de ce que nous voulions, pour notre enfant à naître. Louka détonnait un peu, je l’avoue, dans ces décors si ordinaires : avec son visage de star de cinéma, son sex-appeal qui ne manquait pas de scotcher toutes les vendeuses à qui il posait une question, son art presque insolent de ne pas y prêter attention… Mais il était là, tout près de moi, il était doux, droit, et il regardait enfin vers l’avenir avec une certaine sérénité. C’était un sacré progrès et je n’en finissais pas de savourer ma joie de partager cela avec lui.

Au bout d’une heure, nous avions choisi les teintes de la chambre du bébé : blanc, marine et bois. Louka avait appelé Pietro au moins cinq fois pour lui demander conseil sur je-ne-sais-quoi mais au final, nous repartîmes avec tout le nécessaire pour faire les travaux. La conseillère du magasin draguait Louka comme si j’étais transparente (pourtant je commençais à prendre un peu plus de place que d'habitude…), insistant lourdement pour avoir son numéro de téléphone pour la commande et gloussant comme une grue… J’avais des envies de meurtre, forcément, qui devinrent fou rire lorsque Louka me glissa à l’oreille : “Romy, please, ne l’étrangle pas. Je n’ai pas envie que notre enfant naisse en prison. Et puis on a mis des semaines à trouver les couleurs qu’on voulait ! Ce serait dommage de tout recommencer. And by the way, j’ai donné ton numéro, et non le mien, pour son fucking bon de commande. Alright ?”

Je passai donc outre, non sans en profiter pour embrasser le futur papa, et nous passâmes à l’étape suivante : l’ameublement. Avec un écueil de taille : j’avais envie d’acheter tout le magasin ! Je ne savais pas où donner de la tête, tout était trop mignon, adorable, plein de douceur et de couleurs. Je m’extasiais tous les deux mètres : une peluche toute ronde en forme de bison, un coffre à jouets en bois qui ressemblait à une maison, un tapis violet tout moelleux avec plein de poils et de strass (là, Louka mit son veto), un jeu d’éveil avec des petits lapins, un luminaire en forme de montgolfière bleue et rouge… Et mille et une autres trouvailles que nous n’achetâmes pas.

A la sortie, nous étions cependant chargés comme des mules : commode, rideaux, berceau, table à langer… Et je ne pus m’empêcher de me demander si nous étions très mignons ou très ridicules ainsi encombrés ? Sans compter tout ce que nous avions commandé pour livraison directement rue de Médicis dans les prochains jours !

Nous avions emprunté la voiture familiale de Pietro et pourtant, nous eûmes bien du mal à tout faire rentrer ! A la fin, suants mais triomphants, nous étions affamés ! Surtout moi, qui commençais de plus en plus à ressentir un appétit aiguisé par la grossesse. Aussi optâmes-nous pour la solution la plus simple : faire étape dans un restaurant-buffet qui nous tendait les bras, de l’autre côté du parking.

Je pris une grillade de bœuf accompagnée de frites et de carottes poêlées aux herbes, Louka choisit des brochettes de poulet avec du taboulé et des tomates grillées à la provençale. Cela n’avait rien de gastronomique mais c’était correct. Et très franchement, j’étais tellement heureuse de partager ce genre de moment tout simple, tout banal, avec Louka (qui était tout sauf simple et banal !) que je me sentais comme une princesse des banlieues commerciales : au comble du bonheur.

Au dessert, je m'apprêtais à faire un sort à des profiteroles au chocolat lorsque mon téléphone vibra doucement dans mon sac à main. C’était mon père, certainement tout juste levé dans l’aube de l’autre côté du monde.

« - Hello, Dad. Tu es tombé du lit ?

- Good morning, sweetheart. Je te dérange ?

- On est au resto avec Louka. Mais ce n’est pas grave. How are you doing ?

- Bien ! J’avais juste envie d’avoir de tes nouvelles, ma chérie.

- Je vais bien, Dad. Ne t’inquiète pas.

- Good. Et comment se porte mon petit-fils ?

- He’s fine too. Il grandit un peu… Et il bouge beaucoup !

- Great.

- On a trouvé plein de trucs pour préparer sa chambre.

- C’est bien. J’aurais aimé pouvoir vous aider à faire les travaux… Mais c’est un peu loin pour que je puisse venir passer le dimanche avec vous !

- I know.

- I miss you, Romy. Tu prends bien soin de toi ?

- Oui, Dad. I promise. And I miss you too.

- Tu m’enverras une photo pour que je voie comme le petit a poussé ?

- D’accord. Je te laisse, Dad. Je t’embrasse.

- So do I. Et passe le bonjour à Louka.

- I will. Bye bye, Daddy. »

Je raccrochai et me concentrai sur mon dessert, mais j’avais soudain moins d’appétit. Ce dont Louka ne manqua pas de se rendre compte, évidemment.

« - Ton père te manque, n’est-ce pas ?

- Oui. C’est vrai.

- Pourquoi tu ne vas pas le voir ? Avant de ne plus pouvoir voyager..

- Parce que j’ai peur que ça perturbe ma grossesse. C’est un très long voyage. Et puis il y a la fatigue, le décalage horaire…

- Romy… Tu as envie de voir ton Papa, non ?

- I do. Of course I do. Et aussi mes montagnes…

- Then you should go.

- Et si…

- Et si, what ?

- Non, rien… Je préfère ne pas le dire.

- Tu es en bonne santé, le bébé va bien, ta grossesse se passe sans aucun souci. Alors arrête de t’inquiéter, et va voir ton père. Il sera ravi. Je suis sûr qu’il a très envie de te voir avec ton gros ventre.

- Eh ! Je ne suis pas si grosse !

- Not yetAnyway, ton contrat se termine quand ? Le 31 ?

- Oui. Mais j’ai plein de congés à prendre, alors je finis le 1er.

- Great. Ton passeport est encore valide ?

- Sure.

- Parfait.

(Louka sortit son téléphone de sa poche)

- What are you doing ?

- Je prends ton billet.

- Mais ? Non, Louka, je peux m’en occuper.

- I know. Mais ça me fait plaisir.

- Tu veux te débarrasser de moi ?

- Exactly !

- …

- So, mademoiselle. Départ de Roissy le 2 juillet pour Cheyenne, via Washington DC et Denver. En première classe, comme ça tu seras plus à l’aise.

- Euh… Bon. Je… Merci, Louka.

- Tu as l’air bizarre. Don’t you want to go ?

- Of course I do ! C’est juste que je n’ai pas l’habitude de traverser l’Atlantique comme on enjambe la Seine… But I’m fine. And I look forward to seeing my Dad ! Thank you, really. »

Je me penchai par-dessus la table pour l’embrasser, non sans manquer de renverser mon verre d’eau au passage… Louka sourit, répondit à mon baiser avec une lueur de malice au fond de l'œil. Évidemment, dans son monde à lui, il était si simple de passer d’un pays à l’autre ! Il n’avait pas vraiment de frontière, y compris financièrement.

Et je dus bien admettre, en l’occurrence, que cela avait du bon ! Même si je n’appartiendrais certainement jamais complètement à ce drôle d’univers.

*Il fait dimanche, d'Henri Salvador ; in Chambre avec vue, 2000.

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