CLXV. Les deux oncles

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CLXV. Les deux oncles*


Trois semaines avant le terme annoncé de sa grossesse, tout était déjà prêt pour l’accouchement d’Ingrid : les affaires de la future maman pour la clinique, quelques bodys pour habiller Numérobis après sa naissance, et le petit sac à dos de Lucia, tout bleu avec des grands yeux de monstre sur la poche arrière, pour lui permettre de venir chez Louka pendant que ses parents iraient à la maternité. Tout le monde était serein comme un matin de printemps sur les plages immenses de la mer du Nord.

C’était un samedi plein de miel et de soleil. Je passais ma matinée à bouquiner au lit tandis que les garçons étaient partis à la piscine, sur le boulevard Montparnasse. Puis vers 11h, je descendis rejoindre Ingrid, nous partageâmes tranquillement un thé tandis que Lucia jouait dans sa chambre.

Pietro avait prévu un repas au restaurant avec quelques anciens collègues, Louka revint donc seul, aux alentours de midi. Il nous avait invitées à déjeuner “pour une fois que je peux avoir trois jolies filles pour moi tout seul” et Ingrid avait promis d’apporter un dessert : une tarte aux fraises et à la crème pâtissière que je l’aidai à préparer, doublement coachée par ses conseils avisés et ceux d’une appli de cuisine. Le résultat fut tout à fait présentable ! Et je n’étais pas peu fière en remontant d’un étage.

Puis nous passâmes à table. Louka avait préparé une salade à la mozzarella et à l’huile d'olive et des spaghettis au pesto et aux tomates cerises. Ingrid et moi étions affamées comme quatre et Lucia, elle non plus, ne se fit pas prier pour finir son assiette. Le déjeuner fut doux, tranquille, taquin comme toutes les fois où Ingrid et Louka étaient dans la même pièce. Elle était ronde et impatiente, sa main caressait son ventre comme son œil veillait sur Lucia.

Pietro nous rejoignit pour le deuxième café ; très serré, à l’italienne, évidemment ! Il était un peu saoul, assez joyeux. Le temps s’écoula doucement, le printemps bruissait gentiment dans les feuilles, l’après-midi était simple et bienheureux. Soudain, je sentis un drôle de mouvement dans mon ventre. Une sensation aussi étrange que merveilleuse ! Mon bébé venait de bouger…


J’appelai Louka et lui tins la main bien serrée sur ma peau ; et après quelques secondes à retenir notre souffle, le mouvement reprit, presque brusquement. Parfois, la vie se fait miracle… Telle fut ma pensée à cet instant précis. Pourtant mes souvenirs sont flous : Ingrid et son grand sourire, Lucia qui me fit un gros bisou tout mouillé, Louka qui était aussi ému que maladroit, et Pietro qui se pencha sur moi pour murmurer plein de choses en italien dont je ne compris pas un traître mot, à part “Zio Pietro”. Ce qui me fit sourire.

« - Louka, méfie-toi, lui dis-je. Tu vas avoir de la concurrence dans la catégorie “Zio”.

- What ? No. Pietro n’a aucune chance.

- Ma, sì ! répondit l’intéressé. Je serai un parfait Zio, ne vous inquiétez pas.

- Tsssss… objecta Louka. Attends voir… Lucia mia ?

- Sì ?

- C’est qui, selon toi, le meilleur de tous les zii du monde ?

- Toi ! affirma-t-elle avec des étoiles solaires dans les yeux.

- Grazie mille, cara mia. Voilà voilà... CQFD. »

Pietro allait répondre quand Ingrid ressentit sa première contraction. Elle qui était toujours si énergique, resta d’un calme olympien. Elle prit son mari par la main, me confia sa fille puis rentra chez elle très précautionneusement…


Quatre heures plus tard, ils partaient pour la maternité. Tous les trois : car Pietro, qui avait un peu bu à midi, préféra ne pas prendre le volant et réquisitionna Louka comme chauffeur.

Je décidai d’emmener Lucia faire un tour au parc, en partie pour qu’elle puisse se dégourdir les jambes et en partie pour me changer les idées. Nous rentrâmes vers 20h, je lui donnai son bain et lui mis le petit pyjama blanc et bleu que Chiara lui avait offert quelque temps plus tôt. Nous jouâmes un bon moment avec Barbie Pirate et Mayol 2 : un concours de plongeons depuis le comptoir de la cuisine dont le dauphin sortit largement vainqueur !

Puis nous dînâmes toutes les deux : steaks hachés, purée et petits pois. Nous en profitâmes pour prendre une photo pleine de grimaces que nous envoyâmes aux garçons : seul Louka nous répondit que tout allait bien, Pietro étant évidemment occupé... Puis je couchai Lucia dans notre propre lit, toute entourée de coussins. Je lui lus une histoire avec une grenouille qui pète (!!!), puis elle s’effondra, vaincue par la fatigue, et je quittai la pièce pour m’installer sur le canapé avec un bouquin.

Je lus une heure ou deux, espérant avoir des nouvelles d’Ingrid. Mais je finis par m’avouer vaincue et retournai me coucher sur la pointe des pieds, laissant mon téléphone en mode vibreur sous mon oreiller.


A trois heures du matin, je fus réveillée par un texto. Ouf ! Le petit était né, il était en parfaite santé, sa maman allait bien. Il s’appelait Nils, il pesait 3,6kg, il était tout rouge et frippé.

Louka m’envoya un selfie sur lequel il le tenait dans ses bras, tout contre lui, il avait une charlotte aussi laide que ridicule sur la tête et un sourire immense sur le visage.

Louka K. Dos Santos : “Tu vois, je m’entraîne… Tout le monde va bien ici. Bonne fin de nuit ! Je t’amènerai Pietro pour le petit-déjeuner. Je t’embrasse. Zio Louka.


Je lui répondis par une pluie de coeurs.



*Les deux oncles, de Georges Brassens ; in Les copains d'abord, 1965.

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