CXXXVIII. Tes parents

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CXXXVIII. Tes parents*


Le soir-même, Louka proposa (peut-être pour atténuer la lueur de méfiance qui vrillait les yeux paternels ?) de préparer le dîner. Italien, évidemment ! Il s’enferma donc dans la cuisine.

Jane s’éclipsa pour passer un coup de fil tandis que Mila, mon père et moi entamions une partie acharnée de Monopoly qui envoya mon cher Daddy directement en prison... Quant à Mila, elle en profita pour me plumer sans vergogne ! Car malgré ses sourires de luciole et ses grands yeux de saphir, elle était impitoyable au jeu depuis toute petite.

Plus tard, nous nous retrouvâmes à table tous les cinq. Au menu : des petits artichauts à l’huile d’olive, suivis de spaghettis à l’ail et aux tomates cerises puis d’une escalope saltimbocca aux légumes. Louka s’était surpassé ! Je le remerciai d’un murmure à l’oreille et d’une main sur la sienne. Mon père, lui, se saisit de l’occasion pour le… cuisiner, à coup de questions.


« - C’est vraiment très bon, Louka.

- Thanks.

- Comment se fait-il que tu sois aussi calé en cuisine italienne ?

- Well… C’est un peu compliqué.

- Tant que ça ? Et moi qui t’avais épargné le traditionnel interrogatoire du beau-père parce que je croyais que tout le monde savait tout !

- What ? s’étonna Louka.

- Dad… soupirai-je.

- Oui, reprit mon père. Par exemple, je n’ai pas eu besoin de demander à Romy ce que faisaient tes parents. Une question classique, pourtant ! Mais qui devient absurde, quand ta fille te ramène un Kerguelen.

- That’s right, sourit Louka.

- J’ai aussi su tout de suite que tu étais parfaitement solvable.

- That’s right too !

- Pour le reste, voyons voir… Nationalité ?

- Dad, intervins-je, à quoi tu joues ?

- Il n’est pas trop tard pour faire le papa possessif et inquisiteur... Alors, Louka : nationalité ?

- Français et marocain.

- Ah ? Etonnant... Pourquoi marocain ?

- Come on, Daddy, m’agaçai-je, I told you about his adoption and so on.

- Actually, précisa Louka, c’est par mon père que j’ai eu la nationalité : il a été naturalisé il y a des années, et moi aussi, par la même occasion. J’avais 5 ou 6 ans.

- Logique… Bon, je ne vais pas faire semblant de ne pas connaître Luís Kerguelen et Natalia Stepanovna. Mais je ne sais pas s’ils avaient fait des études ?

- Non. Natalia avait arrêté l’école à 16 ans pour devenir mannequin. Quant à mon père, il avait un Bac international mais juste après, il a commencé à tourner… Il n’est pas allé plus loin. C’est sa femme qui a fait des études. Il disait toujours qu’elle s’était mésalliée en l’épousant, parce qu’elle était fille de diplomates et ingénieure en environnement.

- Ta mère adoptive, si j’ai bien suivi ?

- Ma mère, tout court. Elle est marocaine mais elle est née à l’autre bout du monde et elle a grandi un peu partout. Aujourd’hui elle travaille à l’ambassade du Maroc à Buenos Aires. Elle s’occupe de la coopération autour des nouvelles technologies énergétiques. Un truc comme ça.

- Tu as donc trois parents, c’est original.

- Oui, approuvai-je. Mais en vrai, Louka, tu en as quatre.

- Tu parles de Chiara, I guess ?

- Indeed. L’autre jour, elle t’a appelé “figlio mio”, ça veut bien dire “mon fils”, non ?

- Non. Enfin si, ça veut dire “mon fils”, mais elle ne m’appelle pas comme ça. Il va falloir mieux te concentrer pendant tes cours d’italien ! Elle utilise les mêmes surnoms pour Pietro et moi : “Louka mio” ou “Pietro mio”. Et puis “cuore mio”, “caro mio”, “ragazzo mio”, et même “amore mio” dans les grands jours ! Mais “figlio mio”, c’est seulement pour Pietro.

- ...

- Bon, admit Louka. Je t’accorde que parfois, quand elle nous parle à tous les deux ensemble, elle dit “fligli miei''.

- Ah, tu vois ! triomphai-je.

- En tout cas, poursuivit mon père, elle non plus, je n’ai pas besoin que tu me racontes les détails de son pedigree : quelle immense réalisatrice ! C’est donc à Chiara Battisti que nous devons, indirectement, ce merveilleux repas italien ?

- Oui. J’ai longtemps vécu chez elle, en Corse mais aussi en Sardaigne. J’ai grandi avec son fils depuis tout petit. Alors l’Italie, l’italien, la pasta... Je baigne dedans depuis des années.

- Et moi qui n’ai jamais réussi à vraiment quitter mon Wyoming !

- …

- Dernière question… Ta profession ?

- Dad, intervins-je ; ça suffit... Tu connais la réponse, en plus.

- Avocat, répondit Louka comme s’il ne m’avait pas entendue.

- Rien à voir avec le sérail, donc…

- Well… Je suis spécialisé en droit des médias et de la propriété intellectuelle.

- Ah ! Voilà qui me rassure. Les chiens ne font pas des chats !

- …

- C’est drôle, nous ne venons pas du même pays… Pourtant, nous venons du même monde : le cinéma ! D’ailleurs je ne sais pas vraiment de quel pays tu viens, au final ? »


Il avait dit cela avec un grand sourire comme un panneau “BIENVENUE DANS LA FAMILLE”. C’était mignon… Des deux côtés, d’ailleurs, car si mon père assumait plutôt bien sa partition, Louka ne s’en sortait pas si mal dans le rôle du gendre non-idéal-mais-pas-si-pire-quand-même.



*Tes parents, de Vincent Delerm ; in Vincent Delerm, 2002.

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