XCII. Coups et blessures

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XCII. Coups et blessures*

Quand Louka arriva enfin, il était canon comme une habitude. Il ne boîtait plus du tout, il avait retrouvé son joli hâle naturel et ses yeux brillaient comme deux étoiles de jade. Il était très classe, avec veste et chemise grises, jean et chaussures noires. Il m’embrassa doucement sur la bouche, puis dans le cou, avant de me murmurer à l’oreille : « Bon anniversaire... Come on, je t’invite à dîner. Il faut qu’on parle. »

Il m’emmena dans un magnifique restaurant français, “La Grenouille” ; l’ambiance était ultra romantique, les plats ultra chics, le menu ultra cher : j’allais manger pour au moins un demi-mois de salaire ! J’en rougissais d’avance.

« - Cet endroit est magique, Louka ; merci…

- My pleasure… Ce n’est pas tous les jours que tu as 29 ans.

- C’est vrai ! Mais je ne m’attendais pas à un aussi beau cadeau... Tell me, ce serait abusé si je te demandais quelque chose d’autre, en plus de ce merveilleux menu à six plats ?

- Who knows ! Tu peux toujours essayer…

- Voilà ; je ne supporte plus ton éternel t-shirt.

- Quoi ? What the hell are you talking about ?

- Louka, depuis que tu as eu ton accident, tu te planques sous un t-shirt. Tout le temps. Pour dormir. Pour faire l’amour… On dirait une vierge effarouchée protégeant sa vertu ! J’en ai marre.

- Je… Je n’ai pas envie que tu voies les marques de la thoracotomie. C’est affreux. Je t’assure.

- Ok, peut-être ; mais moi j’en ai assez de faire des câlins avec un morceau de tissu… Merde, je veux toucher ta chaleur, caresser ta peau, sentir ton odeur. La prochaine fois que tu gardes ton t-shirt, je le brûle.

- Tu exagères… Et puis je suis déjà zébré de tous les côtés, alors évite de me brûler en plus de tout le reste !

- Je te l’enlève d’abord et je le brûle ensuite.

- Mais Romy, essaie de comprendre…

- Comprendre what ?

- Je ne veux pas que tu voies ça.

- So ! Tu penses vraiment que je vais partir en courant à cause d’une cicatrice ?

- Je ne sais pas.

- Qu’est-ce qui peut bien te faire croire une chose pareille ?

- Well… I don’t know.

- Si. Tu as quelque chose en tête, là. I can see it.

- If I tell you, you promise that you will not laugh at me ?

- I promise.

- Bon. J’ai toujours… Beaucoup plu. Aux filles, I mean. Sans me fatiguer.

- Oui. Et alors ?

- En fait, il me suffisait juste d’être beau, bien roulé, un peu bronzé… On ne m’en demandait pas plus.

- And ?

- And now, j’ai l’impression d’être défiguré, balafré, couturé. Moche...

- Oh… Actually comme tu as toujours été le plus beau, tu crois que je vais te tourner le dos parce que soudain tu es un tout petit peu moins parfait ? C’est ça que tu as en tête ?

- Indeed. Un peu.

- Louka… Comment te dire… Bon, I am sorry, mais tu es complètement à côté de la plaque.

- Comment ça ?

- First of all, il serait temps que tu comprennes que même si je te trouve beau comme dans les journaux débiles que je lisais avec mes copines quand j’avais 14 ans, même si je crois presque aux miracles quand je te vois dormir tout nu à côté de moi, même si je me noie volontiers dans tes beaux yeux comme dans un océan d’émeraude, même si j’adore que mes mains se baladent tout au long de ta peau ferme comme du velours… Même si plein d’autres choses encore ! Il n’empêche que je ne vois pas que ça chez toi.

- …

- Ensuite, franchement, tu crois que tu es devenu moche juste à cause d’une cicatrice ?

- Une cicatrice affreuse, énorme, enflée, rouge, et en plein milieu de mon torse.

- Anyway ! Tout le reste est intact.

- Euh, tu oublies que j’ai ai plein d’autres, des sutures, plus petites certes mais quand même ; on dirait un zombie mal cousu.

- Louka, je te jure qu’il en faudrait plus pour me donner envie de faire demi-tour quand je te déshabille ! Par contre, le coup du t-shirt, franchement… Tu aurais envie que je garde mon haut quand tu me fais l’amour ?

- Non... Non, c’est vrai.

- Et imaginons que j’aie une cicatrice bien laide pile entre les seins, tellement vilaine que même pour me faire plaisir, tu serais incapable de faire semblant de la trouver supportable… Est-ce que tout le reste de mon corps te semblerait soudain repoussant ?

- Non.

- Tu aurais moins envie de moi?

- Non, je pense que non…

- Et si j’étais très mal à l’aise avec ça, complexée et tout, tu ferais quoi ?

- Hmm… I guess I would do my best pour te montrer que tu me plais toujours.

- Very well. Alors tout-à-l’heure, je m’y colle !

- ...

- Tu me fais confiance ?

- …

- J’irai tout doucement, je te le promets. Mais on commence ta rééducation ce soir.

- Peut-être... Mais pas aujourd’hui ; actually je n’ai pas prévu de dormir chez toi. »

Louka me dit cela tout bas, avec une drôle de timidité qui ne lui ressemblait pas du tout. Pendant quelques secondes, il garda ses beaux yeux baissés. Mon cœur se serra comme on essore un pauvre citron innocent et j'attendis la suite.

*Coups et blessures, de BB Brunes ; in Long courrier, 2021.

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