XXII. La nuit je mens

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XXII. La nuit je mens*

Je suivis la scène du bout des oreilles : d’abord les talons de Chiara qui s’éloignèrent furieusement avec un indéniable sens de la mise en scène, puis des petits pas clopin-clopant qui scotchèrent sur mon visage un petit sourire idiot, et finalement une voix de velours teintée de fatigue mais chaude, douce, vibrante. Mon cœur entreprit un triple axel dans ma poitrine, sans élan et sans se préoccuper de sécuriser son atterrissage.

« - Bonjour Romy. How are you ?

- Salut. I’m fine, merci. Je suis chez toi. Chiara est furieuse ou je rêve ?

- Oh, ce n’est rien…

- What did you do ?

- Pas grand chose. Comme chaque 31 décembre, on a sorti quelques bateaux pour faire une régate entre monos dans le golfe de Porto. Pietro gagne presque tous les ans… J’étais juste derrière lui, j’ai été imprudent, je me suis planté méchamment et il a dû faire demi-tour pour me récupérer. La mer est toujours la plus forte et elle me l’a rappelé assez violemment ! J’ai une belle attelle à l’épaule, un joli plâtre au poignet et toute une escadre de points de suture. Pietro is furious because he had to give up the race, and Chiara is upset because I have been unwise and put us both in danger.

- Why did you do that ?

- Because I needed some fresh air in my mind, I guess… Et puis j’ai mal calculé mon virement, je pensais que ça passerait… Ce sont des choses qui arrivent ! Anyway. Merci d’être passée chez moi. Du courrier ?

- Oui : de la pub, ta facture d’électricité, et une grosse lettre de Thomas Carter.

- De Thomas ? Tu veux bien me la lire ?

- Oui… Voilà. Dear Louka, I had a look in your mother’s stuff as I promised : here are your moroccan letters… I found them in the bottom of a drawer, in our kitchen, hidden behind cooking books we’ve never opened. I swear to you that Natalia never mentioned them, I did not know anything about that. I am so sorry, Louka ; sorry about how your mother did not take care of you, sorry about all these years I did nothing but keeping my mouth shut. Now that I know what it means to raise a child, to love a child, I fully understand what that woman meant to you, what she did for you. I know she hold your hand for your first steps and signed your school reports for many years. And I really hope it is not too late for you to go back to the country where you grew up, to run back into the arms of the one who has been for you everything Natalia never was. I also hope to see you soon, Mila misses you so much ! You will always be most welcome at our place : please remember that. Take care. Thomas.

- …

- Il y a des enveloppes à l’intérieur : plusieurs encore fermées et une ouverte, un peu froissée, avec dedans une lettre en arabe… Louka, are you still there ?

- Oui oui, je t’écoute, je… J’essaye de comprendre.

- Natalia ne t’a jamais donné ces lettres ?

- Non…»

Sa réponse n’était qu’un murmure, une toute petite chose perdue comme un radeau dans l’océan. Je n’eus ni le cœur ni le temps de lui faire remarquer que ça faisait des lustres qu’il ne m’avait pas donné signe de vie : il raccrocha presque immédiatement, après m’avoir remerciée d’une voix blanche. Et il était si hébété qu’il suivit sûrement Chiara chez le kiné sans autre forme de protestation.

Le soir même, assez tard, Louka me gratifia d'un texto-fleuve : “Hey... Je suis un peu à côté de mes pompes depuis quelque temps. Thank you for everything. Je ne t’ai même pas demandé de tes nouvelles, j’espère que ça va ? As-tu passé de bonnes vacances aux Etats-Unis ? As-tu vu Mila ? Comment se sont passés tes exams ? Je reviens à Paris dès que le kiné m’y autorise, dans une dizaine de jours si tout va bien. Je dois absolument lire ces lettres... We could have dinner together wherever and whenever you’d like, if you don’t mind driving parce que pour l’instant, je ne peux pas toucher un volantÇa te dit ? Je t’embrasse. LK.”

Bon, il y avait du mieux… Certes il m’embauchait comme chauffeur au passage ; mais un chauffeur qu’il invitait à dîner, ce n’était pas si mal ! Et je dus me rendre à l’évidence : j’avais très envie de le voir.

Alors de fil en aiguille, je proposai de venir les récupérer à l’aéroport, lui et son plâtre, dès qu’ils seraient en état de revenir à Paris.

* La nuit je mens, d'Alain Bashung ; in Fantaisie militaire, 1998.

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