CCXXXIII. L’un pour l’autre

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CCXXXIII. L’un pour l’autre*


Nous débarquâmes en plein chantier. Les parties communes et notamment les cottages, le restaurant, la réception étaient en parfait état mais nous voulions refaire la décoration, pour que notre domaine nous ressemble, nous rassemble… Après moultes discussions, chacune des maisonnettes fut baptisée d’un nom de ville : Cagliari, Ostende, Cheyenne, Essaouira, New York, São Paulo, Manille, Paris et Bruxelles. Par respect pour la beauté brute du littoral, nous ne choisîmes que des teintes très sobres, minérales, harmonieuses, pour une ambiance marine et naturelle. Dans les chambres, des photographies en noir et blanc rappelaient les paysages du bout du monde ou de l’île d’en face, selon les cas… Notre seul luxe, mais nul ne pourrait le deviner, était que certaines étaient signées Thomas Carter, Luís Kerguelen ou Chiara Battisti.

Dans la maison, nous fîmes installer deux immenses baies vitrées face à la mer, ouvrant plein ouest sur la terrasse partagée et les merveilleux couchers de soleil que voudrait bien nous offrir la Corse. Dans leur nouveau chez-eux, Pietro et Ingrid installèrent une suite parentale au rez-de-chaussée (avec un dressing, mon rêve…) et alignèrent trois très petites chambres à l’étage, face à une grande salle de jeux pleine de couleurs et de playmobils. De notre côté, Louka et moi décidâmes de créer une mezzanine où donnerait notre chambre et sur laquelle il voulut absolument poser un filet « comme sur un catamaran » soi-disant pour faire plaisir aux enfants… Mais je ne compte plus le nombre de fois où il s’y installa lui-même pour lire ou faire la sieste ! En bas, nous fîmes deux chambres et un bureau donnant sur le maquis. Cerise sur le gâteau, nous ouvrîmes un puits de lumière au-dessus du salon et un grand velux dans notre chambre : « pour le cas où, avec le temps, tu te mettrais à regarder le plafond quand je te fais l’amour » précisa Louka dans un sourire absurdement fier de sa bêtise.

Côté jardin, tout était en friche. Mais nous ne nous laissâmes pas décourager pour autant ! Nous édifiâmes un muret en pierre et un joli portail rouge pour ne pas risquer de perdre l’un ou l’autre loupiot. Nous installâmes un barbecue, pour le plus grand bonheur culinaire de Pietro ; deux hamacs, pour nos siestes estivales ; une balançoire qui faillit rendre Lucia folle de joie ; trois lampadaires anti-moustiques dont la lumière bleue fascina Lisandru ; et une piscine gonflable qui arborait un faux palmier et un toboggan jaune et sur laquelle Nils s’extasia à grands cris.

Naturellement, les travaux allaient durer un moment… Et en attendant, c’était un joyeux capharnaüm ! Nous avions engagé des ouvriers pour réaliser une bonne partie du chantier, Louka et Pietro ne s’occupant que des chambres des enfants. Mais il allait falloir des semaines pour que chacun puisse emménager dans son petit nid ! Lucia aurait droit à une chambre bleu marine avec quelques touches de fuchsia et des rideaux pleins de poissons qu’elle avait choisis elle-même. Nils retrouverait les teintes de bois et de savane qu’il avait déjà à Paris, ainsi que sa lampe marocaine et son tapis (volant ?) digne des mille et une nuits. Lisandru profiterait d’un mur peint dans le rouge le plus flashy du magasin, de son plafonnier-montgolfière auquel je tenais tant et d’une commode rigolote en forme de monstre. Sans oublier notre fille à naître, pour qui son père et Zio Pietro prépareraient la plus adorable des chambres.


En attendant, c’était donc camping pour tout le monde, ou plutôt incruste collective chez Chiara ! Mais elle ne protestait même pas : d’autant que mon gros ventre me donnait tous les droits… Nous ne serions jamais prêts pour la saison touristique, comme nous le fit aigrement remarquer Madame Leca, l’éminente et barbue directrice de l’office de tourisme intercommunal, qui nous toisa de son verbiage desséché et à laquelle Ingrid répliqua du tac au tac, grands yeux clairs et franchise à outrance, que nous serions au moins en avance pour l’été suivant !

Au hasard d’une annonce, nous trouvâmes une nounou parfaite pour notre (bientôt) quatuor de minis-monstres : horaires élastiques, bienveillance fantastique, adresse alentour, énergie à revendre et bac à sable dans le jardin : elle avait tout pour plaire ! Elle s’appelait Monique et vivait à l’entrée de Sagone depuis dix générations, avec un mari pêcheur et un accent corse à couper au couteau. Je l’adorai instantanément, et la suite ne me donna pas tort. Cette rencontre fut un vrai soulagement car à force de courir dans tous les sens, nous étions tous épuisés.


Un dimanche, il faisait un temps superbe sur la langueur épicée de la Corse. Pietro était parti faire des courses à Ajaccio, Ingrid gardait les deux petits à la maison et Chiara avait emmené Lucia au marché pour acheter un poulet rôti et un ballon rouge. Louka rentrait d‘un aller-retour à Paris pour une audience, il était exténué et à bout de patience. Aussi le traînai-je à la plage, presque contre son gré ! Il était anormalement blanc et n’avait besoin que d’une chose : dormir, de préférence bercé par la mer et cerné par mes bras. Nous nous assoupîmes donc joyeusement, lovés dans la lumière estivale comme deux touristes bienheureux, mes doigts scotchés à la peau si douce de son ventre. Au point que le soir-même, nous avions pris des petits coups de soleil… Le mien était adorable, teintant gentiment mes joues d’un rose excessif, lumineux. Mais celui de Louka me fit beaucoup rire puisqu’il arborait, imprimée en vanille sur fond fraise, la trace de ma main en plein sur sa peau. Comme s’en amusa Chiara : « Va bene, Romy, voilà qui est bien plus efficace qu’une banale alliance pour marquer ton territoire… » Louka râla dans sa barbe et Pietro se moqua de lui pendant au moins 48 heures.


Quelques jours plus tard, alors que je regardais la mer depuis la chambre, avec mon ventre prêt à exploser et mes yeux sciés par tant de beauté, j’entendis Chiara et Ingrid discuter depuis la fenêtre voisine et je les rejoignis. Nous restâmes ainsi, toutes les trois et demi, à regarder d’en-haut une bien jolie scène qui se jouait sur la terrasse.

Louka et Pietro étaient installés tête-bêche sur des transats, chacun câlinant un enfant qui n’était pas le sien. Nils trônait dans les bras de mon amoureux comme un petit roi, il jouait gentiment avec son doudou en faisant des bulles avec sa bouche. Mon fils était heureux comme un astre sur les genoux de Zio Pietro, il regardait un petit livre et racontait je-ne-sais-quoi à son chameau en peluche. Au milieu, Lucia s’était assise en tailleur sur le sol et jouait aux petites voitures sous les yeux indulgents de Mayol 2. Quel adorable tableau ! La Corse était douce tout autour d’eux, Ils discutaient doucement en italien et ils souriaient non stop dans l’air du soir.

« - Ils sont beaux… murmura Ingrid.

- Canons, approuvai-je.

- Magnifiques, renchérit Chiara.

- …

- …

- Vous savez, reprit cette dernière, l’autre jour, un journaliste m’a demandé lequel de mes films me donnait le plus grand sentiment de fierté. Lequel je voulais laisser à la postérité… Je ne me souviens même plus de ce que je lui ai répondu. Mais peu importe… Car en vrai, c’est ça que je veux laisser. Louka et Pietro, avec les enfants, plantés au cœur de la Corse comme si rien ne pourrait jamais les séparer. C’est d’eux dont je suis le plus fière ! D’eux et des trois petits…

- Bientôt quatre… souris-je.

- …

- Euh… En fait, annonça Ingrid, bientôt cinq ! »



*L'un pour l'autre, de Maurane ; in L'un pour l'autre, 1998.

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