CCXXVI. Quelqu’un m’a dit

4 minutes de lecture

CCXXVI. Quelqu’un m’a dit*


Avec Pietro, j’avais le luxe de pouvoir dîner avec un homme séduisant, intelligent, drôle, mais sans l’ombre d’une ambigüité, à double titre : celui de mon amitié avec sa femme et celui de la sienne avec Louka. Cela donnait à notre relation un moelleux très agréable, très bienveillant, dans lequel je décidai de me blottir sans hésitation, dans les méandres de la nuit parisienne et du (troisième…) verre de vin qu’il me servit généreusement.


« En fait, Pietro, en ce moment… Je suis inquiète.

- Allons donc… Et pourquoi ?

- Depuis ce film, Louka se fait draguer encore plus qu’avant ! Ce qui n’est pas peu dire… Moi je suis là avec mes grosses cuisses et ma marmaille, pendant qu’il y a des dizaines de filles superbes qui n’attendent qu’un regard de ses beaux verts verts.

- Mouais… Je ne suis pas sûr qu’un regard leur suffise.

- Euh… Tu ne m’aides pas, là !

- Romy… Tu délires. Les filles lui courent après, c’est vrai. C’est comme ça depuis qu’on a douze ans ! C’est la norme, pour Louka. Mais il gère… Et puis, c’est fini tout ça.

- Comment peux-tu en être si sûr ?

- Pardon de te répondre si abruptement, mais… Il a couché avec tellement de nanas qu’il ne lui reste plus rien à explorer de ce côté-là. Et puis il s’en fichait éperdument, au point que je me suis parfois demandé si ça n’avait pas un lien avec certains aspects de l’enfance de son père, du moins quand j’ai su ce qui était arrivé à Luís.

- Quoi, elles l’ont violé, peut-être ?

- Bien sûr que non. Mais… Je ne sais pas. Quelque chose cloche dans son rapport à son propre corps. Bref, ce que je veux dire, Romy, c’est que ce que tu lui donnes, toi, aucune autre ne le lui a donné. Les femmes le veulent, bon. Toi, tu l’aimes. Ce n’est pas pareil.

- Et lui ?

- Il t’aime aussi. Tu ne le sais donc pas ?

- Ça dépend.

- Mais non, ça ne dépend pas ! Arrête donc de psychoter… Ça se voit comme le phare de la Madonetta devant le port de Bonifacio. Comme le Monte Cintu par-dessus les nuages. Comme la citadelle de Calvi tout au bout de sa baie. Comme la tour génoise de la Parata devant les Sanguinaires… Je continue ?

- Gnagnagna… Tu te moques de moi !

- Je ne me moque pas. Mais j’ai bien le droit d’en faire trop : je suis italien ! C’est génétique.

- Pfff !

- Romy, je connais Louka comme si je l’avais tricoté. Et il t’aime, je peux te l’assurer.

- Il ne me l’a jamais dit…

- L’imbécile… Et toi, tu le lui as dit ?

- Pas souvent, mais oui.

- Et ?

- Il n’a rien répondu.

- …

- …

- En fait, je crois que si, il t’a répondu ; mais autrement.

- Comment ça ?

- Il a sauté dans un avion pour te rejoindre à Essaouira, alors qu’il croyait que tu étais enceinte. S’il ne t‘aimait pas pour de bon, il t’aurait laissée partir à ce moment-là.

- …

- Et puis, tu me dis si je me trompe, mais j’ai l’impression qu’il ne serait pas contre l’idée de te faire un deuxième enfant, ces temps-ci ?

- Euh… Peut-être. Comment tu le sais, il t’en a parlé ?

- Non... Mais je le sens. Je finis toujours par comprendre ce qu’il ne dit pas, l’animal ! En tout cas, si ça, ce n’est pas une déclaration d’amour au pays de Louka Kerguelen, alors je ne m’appelle plus Battisti.

- …

- Tu veux que je lui parle ?

- Non, merci, Pietro. Tu en as déjà assez fait.

- Moi ? Je n’ai rien fait.

- Si. Ingrid m’a raconté tout ce que tu as dit à Louka pour lui secouer les puces pendant cette fête à l’école de voile, il y a longtemps… Enfin, après votre accident.

- Ah ! Oui. Du Louka tout craché. Je l’aurais étranglé !

- Anyway, je suis contente que tu l’aies fait, sinon on y serait encore ! Mais aujourd’hui, je préfèrerais que ça vienne de lui.

- Louka ne dit pas ces choses-là. Mais il les montre, partout, tout le temps. Il ne triche pas, et sous ses airs de beau gosse il n’y a que du vrai. Tu le sais, non ? Ce n’est pas son truc, les chandelles et les bouquets de fleurs. Accepte-le… Il ne déguise jamais rien : chez lui tout est brut, sans fard, sans artifice. C’est étonnant, d’ailleurs, pour quelqu’un qui a été élevé par un acteur et par une réalisatrice ! Sur ce plan-là, il a tout pris chez Malika.

- Sûrement.

- Romy… Louka croit que l’amour, sous toutes ses formes, est une vulnérabilité. Alors il flippe. C’est pénible, j’imagine, mais il est comme ça.

- Moi je dirais plutôt que c’est une force, non ?

- Bien sûr ! Et il finira par le comprendre. Bon, tu veux un dessert ? »


La soirée se termina devant deux gigantesques coupes de glace noyées de chantilly et de coulis au chocolat, sans oublier les traditionnels petits parapluies en papier multicolore et les incontournables cierges magiques dont les étincelles firent se retourner toute la salle.

Confiance, sucre et bienveillance : Pietro avait trouvé le trio gagnant pour me remonter le moral.



*Quelqu'un m'a dit, de Carla Bruni ; in Quelqu'un m'a dit, 2002.

Annotations

Vous aimez lire Marion H. ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0