CCXXIV. Le premier jour (du reste de ta vie)

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CCXXIV. Le premier jour (du reste de ta vie)*


Après notre petite évasion du Palais des Festivals, et un bain de minuit assez torride dans notre jacuzzi privé, Louka et moi avions dormi comme deux loirs. C’était plutôt inattendu compte-tenu du contexte, mais peut-être que la bouteille de champagne que nous avions partagée sur la terrasse au beau milieu de la nuit nous avait un peu aidés à trouver le sommeil…

Le réveil fut peu glorieux. J’avais une barre dans le crâne et Louka semblait tout chiffonné. Affamée comme une louve, j’appelai le room-service : continental breakfast pour moi et café noir très serré pour lui. Une douche et vingt minutes plus tard, Louka ralluma son téléphone qui vibra frénétiquement. Il fronça les sourcils puis se mit à sourire franchement avant de me montrer son écran : cinq appels en absence et dix-huit textos de Chiara ! Qui râlait un peu, dit-il, mais pas tant que ça, de notre désistement de la veille. En revanche, il avait intérêt à être au rendez-vous du marathon journalistique des jours à venir, sous peine de mort à la mode de Sardaigne.


Pendant toute la durée du festival, Louka se transforma en courant d’air. Il enchaînait les interviews depuis le petit-déjeuner jusqu’au dîner, allant de photographes en plateaux télévisuels, en passant par des échanges plus informels dans tel ou tel café de la Croisette. Il partait tôt, rentrait tard, et à part sa chaleur qui venait se fondre dans la mienne pendant la nuit, il n’était jamais là. Il n’y eut qu’une seule exception, le troisième jour : Malika nous invita à dîner, elle repartait en Argentine le lendemain et voulait s’assurer que son fils allait bien, malgré l’onde de choc médiatique qui l’attendait. Nous discutâmes du film, du crime, du Brésil, de cette photographie finale si terrible qu’elle avoua avoir prise en cachette un matin, en pensant que peut-être, un jour, il lui faudrait montrer à Louka ce que son père avait toujours caché.

Chiara, quant à elle, était dans son élément. Elle gérait cette effervescence assez intrusive comme si les interviews à la chaîne étaient une activité parfaitement banale, comme un footing du dimanche ! Mais Louka était beaucoup moins à l’aise, je le sentais puiser dans ses réserves du matin au soir. Il détestait tout cela, et finit même par me dire que ça lui rappelait le grand bal médiatique dans lequel s’étourdissait Natalia. Pourtant la presse était plutôt bienveillante, les papiers étaient bons, les échanges étaient positifs : non seulement sur le film et sur la mémoire de Luís mais aussi sur Louka, sa vie, son œuvre… Et ses beaux yeux, car je ne comptais plus le nombre de fois où il avait retrouvé le numéro d'une journaliste glissé dans sa poche.

Quant à moi, mon emploi du temps était moins atomique. Chaque matin, je rejoignais Pietro et Ingrid. Nous passions nos journées à la plage, au parc d'attractions, au delphinarium ou en virée shopping, selon la météo et nos envies. De vraies petites vacances ! Même si mon loupiot, que je savais pourri-gâté par mon Daddy sous la pluie parisienne, me manquait beaucoup.


Ainsi arriva le soir du palmarès. Le film de Chiara avait été projeté hors compétition, il n’y avait donc aucun suspense concernant un éventuel prix mais nous fûmes cependant embarqués, un peu contre notre gré, pour le dîner officiel : Chiara et Louka d’un côté, avec les VIP… Pietro, Ingrid et moi de l’autre, avec le reste du monde. Les garçons s’en amusaient, disant avoir l’impression de retomber en enfance tellement ils avaient pu traîner dans ce genre de mondanités lorsqu’ils étaient jeunes. Moi, j’avais la sensation d’être à Disneyland ou au Muppet Show ! J’étais excitée comme une gamine, je croisais des visages connus à tous les coins de salle et je les trouvais vieillis, arrogants, trop maquillés.

Pietro, bien que happé toutes les cinq minutes par quelqu’un qu’il connaissait, resta avec sa femme et moi, près du bar. Au départ, nous nous sentions toutes les deux raides et engoncées comme des verrues sur un orteil, mais au fil des heures et des coupes de champagne, nous nous détendîmes jusqu’à passer finalement une excellente soirée à ricaner bêtement de tout et de n’importe quoi. Ingrid remercia son mari, d’une voix trop forte, de nous tenir gentiment compagnie. Et celui-ci, bon prince comme toujours, l’embrassa en affirmant : « Tu plaisantes ? J’ai le meilleur rôle de la soirée ! Regardez ce pauvre Louka, non seulement il a ma mère sur le dos mais en plus, il se fait harponner pour la énième fois par une pimbêche… Alors que moi, je vide le bar en compagnie des deux plus jolies filles du coin ! Je n’échangerais ma place pour rien au monde… Et puis, vous êtes trop drôles quand vous êtes pompette. »


Vers une heure du matin, ils me déposèrent devant l'hôtel. J’étais effectivement un peu ivre, et c’est à peine si j’eus le courage de me doucher avant de m’effondrer sur le lit où je m’endormis aussitôt. Ce fut Louka qui me réveilla, trois heures plus tard, en s’asseyant près de moi. Il faisait noir mais ses yeux brillaient doucement, il avait le col ouvert, les mains chaudes, il sentait l’alcool, le tabac, la transpiration. Il m’embrassa en murmurant à mon oreille : « Miam, tu sens bon… But moi, je pue ! Je vais prendre une douche et j’arrive. And then, on pourrait s’employer à le faire, ce Numéro Deux ? J’ai envie de toi… »

Cette tirade réveilla instantanément les quelques neurones qui restaient opérationnels dans mon cerveau : avais-je rêvé ou Louka venait-il de me dire qu'il voulait un autre enfant ?

Il me fit l’amour avec beaucoup de douceur, comme si quelque chose en lui s’était infiniment allégé. Il était nu au creux de mes reins, lèvres baladeuses et mains gourmandes, il était délicieux, cuit à point, sa peau était chaleureuse comme un carré de soie.

Dehors s’allumaient les toutes premières lueurs de l’aube par-dessus la mer. C’était magnifique, et lorsqu’un peu plus tard, nous sortîmes admirer le jeu du soleil sur la Méditerranée, je me collai à lui, l’entourant de mes bras dans le silence de ce nouveau jour. Puis je lui dis tout bas : « Now Louka, you'll be fine… Everything will be fine. » Il m’attrapa les doigts sans rien ajouter.


Durant les semaines qui suivirent, il reçut via son agent des milliers de courriers, messages, emails et autres. Quelques insultes, certes, mais aussi et surtout des lettres de soutien, des élans lyriques pleins d’admiration, des déclarations d’amour, des propositions sexuelles… Et 183 demandes en mariage, venant de 44 pays différents. Grrrrrrrrrr !



*Le premier jour (du reste de ta vie), d'Etienne Daho ; single, 1998.

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