CCXVIII. I can see clearly now

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CCXVIII. I can see clearly now*

Le 21 mars marqua la double arrivée du printemps et de Malika, qui débarqua comme une fleur de ceibo, à peine 16 heures après avoir envoyé à son fils un texto minimaliste annonçant qu’il fallait qu’elle lui parle et qu’elle prenait le prochain avion. C’était un samedi en fin de matinée, j’avais préparé des pancakes et des œufs brouillés pendant que Louka se chargeait d’habiller son fils et jouait avec lui pour se changer un peu les idées. Un coup de sonnette et quelques embrassades plus tard, nous nous attablâmes tous les trois, tandis que Lisandru s’occupait avec une passion non dissimulée d’un morceau de papier chiffonné et de son lama en peluche, assis dans son petit parc dans un coin du salon.

« - Mama, que se passe-t-il pour que tu traverses la planète tout d’un coup ? C’est grave ?

- Habibi…

- Quoi ?

- Mais… Calme-toi, s’il te plaît.

- Pardon… C’est juste que la dernière fois que quelqu’un avait quelque chose à me dire, c’était Chiara avec son cancer ; alors…

- Louka, je suis en parfaite santé, ne t’inquiète pas.

- …

- Comment va Chiara, d’ailleurs ?

- Bien. Enfin, mieux, disons.

- Hamdullah ! Elle est courageuse, comme toujours… Et tenace, ce qui est précieux dans de telles circonstances.

- …

- Bref. Il faut que je te parle, mon fils.

- Je vais vous laisser… suggérai-je.

- Non, Romy, reprit-elle. Reste, s’il te plaît.

- Et donc ? s’impatienta Louka.

- Je suis venue pour te parler de deux choses, Shams. La première…

- …

- La première, c’est… Souleymane. Tu te souviens de lui ?

- Oui.

- Bien. Donc, avec Souleymane, petit à petit, notre relation a évolué, tu comprends ? Aujourd’hui, disons qu’il est… Mon compagnon, ou quelque chose comme ça.

(Le regard de Louka passa du jade au marbre)

- …

- Habibi, reprit-elle sans flancher, je sais que c’est un peu compliqué pour toi… Et je ne te demande pas vraiment ton avis ! Mais j’aimerais que tu me comprennes. Que tu me pardonnes, même, si vraiment tu estimes en avoir besoin. Et que tu acceptes…

- Moi, m’écriai-je, j’en étais sûre ! Je suis contente pour vous, Malika, Souleymane est charmant. Et puis il est comme vous, à la fois de partout et de nulle part.

- Merci, Romy.

- …

- Louka, tu ne dis rien ?

- Que veux-tu que je te dise, Mama… Je sais que c’est bien pour toi, et même, je dois bien avouer que je l’avais trouvé sympa, ce Souleymane. Drôle. Intéressant. Mais…

- Mais ?

- Je ne suis pas prêt.

- Shams… Tu as 32 ans. Tu as passé l’âge de jouer au “fifils” à sa maman, non ?

- Hmmmmm…

- Mais encore ?

- Je veux bien ne plus jouer au “fifils” à sa maman… Enfin, je veux bien essayer !

(Malika sourit)

- Mais ?

- Mais j’ai plus de mal à ne plus jouer au “fifils” à son papa…

- Et donc ?

- Il va me falloir un peu de temps, Mama, pour accepter que tu aimes un autre homme que lui.

- Mon amour… Si tu savais comme je comprends cela ! J’ai mis des années à faire ce chemin. Et puis un jour, j’ai su que ça ne servait à rien de sacrifier ma vie comme Luís a choisi de sacrifier la sienne. J’ai mis dix-huit ans, Louka. Dix-huit ans.

- Alors tu veux bien me laisser un peu de temps ?

- Bien sûr… Je te laisse, disons, deux heures ! Le temps de te parler de mon deuxième sujet.

(Ce fut à mon tour de sourire franchement devant la tête estomaquée de Louka)

- …

- Habibi, j’ai voulu t’apporter cela en personne. C’est Souleymane, justement, qui a réussi à se le procurer pour nous.

(Elle sortit de son sac une liasse de papiers soigneusement pliée, portant une en-tête officielle)

- Oh… devinai-je. C’est l’interrogatoire de votre mari ?

- Oui, Romy. C’est le procès-verbal de son audition, la veille de sa mort, par la police fédérale brésilienne.

- Et… s’étrangla Louka.

- Et le chaînon manquant est dedans, habibi. La vérité, celle que tu cherches depuis tout ce temps, eh bien ! Elle est ici, maintenant.

- …

- Tiens, c’est la seule copie. Je te la donne. Quand tu l’auras lue, détruis-la ou garde-la, comme tu veux. Mais ne la laisse pas traîner, et ne la diffuse pas ! Souleymane aurait de graves ennuis.

- …

- Louka, intervins-je en lui prenant la main, are you okay ?

- I’m fine.

- Shams, si tu n’es pas prêt…

- Je suis prêt, Mama. Et je vais enfin savoir, n’est-ce pas ?

- Oui.

- Et…

- Louka, en lisant cela, tu vas savoir qui Luís a tué, pourquoi et comment.

- …

- Mama ?

- Oui, habibi ?

- Quand j’aurai lu ces trucs… A ton avis, est-ce que… Est-ce que je vais avoir honte de lui ?

(Les yeux de Malika se mouillèrent de larmes et elle eut un tout petit sourire)

- Tu seras le seul à pouvoir répondre à cette question. Mais… Je ne crois pas.

- …

(Les mains de Louka se mirent à trembler, la droite s’emparant de ces quelques feuillets, la gauche s’accrochant à mes doigts)

- Finalement, parler du nouvel homme que j’ai dans ma vie était la partie la plus sympa de la discussion, tu ne trouves pas ?

(Il sourit, un peu brusquement, mais spontanément)

- …

- Mon fils... Si un jour, tu me demandais de choisir entre Souleymane et toi, c’est toi que je choisirais. Alors le mieux, c’est que tu ne me le demandes jamais, tu comprends ?

- Tu en es sûre ? Je veux dire, que tu me choisirais, moi…

- Sûre et certaine, oui.

- Alors je crois qu’il ne faut pas laisser passer un homme qui a l’élégance de risquer sa carrière pour rendre son honneur à ton ancien mari.

- …

- Tu le remercieras pour moi ?

- D’accord.

- …

- Maintenant, habibi, je vais te laisser prendre connaissance de tout ça… Et emmener Lisandru prendre l’air au Luxembourg, si vous êtes d’accord ? Romy, reste près de Louka, s’il te plaît. Il ne faut pas qu’il lise cela tout seul. »

*I can see clearly now, de Jimmy Cliff ; in Cool runnings, 1993.

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