CCXVI. Toi mon amour

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CCXVI. Toi mon amour*

C’est au milieu de cette triste ambiance que j’eus soudain 32 ans. Nous n’avions guère le cœur à la fête, Louka se montrait assez silencieux, un peu distant, restant souvent seul avec son inquiétude. Il appelait Chiara tous les soirs et descendait voir Pietro pour un oui ou pour un non... Ils ressemblaient à deux adolescents qui seraient restés tout seuls à la maison pendant que leurs parents partaient en week-end et qui, au lieu de faire des bêtises, se retrouvaient bêtement amorphes, déboussolés, inertes.

La semaine précédente, nous avions reçu dans notre boîte aux lettres une adorable petite carte : d’un côté, un dessin de Lucia (était-ce une maison, un dauphin, une patate ? C’était indéterminable mais je n’avais naturellement pas manqué de m’extasier !) et de l’autre, quelques mots d’Ingrid nous invitant, Louka, Lisandru et moi, à être tout habillés et opérationnels le jour J à 19h précises.

A l’heure dite, on sonna à la porte et nous n’étions pas prêts. Louka était torse nu, chemise à l’épaule, son boxer dépassant de son jean et sculptant son ventre si ferme sur lequel mes doigts aimaient tant à se promener. Quant à moi, j’étais dûment habillée mais sans collants ni chaussures, face à moi-même dans la salle de bains, armée d’un mascara noir et d’un crayon khôl bleu métallisé. Seul notre fils était présentable, trônant sur le tapis avec son petit pull marin et son grand sourire en coin.

Les Battisti, mari et femme, entrèrent sans cérémonie. Ingrid portait deux sacs aux couleurs d’un célèbre traiteur italien qu’elle déposa cérémonieusement sur le bar, tandis que Pietro, sans hésiter, attrapa Lisandru et lui demanda : « Alors, crapule, tu es prêt pour ta soirée chez Zio ? » En retour, il obtint une risette infinie de l’intéressé et un commentaire acerbe de Louka.

« - Tu es venu kidnapper mon fils, Pietro mio ?

- Assolutamente.

- Perché ?

- Perché tel que je te connais, tu dois être assez chiant et solitaire, ces temps-ci… Alors Romy a bien mérité que tu t’occupes d’elle pour son anniversaire.

(Louka marmonna quelques mots incompréhensibles en italien, souriant malgré lui)

- …

- Regarde, intervint Ingrid, tu n’auras même pas besoin de cuisiner ! On a tout prévu.

- Va bene…

- Et si tu ne sais pas comment passer le temps, claironna Pietro, fais-lui un autre enfant ! »

Ils repartirent comme deux tornades rieuses, mon fils dans les bras, en criant à tue-tête « Bon anniversaire, Romy ! » Je ris de bon cœur et me tournai vers Louka.

« - Ils se sont vraiment bien trouvés, ces deux-là !

- Indeed. Presque trop…

- Tu étais au courant de ma surprise ?

- Non, non…

- Hmmmm, ça sent bon tout ce qu’ils ont apporté.

- Tu as faim ?

- Oui ! Mais avant…

- Avant, what ?

- Je crois que je vais commencer par toi. Comme amuse-bouche.

- Really ?… C’est un programme, disons… Alléchant ? »

Je fis honneur à mon vocabulaire et l’attrapai par la taille pour l’entraîner dans la chambre. Il avait la peau fraîche et douce, il sentait l’Orient et le savon noir, il ondulait sous mes lèvres comme une pièce de velours sous les assauts du vent. Il était doux comme un méchoui sur les braises, il se laissait parcourir de bas en haut, de sourires en frissons. Paupières closes, il gémissait au fil de mes explorations, comme si mes caresses réveillaient le moindre centimètre-carré de sa peau brune.

Louka me semblait toujours à la fois fort et vulnérable quand il me laissait mener ainsi les débats de nos ébats. Dans ces moments-là, il s’abandonnait tout entier entre mes mains et ouvrait toutes les vannes. Sa silhouette parfaite et ses muscles fluides étaient pour moi un vrai régal plastique, physique, mais en plus, j'aimais à croire qu’il n’avait jamais atteint cette connivence, cette confiance, cette indécence, entre les doigts de quelqu’un d’autre. Et je le dévorais avec d’autant plus d’appétit !

Après l’amour, nous étions moites comme un orage estival. Je restai un moment allongée sur lui, bien trop ramollie pour bouger. J’avais le sourire tartignole, les cheveux collés, la bouche contre son cou, la main sur sa hanche… Au bout de cinq minutes suspendues, immobiles, Louka prit mon visage entre ses mains et me fit rouler sur le côté avant de s’allonger sur moi. Il embrassa lentement mes lèvres et j’ouvris les yeux. Il avait de la filouterie dans son regard et il me murmura dans un sourire timide :

« - Romy, tu as payé Pietro pour qu’il me suggère aussi finement de te faire un autre enfant ?

- Je te jure que non ! Il doit être heureux d’être tonton, c’est tout.

- …

- Louka ?

- Hmmm …

- Je suis très bien avec Lisandru et toi. Il n’y a pas de piège, ok ?

- …

- …

- Mais un jour, tu en voudras un deuxième ?

- Maybe. One day. Mais pas tout de suite… Et tu sais quoi ? Si ça se trouve, c’est toi qui m’en parleras le premier, de ce Numéro Deux ! En attendant, j’ai faim ! On mange ? »

Les Battisti avaient tout prévu : tomates et mozzarella en entrée, suivies de deux escalopes milanaises avec des pâtes au parmesan et pour finir, du tiramisu. Ils avaient même apporté deux bougies, ce qui ne manqua pas de faire sourire Louka qui émit je-ne-sais-quelle opinion en italien sur l’incorrigible romantisme de Pietro… Tandis que dans mon for intérieur, je remerciai abondamment nos charmants voisins-fées.

Après le dessert, Louka sortit de sous la table un petit paquet rectangulaire qu’il posa devant moi. La présentation laissait un peu à désirer (du papier kraft, franchement…) mais la surprise fut réussie, car j’étais bien loin de m’attendre à cela. C’était un coffret collector hyper classieux de mon film préféré, cultissime, celui que je connaissais par cœur : "En scène !" de Chiara Battisti, avec Luís Kerguelen. Le film que Louka fuyait consciencieusement à tous les Noëls et qu’il n’avait même encore jamais vu. Je lui demandai, sans trop d’espoir :

« - Tu vas le regarder avec moi ?

- Indeed… Enfin, si tu en as envie.

- Really ?

- Oui.

- Tu es adorable, Louka ; merci.

- …

- Et j’ai le droit de mettre mes chaussettes de Noël que tu détestes ?

- Si vraiment ça fait partie du truc…

- How nice ! Ne bouge pas, je reviens ! »

Je filai dans la chambre pendant qu’il débarrassait la table. Puis je tamisai la lumière, allumai le téléviseur, installai deux coussins sur le canapé… Et cinq minutes plus tard, je me lovai contre Louka avant d’appuyer sur “play” d’un air extatique. C’est ainsi qu’il regarda enfin, de bout en bout, en frissonnant un peu, ce chef-d'œuvre du Septième Art qui avait tant marqué mon enfance et la carrière de son père. Mieux vaut tard que jamais…

J’étais absolument ravie par mon cadeau d’anniversaire ! Et plus tard dans la soirée, pour le plaisir de remercier Louka comme il le méritait, je me mis au lit nue comme un vers, ne gardant que mes chaussettes de Noël… Lorsqu’il me vit ainsi, il éclata de rire (un véritable exploit, à cette période où il souriait à peine) et plus si affinités.

*Toi mon amour, de Marc Lavoine ; in L'heure d'été, 2005.

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