CCI. Help!

5 minutes de lecture

CCI. Help!*

Lisandru tomba malade et pendant quelques jours, mon esprit se ferma à tout ce qui n’était pas lui. Il brûlait de fièvre et refusait ses biberons. Il avait des spasmes, des coliques, il était rouge et inerte… Et j’étais morte d’inquiétude. C'était excessif, irrationnel, mais je ne pouvais pas m’empêcher de craindre le pire. A deux reprises, Pietro dut m’emmener aux urgences au beau milieu de la nuit, j’étais intenable, hystérique, tétanisée. J’inondais Louka de textos angoissés, angoissants, auxquels il répondait avec patience et empathie.

Puis mon bébé retrouva l’appétit, l’énergie, le sourire. Ouf ! Ce fut comme un interrupteur rallumant le soleil. J’étais écrasée de fatigue et de soulagement et je m’enfermai à la maison, prenant soin de lui comme du lait sur le feu, dormant quand il dormait, veillant quand il veillait, indépendamment de toute vie extérieure. J’étais complètement épuisée et dès que mon fils n’avait plus besoin de moi, je m’écroulais comme une souche.

Le soir du troisième jour, je venais de coucher Lisandru et m’apprêtais à en faire de même quand on frappa à la porte. Je sursautai et allai ouvrir : c’était Pietro, qui entra sans cérémonie et s’installa sur un tabouret haut tandis que je nous préparais une tisane.

« - Comment va ma petite crapule préférée ?

- Bien… Il est au lit. Je crois que le pire est passé maintenant.

- Tant mieux… Et tu as des nouvelles de ton mec ?

- Euh… Pas trop, non, depuis deux jours. Mais il faut dire que je ne lui en ai pas donné non plus, je n’ai fait que dormir ! Pourquoi tu me demandes ça ?

- Parce que personne n’arrive à le joindre depuis 48h.

- What ?

- …

- Tu m’inquiètes… Attends, je vais l’appeler !

- Inutile, il n’a pas pris son portable. Tiens, lis ça.

(Il me montra un texto de sa mère, sur son téléphone)

- C’est en italien, Pietro, je ne comprends pas tout…

- Ah oui, pardon, je n’ai pas fait attention. Elle m’écrit que Louka est parti depuis deux jours et qu’elle n’a aucune nouvelle. Ils se sont engueulés, apparemment.

- Mais… Chiara t’a expliqué pourquoi ?

- Non… Mais on pourrait l’appeler ensemble, justement, pour qu’elle nous en dise un peu plus.

(Il appuya sur l’écran et Chiara apparut, fauteuil noir, mine grise, oeil rouge).

- Mamma, je suis avec Romy. Elle n’a pas de nouvelle non plus.

- Chiara, racontez-nous ce qui s’est passé.

- Va bene. Mais par où commencer ? Il y a une semaine… Le jour où nous sommes allés à l’état-civil. Louka était tout retourné. Et pendant le dîner, il m’a demandé de lui foutre la paix, de ranger ma caméra. Il m’a lancé à la figure qu’il n'y avait que mon film qui m’intéressait… Que j’avais déjà vampirisé son père et qu’il ne me laisserait pas faire la même chose avec lui. Il a quitté la table, puis l’hôtel, comme une furie. Il est rentré le lendemain matin, à moitié saoul, avec une tête de mort-vivant. Et il ne m’adressait plus la parole. Il me regardait avec des flammes vertes et noires dans les yeux, il ne mangeait rien et quand il grignotait un peu, je l’entendais vomir peu après, parce que son estomac ne le supportait pas. J’ai essayé de lui parler mais il m’a envoyé paître. Je ne savais plus quoi faire… Et puis l’autre jour, Lisandru allait mieux, je me suis dit que Louka serait soulagé et que peut-être, j’arriverais à discuter avec lui ? Alors je suis allée dans sa chambre… Et on s’est disputés ! Pour la première fois de notre vie. On s’est chamaillés des centaines de fois, vous le savez, je lui ai pas mal remonté les bretelles quand il était ado… Mais on ne s’était jamais vraiment engueulés ! Il m’a reproché tout et n’importe quoi, ce tournage, ma célébrité… Tout le monde sait que la grande Chiara Battisti est au Brésil sur les traces de Luís Kerguelen et c’est dangereux, d’après lui. Bon, il y a eu quelques articles dans les revues de cinéma, j’ai un peu parlé de mon projet dans le milieu, mais… C’est mon boulot, après tout. Et puis Louka ressemble tellement à son père qu’il n’a pas besoin de moi pour se faire remarquer ! Enfin… Le lendemain matin, il était parti. Sans rien dire. Sans ses papiers, ni son téléphone, ni rien. Et depuis, plus de nouvelles. Il ne t’a donc pas appelée non plus, Romy ?

- Non… Il m’a juste envoyé un texto l’autre soir pour me demander si Lisandru était tiré d’affaire. Et depuis, plus rien. Mais… Toi non plus, Pietro ? Vous vous appelez tous les jours, pourtant ?

- Oui. Mais non, rien.

- Et Malika non plus, je lui ai demandé. J’ai même prévenu la police, mais il est majeur et il est parti volontairement, alors ils ne feront rien. Je ne sais pas ce qui se passe, mais il a besoin d’aide. Sinon il va tomber.

- Oh… »

Lorsqu’une heure plus tard, Pietro rentra chez lui, me laissant seule avec nos tasses vides et mes incertitudes, je ne savais pas quoi penser. A quoi jouait Louka ? Était-il en colère contre Chiara au point de mettre sa vie en danger, juste au moment où nous étions enfin rassurés quant à la santé de notre fils ?

Pendant quatre jours, nous nous perdîmes tous en conjectures. Pietro essayait de donner le change et de garder la tête froide, mais il n’en menait pas large, séparé de son inséparable comme jamais auparavant. Malika cherchait à comprendre, avançant des hypothèses qui ne faisaient que nous déboussoler encore un peu plus. Quant à Chiara, elle angoissait comme une folle, avec toute l’exhubérance et tout le lyrisme possibles ! Mais j’avoue que je ne valais guère mieux, et si je n’avais pas pu m’accrocher aux sourires luminescents de mon enfant, je me serais certainement effondrée sans préavis. Jusqu’à ce que…

Malika Cherif : “Chers tous, Louka vient de débarquer chez moi… Une chance que Buenos Aires soit si proche de São Paulo, du moins à l’échelle de ce gigantesque continent ! Il a une tête de déterré, avec des traces de coups ; il est couvert de bleus et maigre comme un clou. Je l’ai envoyé dormir sans lui poser de questions. Mais il ne perd rien pour attendre… Romy, si tu le peux, viens. Viens avec le petit. Je vous embrasse.”

*Help!, des Beatles ; in Help!, 1965.

Annotations

Vous aimez lire Marion H. ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0