CLXVII. La lumière jaillira

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CLXVII. La lumière jaillira*


Ce n’est que le lendemain, après le travail, que je pus à mon tour rendre visite à Ingrid et à son petit Nils. Il était tout rose et tout potelé, avec les yeux de son père et les oreilles de sa mère. Il avait le regard hasardeux, les mains minuscules, le nez tout rond. Et tandis que je le tenais dans mes bras comme un miracle infiniment fragile, je me demandais non sans émotion comment il s’entendrait avec la petite crevette qui poussait doucement tout au creux de mon ventre.

La jeune maman était fatiguée. Très fatiguée. Elle avait les joues creuses et le sourire épuisé, au point que la maternité la garda quelques jours supplémentaires. Pietro passa ainsi la semaine à courir entre l’école de Lucia, son travail et la chambre de sa femme et de son bébé, avant d’enfin pouvoir aller les chercher le vendredi après-midi. Nils découvrit alors sa nouvelle chambre : un petit cocon aux couleurs de bois et de savane, avec un mobile tout rigolo plein de mini-peluches en forme de lions et une improbable lampe marocaine qui ressemblait à un soleil.


Le lendemain, Lucia monta passer quelques heures avec nous pour permettre à ses parents de se poser un peu (et à Louka d’avoir une bonne excuse pour faire un puzzle en forme de voilier rose au milieu de son salon…). Puis le dimanche soir, nous descendîmes dîner chez eux. Pour ne risquer ni de fatiguer Ingrid, ni de manger des surgelés, Louka avait acheté une sorte de crêpes nommées msemmen au marché, avant de passer des heures en visio avec Malika pour qu’elle l’aide à préparer un plat marocain qui s’avéra délicieux : un rfissa au poulet et aux lentilles, réputé redonner des forces après un accouchement.

Et Ingrid en avait bien besoin ! Elle semblait épuisée, Nils se réveillait souvent et sa sœur ne tenait pas en place. Quant à Pietro, il avait devant lui trois jours de marathon professionnel à cause d’un colloque international et semblait un peu préoccupé… Alors de fil en aiguille, Louka proposa de les aider quelques jours en s’occupant de Lucia. Les Battisti protestèrent d’abord gentiment avant de se laisser convaincre. C’est ainsi qu’après dîner, nous revînmes lestés, d’une part, de Lucia endormie avec Mayol 2 et son pyjama couvert de poissons rouges, et d’autre part d’un petit sac plein de petits vêtements plus mignons les uns que les autres.


Louka l’installa dans la petite pièce qui lui servait souvent de bureau : il y restait des tonnes de bouquins et de travaux à faire, mais pour quelques nuits, ça ferait bien l’affaire ! Il y avait dormi quand il était petit, lorsqu’il était de passage à Paris avec ses parents, et il avait prévu d’en faire la chambre de notre bébé. A ce stade, c’était encore le bazar, mais le petit lit de Lucia rentrait largement. Elle ne resta que trois jours et deux nuits, et ce fut un plaisir, vraiment, de partager cela et de constater aussi à quel point elle avait grandi !

Elle avait trois ans et des yeux clairs comme le ciel matinal sur les falaises de Bonifacio. Ses cheveux châtains brillaient parfois de quelques reflets roux comme l’automne aux forêts du Wyoming. Sa peau était blanche comme de la porcelaine, avec une fossette à tous les coins de rire. Elle était filoute comme tout, maligne comme un chat, souple comme un éléphant, inventive comme un ouistiti. Elle était la reine du salon, l’impératrice de la salle de bains, la star du tapis rouge du couloir, je peinais parfois à en venir à bout… Tandis que Louka, royal jusqu’au bout des ongles sans le moindre effort, se faisait obéir au doigt et à l'œil.


Le deuxième soir, alors que je venais d’avoir droit à un caprice en bonne et due forme qu’il éteignit comme par magie en moins de trois secondes, je finis par m’enquérir de son secret.

« - Louka, comment tu as fait pour la calmer ? Tu lui as donné un Lexomil ? Tu l’as rapportée menottée à ses parents ? Tu l’as bâillonnée avec la nageoire de Mayol 2 ? Ou tu as un super-pouvoir dont tu ne m’as jamais parlé…

- Même pas ; je lui ai dit d’aller se préparer pour le bain et hop ! J’espère quand même qu’elle ne fait pas trop souvent ce genre de show à ses parents… Tu m’étonnes qu’ils soient fatigués !

- Ah ça, c’est clair ! As far as I am concerned, je ne te promets pas qu’elle survive au prochain épisode de ce genre.

- Elle est un peu chamboulée avec la naissance du petit, je crois. D’habitude elle ne fait jamais ça, tu sais.

- En tout cas si le nôtre est pareil, je fais un retour à l’envoyeur !

- …

- Louka ? Tu as l’air tout bizarre, suddenly.

- Non, rien. C’est juste que désormais... Tu es la prochaine sur la liste !

- I know.

- Tu crois qu’on sera prêts ?

- Je crois que personne n’est jamais vraiment prêt ! Mais on fera de notre mieux, comme tout le monde… Tu t’inquiètes encore de ça ?

- Oui et non. Enfin, oui, mais Mama me fait du lavage de cerveau depuis des semaines pour me convaincre que je serai un père passable. Alors je commence à envisager de réfléchir à la possibilité éventuelle de la croire. Du moins, un tout petit peu.

- Ah ! Et comment elle s’y prend ?

- Elle me parle de mon père.

- Really ?

- Elle me dit de m’appuyer sur lui. Elle me dit d’au-delà de tout ce qu’il avait de fragile, de sombre, il était droit et doux et que je peux me fier à ça. Elle me rappelle qu’il m’a appris à me relever quand je tombais, à réessayer quand je perdais, à apprendre quand je ne savais pas.

- …

- …

- Et ton papa, il avait préparé ta chambre lui-même, à ta naissance ?

- Oui.

- Bon… Alors Malika a raison : tu devrais prendre exemple sur lui.

- Tu te sers de mon père pour me faire passer un message ?

- …

- Don’t worry… Tu ne vas pas accoucher demain ! Et Pietro a promis de m’aider. Tu n’auras plus qu’à choisir la couleur de la peinture.

- Good. Si Pietro s’y colle aussi, j’ai une chance que tout soit prêt avant la fin de ma quatrième grossesse…

- Tu exagères ! Et… Wait a minute. Comment ça, ta quatrième grossesse ? Je n’ai pas signé pour autant de tours de manège, moi.

- Tsssssssssss… Anyway, je vais donner son bain à Lucia. Tu préviens ses parents de venir lui faire son bisou du soir dans, disons, une demi-heure ?

- Sure.

- Louka ?

- Yes ?

- I know that you will be a very nice Dad ; alors arrête de croire le contraire, d’accord ? »


Il me répondit d’un petit sourire fragile et d’un regard vert, clair, droit. Il était beau comme une évidence et on my way to la salle de bain, je ne manquai pas de faire un petit stop pour l’embrasser comme il le méritait.



*La lumière jaillira, de Jacques Brel ; in Au printemps, 1958.

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