CLX. Mistral gagnant

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CLX. Mistral gagnant*


Je rentrai à Paris avec l’impression d’avoir entrouvert un très gros verrou dans la vie de Louka ; pour le meilleur ou pour le pire ? L’avenir nous le dirait peut-être.

Je ne lui avais pas reparlé de mon désir d’enfant : il avait eu son lot d’émotions ! Et puis je m’étais complètement gourée. Puisque le jour-même de notre retour, j’avais eu mes règles : peu abondantes, certes, mais quand même. J’avais pris mes désirs pour la réalité ! J’étais moitié déçue, moitié soulagée : Louka n’était pas prêt et je ne voulais pas lui forcer la main. Je me sentais toujours fatiguée, un peu patraque… Par trop-plein d'émotions, suggérait Ingrid.

Ou pas. Car après deux semaines complémentaires de nausées, je fis un autre test. Positif, cette fois... Je fonçai chez mon médecin : bingo !

Lorsque j’étais partie à Essaouira, je n’étais pas enceinte ; mais j’en étais bel et bien rentrée avec une toute petite virgule dans le ventre. Quelle ironie : comme nous pensions que j’étais déjà enceinte, nous n’avions pas fait attention. Et nous ne nous étions pas privés pour faire l’amour pendant cette quinzaine si intense. Alors voilà… Je portais un enfant conçu sous les étoiles du Maroc, parfumé de coriandre et de cannelle. L’idée me plaisait bien : c’était un lien avec Louka, plein de soleil et de saveurs comme un barrage contre l’Atlantique.

Mais maintenant, il allait falloir le lui dire…


Je choisis de l'aborder de front comme on arrache un pansement d’un grand coup sec. Visiteuse du soir, je le prévins par texto que j’arrivais, il répondit “OK”. A mon arrivée, il m’embrassa d’un œil surpris et me fit entrer. Il avait préparé la fregula sarda aux légumes et au parmesan : miam ! Et il me proposa un verre de vin, mais je refusai poliment. Une fois qu’il fut assis, je me lançai comme j’aurais sauté dans le vide. Sans parachute.

« - Louka, il faut que je te parle.

- Ah ?

- Oui. Mais tu dois me promettre de ne pas partir en courant.

- Partir de chez moi ? Je préfèrerais éviter… Mais tu me fais flipper.

- So. A few weeks ago, j’ai cru que j’étais enceinte. Je te l’ai dit.

- Oui. Mais tu m’as dit aussi que tu t’étais trompée.

- Indeed. Je n’étais pas enceinte. Mais…

- Mais ?

- Maintenant, je le suis.

- What ? Tu plaisantes ?

- Non. Le médecin me l’a confirmé tout à l’heure.

- Fuck…

- Mais encore ?

- Excuse-moi… J’imagine que “fuck” n’est pas la réaction que tu espérais ! C’est juste que… Bon, je m’étais presque fait à l’idée, mais c’était une fausse alerte, alors… Je n’y pensais plus.

- Je suis tombée enceinte, justement parce qu’on pensait tous les deux que je l’étais déjà.

- Ohlala…

- Je ne sais pas si “ohlala” est mieux ou pire que “fuck” … ?

- Romy, donne-moi deux secondes, s’il te plaît. Mon cerveau s’est bloqué, là.

- …

- …

- ...

- Il doit naître quand ?

- Début novembre.

- …

- Louka… Dis-moi ce que tu penses.

- Je ne pense rien. Je ne pense plus. J’essaye de comprendre ce que tu dis. Ce qui nous arrive.

- Juste un bébé. Un petit bébé tout mignon qui pèsera dans les trois kilos, qui n’aura ni dents ni cheveux et qui bavera partout.

- Au moins, tu sais trouver les mots pour me convaincre !

- Je n’essaie plus de te convaincre. Maintenant c’est fait. C’est là. C’est réel. Mais tu es libre, Louka. Libre de devenir papa ou de me laisser partir.

- …

- Tu veux que je te laisse un peu seul ?

- Non... Non, reste.

- …

- Tu es sûre de vouloir faire ça, Romy ?

- Oui.

- Tu veux que je sois le père de ton enfant ?

- Oui.

- Tu te souviens de qui je suis ?

- Oui.

- …

- Louka, arrête d’avoir peur de ton nom, de tout ce passé, de ce que ton père a fait et de ce qu’il a subi. Arrête de ruminer tous ces abandons, toutes ces morts, tous ces déracinements. Hier, c’est fini. Là, c’est demain qui est en jeu. Arrête de penser avec ta tête et essaie, juste deux secondes, de penser avec ton cœur. Qu’est-ce que ça donne ?

- …

- Tu te l’interdis, n’est-ce pas ? Tu verrouilles tout, à cause de cette putain d’addition à payer. Mais moi, je crois que quelque part en-dessous, tu es vivant. Si tu regardes en toi, tout au fond, il n’y a vraiment pas une toute petite partie de toi qui a envie d’avoir un enfant ?

- … Peut-être…

- And so ?

- Si je fais taire tout ce qui me dit non, tout ce qui me dit qu’il ne faut pas, alors je vois un petit enfant qui serait le mien comme il serait le nôtre. Il ressemblerait à Mila ou à Lucia. Il aurait un rire en étoiles et il ferait la sieste dans mes bras, l’été, sur la terrasse de Cargèse.

- Ah ! Et cette image-là te donne un peu envie, ou pas ?

- Oui… Oui, je crois.

(Mes yeux se mouillèrent et je lui pris la main par-dessus la table)

- Tu vas être un super papa, Louka.

(Ses yeux se mouillèrent et il me prit l’autre main par-dessus la table)

- I hope so.

- …

- Romy… Si on a ce bébé… Ce serait peut-être bien que tu viennes vivre ici ?

- Oui ! »


Louka était tout coincé et tout chamboulé sur sa chaise, comme s’il avait laissé là son corps pendant que son esprit partait faire un tour pour encaisser la nouvelle. Mais je ne voulais pas, je ne voulais plus le laisser seul dans sa tour d’ivoire.

Je me levai donc, et contournai la table pour aller m’installer sur ses genoux. Il avait l’air d’un gamin déboussolé devant une montagne trop haute pour lui. Je compris alors qu’avant tout, il avait peur. Très peur. Alors je l’embrassai et le serrai dans mes bras pour le rassurer. Très fort.

Je le sentais encore fragile et je n’avais aucune envie de dormir seule. Aussi décidai-je de passer la nuit chez lui. Je m’allongeai de “mon” côté, tournée sur le flanc, nue comme un ver, et fermai les yeux doucement.


Louka me rejoignit dix minutes plus tard. Il s’allongea contre moi, sa peau était douce et chaude contre la mienne. Il était tendu comme un arc… Mais il était là. Et avant de m’endormir, je sentis sa main venir tout doucement, tout timidement, se poser sur mon ventre pour y passer la nuit.



*Mistral gagnant, de Renaud ; in Mistral gagnant, 1985.

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