Chapitre 31 : Débarquement au QG - Part2.

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À deux pas de sa chambre, Kimi se pressa. Les pieds qu’elle avait traînés jusque-là s’activèrent, sur leurs pointes. Dossan la suivait de prêt. Elle l’avait entendu monter les escaliers derrière elle. Prête à traverser l’havre de paix qu’elle imaginait, imprenable, alors qu’il suffisait d’ouvrir la porte, elle planta ses dents dans sa lèvre inférieure.

  • Attends un petit peu…

Raté. Il l’avait rattrapé. Kimi ouvrit un œil, puis l’autre, contrôlé par l’appréhension. Elle n’avait aucune envie de lui parler. Graduellement, elle se tourna en direction de Dossan pour constater qu’il réclamait exactement ce qu’elle avait redouté. Les mains placées dans les poches avant de son jean, il l’aborda d’un ton calme et résolu :

  • Je pense qu’il faut qu’on discute.

Il se tortillait drôlement, comme un ver, sans manquer pour autant de conviction. Il y avait dans son regard mille questions par lesquelles Kimi se fit capturer. Un de ses sourcils se arqua contre sa volonté. Elle savait que cette proposition n’en était pas une. Quant à Dossan, depuis la pointe de ses orteils, il retomba sur ses talons.

  • Je pensais que tu étais heureux pour Blear et moi, dit-il les lèvres pincées.
  • … Je le suis.

Trahie par la montée des aigus dans sa voix, Kimi tourna son regard vers la chambre où elle espérait encore disparaître. Rien n’aurait été plus confortable que de remettre cette discussion à plus tard. Elle n’osait plus faire face à l’homme qui l’avait élevé alors que ce dernier, motivé par les propos qu’elle avait utilisés un peu plus tôt, n’en démordait pas.

  • Tu as utilisé un drôle de ton tout à l’heure, je trouve.

Il n’était pourtant pas si simple pour lui de lui tenir tête. Moins encore, quand de plus en plus, il la voyait abaisser la sienne. Quand il voyait dans ses joues relâchées, se loger à la fois une once de culpabilité et l’air qui les gonflait, de peur d’être réprimandée.

  • Tu n’avais pas l’air si heureuse quand tu as précisé que ça devenait concret entre nous,… C’est vrai que ça l’est, releva-t-il, d’une voix destinée à ne pas la brusquer, et pourtant, Kimi fronça les sourcils. Mais tu sais, ça l’était même avant cela.
  • Je ne veux pas savoir, marmonna-t-elle.
  • Tu sais bien que ce n’est pas de ça dont je veux parler.
  • De quoi tu veux parler alors ? Je t’ai dit que j’étais contente !

Elle regardait toujours le sol, reculée dans l’entre-porte. Sa longue chevelure venait chatouiller les traits de son visage. L’expression qu’elle portait criait l’inverse.

Elle se défendit en bafouillant :

  • C’est juste que… C’est normal qu’on ne veuille pas savoir ce genre de choses ! C’est dégoûtant et… Ils sont trop bizarres, tes amis, déclara-t-elle en attrapant ses racines blondes. Pourquoi est-ce qu’elle est venue ?
  • Ne t’occupe pas de Marry et Chuck. Ils sauront régler leurs problèmes, comme des grands…

Du moins, il l’espérait.

  • Je préfère que nous réglions les nôtres.
  • Mais…

Le trouble s’installa chez Kimi.

  • Je…

En comparaison, Dossan resta stoïque. Il observa les prunelles claires de sa fille s’entraîner dans des montagnes russes.

Il acquiesça :

  • Je suis d’accord, il y a des choses que vous n’êtes pas obligés de savoir, toi et Leroy. Je veux simplement que tu saches…

Il marqua une pause, en espérant récupérer son attention. Mais Kimi, affolée, ne l’écoutait pas vraiment.

  • Je suis avec Blear maintenant, et si pour une raison particulière, tu n’étais pas à l’aise avec l’idée, je suis prêt à en discuter avec toi.

À la voir chercher à tout prix une alternative pour éviter ces mots, il eut un pincement au cœur.

  • Tu peux tout me dire, on peut parler de tout. Je ne serais pas fâché. Je peux comprendre que…
  • Tu ne peux pas comprendre.

Son agitation s'était transformée en dépit.

  • Tu ne peux pas, répéta-t-elle, fébrilement. Je suis vraiment contente pour toi, dit-elle ensuite, durement, entre ses dents, un filet de lumière s’installant dans ses yeux.
  • Tu préférais que je ne comprenne pas, souffla-t-il à son tour. Mais ce n’est pas parce que je suis ton père que…
  • Ha, moqua-t-elle.

Les tripes de Kimi se tordirent. À nouveau, tirée vers le sol, elle rejeta d’un mouvement de tête l’écho de ce bruit qu’elle avait émis. De son père, elle ne vit plus que le bout de ses chaussures hésiter, puis ses doigts se retrancher sur les coutures de son jean. Ce fut avec peine qu’elle osa, si ce n’était dire, relever ses yeux dans les siens. Entraînée dans une chute sans fin, elle resta pendue aux lèvres de Dossan qui s’entrouvrirent, puis se refermèrent. En recul, ce dernier déglutit. Il répondit avec flegme. Par un silence, qui lui provoqua des sueurs froides. Finalement, il ferma les paupières, pour se récolter. En les réouvrant, Kimi y découvrit des sentiments compliqués.

  • Je sais ce qu’Eglantine t’a proposé, déclara-t-il. Si tu voulais rencontrer ton père… Je comprendrais.
  • Quoi, non…

L’horreur se logea dans les siens.

  • Pourquoi je voudrais…
  • Ne réponds pas trop vite, dit-il, raisonnablement.
  • Il a tué ma mère, pourquoi je voudrais le voir ?!
  • Parce que… tu lèves les yeux au ciel quand je dis que je suis ton père ?
  • Ce n’est pas pour ça, je… Comment tu peux croire que j’ai envie de… Non, fit-elle, bouleversée. Je ne veux pas le voir.
  • Pourtant, je comprendrais si tu le voulais. En fait, j’ai besoin que tu saches, répondit-il en poussant ses doigts sur son front, qu’on peut parler de tout. Je comprendrais que tu veuilles récolter des parties de ton passé en le rencontrant, je comprendrais que tu en aies peur, que tu ne sois pas à l’aise,... Mais que tu en aies besoin. Je pourrais t’accompagner, et je le ferai avec plaisir…
  • Papa, je…

Il leva un doigt pour l’arrêter.

  • Ça fonctionne pour tout. On peut parler de Blear. On peut parler du fait que c’est la première fois que je me mets avec une femme depuis qu’on se connaît toi et moi. On peut parler du fait que c’est une Richess, ou encore, la mère d’un de tes amis. On peut parler de Sky…

L’expression de Kimi se resserra. Elle ne pouvait rien dire, pas même le contredire.

  • Je t’impose beaucoup, je le sais, dit-il, désolé. Je sais que tu as l’impression qu’en discuter ne changera rien, mais c’est important que tu parles de ce qui ne va pas.

Elle détourna la tête.

  • Quand tu seras prête… Je serais là.

Il y avait un peu de désespoir dans sa voix, mais rien d’autre que des mots sincères. Malgré tout, Kimi garda ses émotions sous contrôle.

  • … D’accord, souffla-t-elle. Est-ce que je peux retourner dans ma chambre, maintenant ?
  • Oui, tu peux.

Il n’eut pas besoin de lui dire deux fois. Aussitôt dit, aussitôt fait, elle s’engouffra dans sa chambre. Elle glissa un coup d'œil rapide en direction de Dossan alors qu’elle s’apprêtait à passer un appel. Lorsque ce dernier le remarqua, l’urgence le fit agir sans réfléchir. Il se glissa à son niveau et lui subtilisa son téléphone en l’attrapant par le haut.

  • He !
  • Qu’est-ce que tu fais ?

Après avoir découvert le nom sur l’écran, il dévisagea Kimi.

  • Rends-le moi… supplia-t-elle, presque.
  • Pourquoi tu appelles Laure ?
  • Bah, pour lui parler, répondit-elle, d’un ton évident.
  • Pour lui dire quoi ?

Elle se tut d’un coup. Mentir n’était pas son fort, encore moins face à Dossan. Ce dernier lisait en elle comme dans un livre ouvert, et à ce moment-là, il lut qu'elle filait du mauvais coton.

  • Tu comptes la prévenir que Marry est là, devina-t-il.
  • Non, je…
  • Donc tu ne vas pas dire à ta meilleure amie que Marry Stein a débarqué chez toi ?

Kimi apporta sa main à sa nuque. Il avait raison.

  • Si, peut-être, mais…
  • Tu ne peux pas, dit-il en enfermant son téléphone dans sa paume.
  • Quoi, mais pourquoi ? Je veux juste lui parler de… tout ça…

Malgré l’air torturé qu’elle lui afficha, Dossan ne se laissa pas prendre au piège. À cet instant, elle le manipulait.

  • Parce que c’est important que Chuck et Marry règlent leurs affaires sans que quiconque n’intervienne dedans.
  • … Leurs affaires ?
  • Ils ont des choses à se dire.
  • Et tu ne crois pas que Laure a le droit de savoir… Elle sait très bien que… Ce n’est pas moral ce qu’ils font. Pourquoi tu les couvres ?

Dossan prit du recul pour analyser sa fille. Il y avait quelque chose d’étrange chez elle. Ces mots ne résonnaient pas comme les siens. C’était comme si ces derniers lui avaient été soufflés et répétés. Laure était sa meilleure amie, il était normal qu’elle ait envie de l’appeler, mais depuis qu’il avait été récupéré Chuck chez lui, un doute avait persisté. Dossan se rappelait régulièrement du regard aiguisé que Laure lui avait attribué en le saluant.

Tout en s’en armant, il pointa Kimi de son téléphone :

  • J’ai besoin de savoir si tu es au courant de quelque chose.
  • On sait tous qu’ils se sont revus…
  • Non, j’ai besoin que tu me dises si c’est Laure qui est derrière tout ça. Derrière tout ce que vit Chuck en ce moment.

Il vit son expression changer.

  • Non, c’est…
  • Tu peux ne pas me parler, mais tu ne peux pas me mentir, Kimi, la prévint-il. Si Laure apprenait que Marry est là… Que ferait-elle ? Tu ne peux vraiment pas me le dire ?

Un air désolé creusait de plus en plus ses traits.

  • Je crois que tu ne te rends pas compte des conséquences. C’est son père à qui elle fait du mal… C’est leur lien, leur famille qui est en jeu, tu comprends ? Chuck habite chez nous, comment peux-tu le regarder dans les yeux, si tu es au courant…
  • Ce n’est pas comme tu penses, se défendit-elle. Laure est…
  • Laure est quoi ?
  • Elle a ses raisons, dit-elle, à contre-cœur. Si tu attends, tu verras que…
  • Je devrais attendre et regarder mon ami souffrir ? Parce qu’il souffre, tu sais ?

Kimi se mordit les lèvres.

  • S’il te plaît, attends un peu…
  • Attendre quoi ?

Elle se tut à nouveau.

  • Peu importe, se fâcha Dossan. Que Marry soit là est la meilleure chose qui puisse lui arriver.
  • … Mais Chuck est marié.
  • Chuck aime Marry ! s’énerva-t-il. Je sais bien que ce n’est pas moral, mais ils sont amoureux…
  • Et alors ? Ce n’est pas parce qu’ils sont amoureux qu’ils peuvent avoir tout ce qu’ils veulent.

Le ton de Kimi était devenu bien plus dur. Dossan la regarda comme un ahuri avant de découvrir les larmes logées dans ses yeux. Il se rendit compte que le poids qu’elle portait sur les épaules était trop lourd. En se pinça l’arête du nez, il chercha à calmer le jeu :

  • Je te demande simplement de ne pas prévenir Laure. Le plus important, maintenant, c’est qu’ils discutent en paix, même si j’aurais aussi aimé que tu te confies à moi… Tu ne crois pas que ça te ferait du bien de libérer tout ce que tu as sur le cœur ?

Elle répondit dans un premier temps en s’essuyant le nez avec sa manche.

  • Tu dis qu’on peut parler de tout, mais ce n’est pas vrai, dit-elle en secouant la tête de droite à gauche.
  • Bien sûr qu'on peut parler de tout.
  • Vraiment… de tout ?

Des choses sur le cœur, Kimi en avait des tonnes. Toutes ses pensées se dirigèrent alors vers un événement en particulier. Dossan se montra à l’écoute. Elle fit la moue. Pourquoi est-ce que c’était ça, qui ne demandait qu’à sortir ?

  • J’ai embrassé Alex, dit-elle, d’une petite voix.

Elle comprit pourquoi au moment où elle le vit se restreindre. Il était clair qu'il ne s’était pas attendue à ça. Ce dernier se pourlécha les lèvres, en voulant comprendre.

  • Pourquoi ? demanda-t-il, plus sèchement qu’il ne l’aurait voulu.

Kimi se tenait le bras, en retrait :

  • J’étais triste…
  • Tu comptes embrasser un nouveau garçon à chaque fois que tu es triste ? lui claqua-t-il au visage.

Elle battit des cils.

  • C’était la même chose avec Tiger. Je pensais que tu avais compris la leçon.
  • J’avais bu…

Les mâchoires de Dossan se contractèrent. Il n’en croyait pas ses oreilles, et finalement, Kimi avait obtenu ce qu'elle souhaitait. Il était en colère.

  • Tu vois, on ne peut pas discuter.
  • Kimi, tu devrais… vraiment prendre le temps de réfléchir, seule. Si tu ne veux pas me parler, et que tu préfères me décevoir, je peux le comprendre. L’alcool, la prévint-il, n’effacera pas toute la peine que tu peux ressentir.

Il était déçu.

  • J’espère que tu vas arranger tes problèmes avec Alex, et avec Faye,...
  • Oui, je…
  • Je n’ai pas besoin que tu me répondes. J’ai besoin que tu réfléchisses sur toi même, et quand tu seras prête à discuter, sans essayer de me torturer d’une manière ou d’une autre… Je le répète, je serais là.

L'échine courbée, Dossan vit ses lèvres se déformer, mais il ne plia pas. D’un geste, il mit en avant son téléphone :

  • Et je garde ça, déclara-t-il. Ça, et ton ordinateur.
  • Quoi…

Bouche bée, Kimi le regarda se diriger vers son bureau, sans pouvoir rien faire. Il décrocha son portable de son chargeur et emporta celui-ci dans la volée.

  • Vu qu'en ce moment tu ne prends que des mauvaises décisions... Et ne pense même pas à aller sur celui de Leroy, je l’embarque aussi. Profites-en pour revoir ton comportement.

À la vision de son dos, Kimi chercha à dire quelque chose pour le retenir, mais seul un hoquet s'échappa de sa gorge. Malgré l'audibilité de ses pleurs, Dossan décida de ne pas se retourner. Il tomba au rez-de-chaussée, entre ses deux amis. Chuck était à sa place favorite et Marry avait fait de la table du salon son nouvel espace de travail. Ils relevèrent tous les deux la tête lorsqu'il y déposa les appareils.

  • Ça ne va pas ? demanda Chuck.
  • … Je vais aller faire un tour, dit-il d’une faible voix. Veillez à ce que Kimi ne vienne pas récupérer tout ça. Elle est punie. Et à ce qu’elle mange, si je rentre tard…
  • Que s’est-il passé ?

Dossan effectua un léger mouvement de tête qui le poussa à se retrancher. Ce dernier se pressa d’attraper son manteau. Il quitta le salon en gardant les yeux rivés au sol. Marry se dépêcha de se réhausser sur sa chaise :

  • Sois prudent, lui envoya-t-elle, alerte.

Elle ne reçut qu’une brève réponse. Toute son inquiétude se dirigea vers Chuck. Il la regardait de la même façon.

Durant quelques secondes, les amants s'observèrent, puis ils retournèrent à leurs occupations.

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