Chapitre 25 : Changement de température.

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La porte de cette salle de classe ne lui avait jamais paru aussi nette. D’un seul doigt, Kimi replaça sa chevelure, et en fixait la clenche. Il n’en serait rien resté si ses yeux avaient été munis de lasers.

Elle hésitait. Alors que quelques instants plus tôt, elle avait freiné sa course sans réfléchir. Le temps de midi avait sonné. Nice et Faye étaient parties comme des balles chacune de leur côté. Selim n’avait pas tardé à disparaître aussi. Sans doute s'était-il éclipsé dans les locaux de danse, où il devait dépenser toute son énergie. Quant au reste du groupe, la faim les avait tous guidés vers la cafétéria.

L’heure était aux sandwichs puisqu’une réunion des délégués se préparait. En face du lieu où celle-ci allait se dérouler, Kimi ne bougeait plus d’un pouce, une boule ne cessant de croître dans son ventre. Elle avait demandé à Laure de lui ramener son repas sous prétexte qu'elle aussi avait des choses à préparer. Après tout, elle était la sous-déléguée.

Le cœur oscillant, et en prenant une profonde inspiration, elle amena sa main sur la poignée. Elle s’exaspérait. Sa morale vacillait. Il n’y avait rien de mal. Elle l’avait simplement vu en passant dans le couloir. Alors, elle s’était arrêtée, irrésistiblement attirée, ou plutôt tenue par ses responsabilités. Pourquoi fallait-il qu’elle se pose autant de questions ?

D’un coup, elle ouvrit la porte.

Sky, assis en bout d’un rectangle de tables, tourna automatiquement la tête, et lâcha le cahier entre ses mains. Il eut l’air surpris. Elle-même l’était. En effet, ce problème persistait. Depuis quelque temps, elle ne contrôlait non seulement plus rien de ses émotions, mais également de ses actions.


  • Ça va ? lança Sky, d’un ton incertain.
  • Ou…ais ! Ça va, répondit-elle en ajustant son sac à dos sur son épaule.

Kimi se sentit cloche en restant à l’entrée.

D’un pas volontairement nonchalant, elle s’amena :

  • T’es tout seul ?

Avec une mimique évidente, il lui répondit en jaugeant l’espace. Il était seul, donc oui, c’était évident.

  • Tu manges pas ? lui demanda Kimi en s’asseyant à quelques chaises de lui.
  • Jena va revenir avec nos sandwichs.
  • Ah bah oui, logique.

Encore. C’était sorti tout seul. Elle s’en mordit immédiatement les doigts. La vive sensation de ses organes se tassant dans le fond de son corps lui provoqua un frisson, mais bien moins que le regard que Sky releva doucement dans le sien.

  • … T’es bizarre, dit-il.
  • Oui, hum. J’ai mal au ventre…
  • À cause de quoi ?
  • Euh… Bah…

Cafouillant, elle sentit le rouge lui monter aux joues. Quelque part entre l’imagination et la réalité, elle se foutait des claques, car maintenant qu’elle avait inventé un bobard, il lui fallait aussi trouver une excuse.

  • C’est… mes règles ! s’exclama-t-elle en claquant ses mains sur ses cuisses pour contrer l'immense malaise qui la traversait.

L’envie de disparaître ne tarda pas non plus à pointer le bout de son nez. Elle cacha le sien entre ses bras, sur le bureau. C’était la pire approche qu’elle n’avait jamais faite. Défaite, elle se demanda même pourquoi elle essayait.

  • Tu veux un médoc ?

Lorsqu'elle ramena ses yeux sur lui, son cœur fit un bond. Kimi le vit fouiller dans son sac et en sortir une plaquette. Chacun de ses mouvements l'attirait, notamment la façon dont il défit le cachet des autres pour le lui tendre. Elle ne cacha pas son étonnement en l’attrapant :

  • Tu en as sur toi ?
  • Oui, au cas où Jena en aurait besoin, mais elle n’oublie jamais rien…

Elle le lâcha.

Le cachet tomba entre eux.

  • Garde-le, dit-elle en détournant la tête. J’en ai aussi, et puis, je n’ai pas si mal. C’est mieux de les économiser.
  • Comme tu veux, répondit-il, de manière neutre.

À chaque fois, c’était pareil. Elle sentait tous ses muscles se mobiliser, et elle avait beau se forcer à contrer leur prochain mouvement, cela ne fonctionnait pas. D’un mouvement prompt, Kimi tourna la tête en sa direction. Elle s’apprêtait à dire quelque chose.

Sky ne la lâcha pas du regard.


  • Quoi ? lança-t-il, cette fois, plutôt froidement.

Ce ton eu le mérite de la faire redescendre de ses grands chevaux.  Elle se sentit bête, à nouveau.

  • Euh…

Elle chercha une nouvelle manière de se détourner.

  • Tu en penses quoi ? Pour mon père, et ta mère ? C’est bizarre, hein ? lança-t-elle, maladroitement.
  • Je suis content pour eux.
  • Ha, oui… ?
  • Oui, dit-il en ouvrant son cahier pour prendre des notes dedans.

Comment pouvait-il avoir l’air si sage ? Elle ne le reconnaissait plus. À une période, il aurait craché son venin sur Dossan pour oser sortir avec sa mère. Kimi ne sut situer ce qu’elle ressentait entre la vague de froid et les bouffées de chaleur dont elle était victime.

  • Pas toi ? demanda-t-il, enfin, avant de se rendre compte de la pâleur sur son visage. He, t'es sûr que ça va ?
  • Mal au ventre.

Sans en dire plus, elle se leva d’une traite et se dépêcha de quitter la salle de classe. Elle marcha rapidement en direction des toilettes, le souffle court et le regard cloué au sol. Devant, elle croisa un camarade. Celui-ci s'alarma :

  • Kimi ?
  • Ça va... Ha !

Elle percuta Faye à l’entrée des toilettes. Cette dernière en sortait, les traits tirés, et la main sur le ventre. Après le temps de surprise, elle lui octroya un regard aride. Kimi baissa la tête aussitôt et s’enfonça à l’intérieur, en ayant l’espoir de ne pas être suivie. Ce qui rata. Évidemment, la grande rousse l’avait rejoint. Celle-ci n’eut cependant droit qu’à la vue de son dos qui montait crescendo en sanglots.

Dans son coin, Kimi parut plutôt pitoyable. La tentative de camoufler son visage à l’aide des papiers qu’elle avait tirés compulsivement du distributeur vira en catastrophe. Alors que le mascara ornait ses pleurs, elle s’y refusait. Surtout devant Faye. Le fait que ce soit elle qui la trouve dans cet état la rendit malade. Elle ne pouvait pas se permettre d’être malheureuse sous ses yeux quand elle avait embrassé son petit ami.

Cette dernière était d’ailleurs devenue muette, et tout autant, statue. Pour autant, elle n’avait pas quitté la pièce. Le dilemme la rongeait alors que le contour de ses yeux était lui-même tracé de rouge.

Un pas serait peut-être suffisant.

Elle l’effectua, le cœur lourd, et d’une mine dure, mais elle vit sa bonne attention se faire balayer d’un coup de tête. Le reflet de Kimi, décomposé, parla à sa place.

  • Non, laisse-moi, je vais…
  • Qu’est-ce que tu as ? lança Faye, d’un ton plus sec qu’elle ne l’aurait voulu.

Instantanément, Kimi se figea. Elle agrippa le mouchoir entre ses doigts.

  • Il a dit que…

Puis, elle l’écrasa.


  • Que ça ne lui faisait rien !
  • Qui ça ?
  • … Sky. Il s’en fiche, déclara-t-elle, en colère.
  • De quoi ?
  • Mais que nos parents soient ensemble ! Il s’en fiche et je ne comprends pas parce que… Lui, geignit-elle. Et moi, c’était… Je ne sais pas ! Ce n’était pas censé se passer comme ça, je…

Faye l’observa un instant, avec recul. Elle parcourut sa grimace, les traces sur ses joues, la buée dans ses yeux. Elle eut un pincement au cœur.

  • Tu es vraiment amoureuse de lui.

Les mâchoires de la blonde se resserrèrent aussitôt qu’elles étaient tombées et une plainte la rattrapa. Elle hocha de la tête en estompant son nez.


  • Oui...
  • Ça fait mal, hein.

Comme une flèche en plein cœur, ces mots la perforèrent. Elle avait appuyé à l’endroit sensible. Ça faisait tellement mal. D’avoir trahi une amie, mais encore, de ne pas pouvoir être celui qu’elle aimait. Kimi se contenta d’acquiescer, encore. Elle bafouilla, d’une petite voix :

  • Pardonne-moi…
  • Je te déteste, tu sais, lui claqua Faye à la figure.

Elle savait. Hoquetant, sa bouche se déforma. Tout se mélangeait dans la tête de Kimi, prise entre deux peines.

Faye quitta le sérieux qui la séyait ces derniers temps.

  • Je te déteste vraiment ! Parce que je n’arrive pas à t’en voir et ça me rend folle. Encore plus quand tu chiales à cause de ce type !
  • C’est lui que je déteste, répondit Kimi, d’une voix remplie d’amertume.
  • Pff, tu parles… Tu l’aimes à crever.

De plus belle, les larmes reprirent.

Puis, de petits yeux, elle la regarda, ce à quoi la rousse soupira :


  • Ne t’excuse pas. Ça m'énerve encore plus.
  • … Qu’est-ce que je peux faire pour que tu me pardonnes ? Je ferais n’importe quoi, je me déteste pour…
  • Rien. Tu n’as rien à faire. Je sais que tu n’étais pas toi-même. Il me faut juste du temps pour oublier… tout ça.

Elle aussi avait de la lumière dans les yeux.

Kimi réfuta :

  • Ce n’est pas vrai, dit-elle, d’un ton affecté. J’ai bu, et fumé, mais…
  • C’est bon.
  • Non, ce n’est pas bon. Je savais que…
  • Tais toi, Kimi ! Ça me tue de l’intérieur !

Elle grondait, sa chevelure comme des flammes autour de son visage déformé. Le magma coula sur ses joues, tout seul.

  • Je voulais qu'il soit jaloux, déclara Kimi.
  • Je sais…
  • Parce que je l’aime !
  • Oui, je sais…
  • Pas d’Alex.
  • Je sais !
  • Je sais que tu sais, mais je veux être sûr que tu le saches !!

Les deux filles se regardèrent, en haleine. Un bref instant, elles se sourirent.


  • Qu’est-ce que c’est que ça ? On est ridicule, souffla Faye.

Puis, revint la peine.


  • Il me faut juste du temps, répéta-t-elle.
  • … Mais, est-ce que nous sommes encore amies ?
  • Oui, dit-elle, en sentant un poids se soulevant de sa conscience. Ça, c’est ineffaçable.

Un peu bêtement, les adolescentes se retrouvèrent l’une en face de l’autre sans savoir quoi dire. Une question brûlait les lèvres de Kimi.

  • … Est-ce que toi aussi… tu as déjà essayé de le rendre jaloux ?
  • … Oui. Et je n’aurais pas dû. Je regrette.

Elle se les mordit.

Kimi regrettait aussi amèrement.


  • Je suis si bête…
  • Non, juste… amoureuse, répondit Faye. L’amour, ça nous fait faire des choses ridicules et terribles. C’est comme ça… qu’on finit par céder et écouter le petit diable en nous.

La voix de Faye s’était éclairée, et son regard aussi, de quelque peu. Il y a longtemps qu’elle le savait, mais elle avait fini par comprendre quelque chose. Alex avait cédé. Il avait écouté la corne et la queue, et il l’avait embrassée, pour la faire réagir. Alors qu’elle en prenait conscience, Kimi, elle, se tortillait les doigts. En pensant à Sky. À vrai dire, elle ne faisait que ça ces derniers temps. L’esprit embrumé, elle lui demanda :

  • Comment je peux faire… ?
  • Pourquoi ?
  • … Pour l’oublier ? ajouta-t-elle, désespérée.
  • Ho.

Faye se sentit désolée, car elle ne comprenait que trop bien sa peine.

  • Je ne sais pas.

L’absence d’Alex lui trouait le cœur, comme l’image de lui embrassant son amie. Cette vision, répétitive, était insoutenable. L’imaginer avec une autre, l’était encore plus, alors elle n’arrivait que trop bien à imaginer la rage folle que devait ressentir Kimi. Ainsi que la détresse qui devait l’habiter, elle et tous ceux qui connaissaient malheureusement ce sentiment bien trop tôt dans leur vie.

***


Jena fut la première à arriver après Sky en salle de réunion. Du moins, ce fut l’impression qu’elle eut en trouvant le président des délégués assis seul au milieu de tout.


  • Il n’y a personne d'autre ? lança cette dernière, en s'avançant dans la classe.

Sans attendre de réponse, elle s’installa sur la chaise à côté de lui et déposa leurs repas de midi sur le bureau.


  • Voilà, Monsieur ! Un sandwich américain crudités pour toi, dit-elle en lui tendant. Et pour moi, chèvre au miel ! Ça va être délicieux, s’exclama-t-elle ensuite, en déballant gaiement son paquet.

Alors qu’elle léchait un peu de sauce qui avait coulé sur le bout de son doigt, Jena se tourna complètement sur sa chaise. Elle jaugea son copain de la tête au pied.


  • Pourquoi t’es pas heureux ?

Quand même, ça le fit rire. Il cacha un sourire dans sa manche, puis s'empressa de croquer dans son sandwich. Quand Jena balança sa crinière en arrière, il roula des yeux.


  • J’aime mieux ça, dit-elle avec un sourire en coin. Alors, pourquoi tu tires ta tête de cochon ? Ça ne va pas ? demanda-t-elle, d’une voix plus douce, quand elle le vit s’effacer dans ses pensées.

Sky la regarda. Comme d’habitude, ils étaient très proches. Il ne manquait pas de beaucoup d’espace pour l’embrasser. C’est ce qu’il fit, en glissant ses doigts aux siens, qui s’accrochèrent à la table. Il l’embrassa d’un coup, à pleine bouche. Agréablement surprise, Jena accepta cette longue étreinte et, à son terme, glissa une main sur sa joue chaude.

  • Waw. Permets-moi de te poser plus souvent des questions sérieuses.
  • Ha, arrête, dit-il en claquant sa langue sur son palais.
  • Ou quoi ? Vas-y, menace moi ! Hou, le vilain garçon !
  • Ne te moque pas, ou je…
  • Hum ?
  • Plus de bisous.

Le sourcil qu’il haussa redescendit quand il vit son téléphone s’illuminer. Très vite, il le laissa glisser devant lui, d’un air exaspéré, puis pensif, il bascula sur les deux pieds de sa chaise. À côté, Jena s’interrogeait.

  • Il ne répond pas, dit Sky, d’un ton défait. Mon frère, précisa-t-il ensuite.
  • Eh bien, peut-être que…
  • Et il répond toujours à mes messages. Ce fanatique. C’est pas habituel, j’aime pas ça, avoua-t-il à demi-mots.
  • Tu penses que c’est à cause de ce scandale ?

Sky captura ses prunelles en un coup.


  • Bien sûr. Quoi d’autre ?

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