Chapitre 21 : La fougue d'Allan Praats - Part 1.

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De pas rapides, Alicia tournait autour de la table à manger de son appartement. C’était précisément dans ce genre de moments qu’elle se rattachait à son ancien prénom. L’identité de Lana avait disparu aussitôt qu’elle s’était imaginé devoir appeler la police. En cet instant, elle était Alicia Polswerd, une femme qui avait pris la fuite des années auparavant et qui avait simulé sa mort.

De coups d'œil fréquents, elle guettait son téléphone, à l’affût d’un appel. Mais rien. La blonde coinça sa chevelure entre ses phalanges, serrées à la racine, et porta son attention sur l’horloge murale qui trônait au-dessus de son frigo. Plus qu’une minute, et une heure se serait écoulé depuis qu’elle s’était promis de contacter la police.

Sa tournante se transforma en allers-retours de plus en plus raccourcis, et ses yeux suivirent la saccade de la petite aiguille qui se promenait à l’intérieur du cadran. Le même jeu s'en allait sous sa poitrine. À chaque bond en avant, son cœur cessait de battre pour ensuite reprendre sa course plus férocement.

Vint dix-sept heures et demie. Le souffle coupé, Alicia empoigna son téléphone et composa le numéro. Où était-il ? Les larmes grimpèrent à ses paupières en même temps qu’elle pria pour qu’il ne lui soit rien arrivé.

Entendue, la sonnette de l’interphone retentit dans l’appartement comme un miracle. De suite, elle abandonna son téléphone et ouvrit l’accès au bâtiment avant de sortir en trombe dans le couloir. Malgré ses jambes en détresse, elle descendit les escaliers à toute allure.

À leurs pieds, son fils l’attendait :

  • Allan !

Depuis la dernière marche, elle se laissa tomber dans ses bras. Elle l’attrapa dans les siens et le serra de toutes ses forces. Mais ce dernier rechigna à l'étreinte et la repoussa d’un geste. Le regard embrumé, Alicia chercha le visage qu'elle avait tant espéré retrouver. Celui-ci portait des lèvres retroussées et un regard rempli d'amertume. Cela la terrifia bien plus que d’appeler la police... L’idée même qu’il puisse connaître la vérité. Comment aurait-il pu ? Elle déplia les genoux et sentit sa salive s'accrocher à sa gorge lorsqu'elle prit connaissance de la personne qui l'accompagnait. Le jeune homme avait pris soin de le maintenir fermement par la capuche, comme pour empêcher le gamin de s’enfuir. Et ce fut exactement ce qu’il fit dès que les adultes échangèrent un regard. Allan disparut aussi rapidement qu'un éclair, et claqua si fort la porte de sa chambre à l’étage que le bruit résonna dans toute la cage d’escalier.

Sa mère, pantoise, condamna le chanteur d’une expression qui annonçait l'imminence d’une série de reproches.

  • Il me semblait avoir dit que…

Aussitôt que Billy leva haut les mains, se lavant d’une quelconque responsabilité, elle se tut. Ce dernier, au contraire, se lança en haussant un sourcil qui lui déplut fortement.

  • Soyez contente… Je vous l’ai ramené en un seul morceau.

***

Le matin même, alors qu’elle prenait son petit-déjeuner en compagnie de son fils, un bruit sourd provenant de l’extérieur amena Lana à se rendre sur son balcon. Encore en pyjama, la fraîcheur de l’hiver fouetta chacun de ses membres. Elle croisa les bras, la buée se soulevant au-dessus de sa tête et étira le cou afin de percevoir d’où venait les protestations. Dans la rue, une mère réprimandait son adolescent. Il semblait que ce dernier venait de mettre un coup de pied dans sa voiture dans un accès de colère. Le tapage fit tirer les rideaux à plus d’un voisin.

  • C’est qui ? lui parvint une voix curieuse.

Lana enfonça ses prunelles dans celles de son fils. Ce dernier était assis à table, en train de prendre son petit-déjeuner. Il lui apparut un peu plus réveillé. Frigorifiée, Lana se pressa à l'intérieur, et vint se rasseoir en face de lui.

  • Des voisins qui se disputent, dit-elle en réchauffant ses mains autour de sa tasse de café.
  • À cause de quoi ?
  • Je ne saurais te le dire… He, tu as vu l’heure ? Finis ton bol ! s’exclama-t-elle en notant qu’il était à la traîne. Tu vas encore être en retard.
  • Oui, euh… ! Je peux te demander… Est-ce que je peux aller jouer au foot avec les copains après l’école ? Ils veulent que je sois le gardien et…
  • C’est une bonne idée.

En effet, alors qu’Allan s’était toujours entouré de plein d’amis à l’école, la situation avait récemment changé. Depuis que ce dernier s’était vanté d’avoir croisé Billy M. chez lui, la plupart de ses camarades le charriaient. Ils ne le croyaient pas.

Alors que Lana se rassurait qu’il s'entendait avec les autres gamins du quartier, elle était loin d’imaginer ce que son fils avait en réalité en tête de bon matin.

  • Ne rentre pas trop tard, d’accord ? On dit quinze heures et demie ?

Allan acquiesça promptement. Il avala la fin de son chocolat chaud d’une traite et se dépêcha d’aller se débarrasser de son pyjama.

Une dizaine de minutes plus tard, depuis le salon, sa mère s’écria :

  • Allan ! Tu es prêt ?
  • Oui ! J’arrive ! Toilettes !

En finissant d’enfiler ses chaussures, le garçon sautilla jusque dans le couloir. Il claqua la porte des WC sur son passage, mais continua son chemin. Dans la chambre de sa mère, il fit face au silence complet. Allan jeta un œil dans son dos. Tout en le maintenant, il se dirigea d’un pas de velours vers la commode devant laquelle il s’agenouilla. Il ouvrit l’avant-dernier tiroir en étirant un sourire crispé, espérant ne faire aucun bruit. Chose difficile quand ce qui se dissimulait sous les vêtements se trouvait être en métal.

Le cœur tambourinant, il attrapa une boîte et s’appliqua à l’ouvrir en silence.

  • Il est l’heure ! Dépêche-toi !

En sursaut, il referma la boîte et effectua chaque geste à l’inverse avant d’enfourner dans son sac à dos ce qu'il avait subtilisé. Ce fut en trottinant et après avoir tiré la chasse d’eau qu’il atterrit devant sa mère. L’air sévère de cette dernière, qui l’attendait dans le hall, les clés à la main, s’adoucit dès qu’il lui adressa une bouille désolée. En hâte, ils empruntèrent les escaliers, le covoiturage d’Allan l’attendant déjà devant le bâtiment. Il s’agissait d’une professeur de l’école.

Lana prit soin de coller un gros baiser sur la joue de son fils avant qu’il ne file dans la voiture. Elle l’observa partir, les mains sur les hanches, en désespérant à l’idée qu’un jour il soit à l’heure.

Après tout, cela n’avait jamais été elle-même son fort.

  • Les enfants nous en font voir de toutes les couleurs, n’est-ce pas ?

Aux côtés de Lana, une dame de plus ou moins son âge apparut, la voisine du rez-de-chaussée. Cette dernière portait la capitale sur ses épaules et un carré brun pour coiffure. Les deux femmes se croisaient systématiquement aux premières heures de la journée. La plus élégamment habillée des deux en profitait pour s’adonner à quelques commérages :

  • As-tu entendu tout ce boucan, ce matin ? demanda-t-elle, d’un air effaré.

Elle donnait l’impression de connaître l’histoire de chaque personne dans le quartier.

  • Ce n’est pas la première fois que je me fais réveiller à cause d’eux. Le gamin se dispute souvent avec sa mère. Il ne la respecte pas, quoi qu’elle ne se fait pas respecter non plus… Ce sont les voisins d’en face, oui. Ils habitent au deuxième… Ce n’est pas étonnant qu’il soit rebelle, un fils à besoin de son père. Nous ne savons pas où il est parti. Cela m’a tout l’air d’une triste histoire…

Par “nous”, elle entendait ces dames qui s’entretenaient lors d’après-midi thés et gâteaux. Lana n’avait jamais osé remettre en question l’un de leurs avis. Elle connaissait les codes, sans pour autant venir du même milieu. Des codes longuement appris durant son adolescence et qu'elle ne respectait pas à l'époque.

À Paris, elle s'y pliait et davantage en cette compagnie.

  • Quand je pense que tu es exactement dans la même situation, on voit la différence d’éducation. Ce n’est pas Allan qui nous ferait une telle scène. C’est un bon garçon, tu dois être soulagée qu’il ne fasse pas de siennes ?

Lana lui répondit dans un premier temps par un sourire avisé.

  • … Ne t’y trompe pas, il a son tempérament ! Et il ne se lève jamais à l’heure ! s’exclama-t-elle, avec joie.
  • Évidemment, comme la plupart des garçons de son âge.
  • Mis à part ça, je n’ai rien à lui reprocher.
  • Espérons que cela continue à l’adolescence !

Tout en croisant les doigts, les deux femmes se quittèrent en bons termes. Une fois dans sa voiture, Alicia maintenue son sourire le temps que sa voisine démarre. Il s’effaça ensuite. Dans son rétroviseur, elle lança un regard noir au véhicule qui s’éloignait. Quand bien même elle reprocherait quelque chose à son fils, ce ne serait pas à cette femme qui aimait tant les ragots qu’elle le confierait.

Lana connaissait parfaitement la marche à suivre. Elle avait appris d’expérience que la moindre chose racontée finirait extrapolée aux oreilles d’un tiers, ainsi qu’une information en amènerait une autre, et ainsi de suite. Il deviendrait alors impossible de compter le nombre de personnes au courant de ce qui était censé rester une confidence. C’est pourquoi elle taisait les siennes, convaincue que la plus infime d’entre elles, amèneraient à ses secrets. Lana voulait par-dessus tout garder son fils éloigné du passé.

Ce dernier aimait les grimaces au-delà des bêtises. Il était conciliant, et toujours partant pour de nouvelles aventures. Certes, têtu, mais il n’avait jamais rien entrepris qui la poussa à hurler de tout son saoul.

En route vers son atelier, elle songea au fait qu’elle avait de la chance que son gamin ait une aussi chouette personnalité. Sage, elle n’avait jamais connu de grandes difficultés à l’élever, tout comme avec sa fille, auparavant. La conduite d’Alicia devint automatique à l’instant où les images de sa première-née déboulèrent avec force dans son esprit. Celle-ci n’avait jamais été difficile. L’était-elle aujourd’hui ? Donnait-elle du fil à retordre à Dossan ? D’un coup sec, Alicia enfonça son pied sur la pédale de frein. La ceinture de sécurité l’empêcha de s'écraser le crâne contre le volant.

Étourdie, elle y garda ses mains attachées un court instant et sortit tout l’air présent dans ses poumons.

Le feu de circulation repassa au vert.

Voilà ce que la visite de Billy Makes avait amené. Elle n’avait pas seulement changé le quotidien d’Allan, mais le sien également. Elle le savait, pourtant, que cette curiosité incontrôlée et grandissante deviendrait une embûche. Il devenait difficile d’enterrer les souvenirs. Elle y mettait toute sa force, en oubliant qu’une personne déjà, était au courant de son secret. En oubliant que la plus grande qualité de son fils résidait dans sa fougue à vivre des aventures.

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