Chapitre 19 : Subtilement...

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À la lueur de sa lampe de bureau, Alex soupira et se mit à frotter le côté de ses yeux. Ce dernier travaillait tardivement sur la punition qui lui avait été donnée par Monsieur Xavier. Il y était depuis deux jours déjà.

Concentré, il n'entendit pas sa mère monter les escaliers. Cette dernière marqua à peine sa présence.

  • Tu t'en sors, chéri ?

Il lui octroya un regard plus désespéré que sa réponse :

  • Oui, ça va, dit-il en malaxant sa nuque fatiguée.


Garder la tête penchée sur l’ordinateur pour ses recherches l’avait engourdi. Marry s'approcha et l'attrapa par les épaules, procédant à masser son cou.

  • Tu ne m’as pas expliqué ce que tu devais faire ?
  • Une dissert’.

C’était plutôt évasif.

Intriguée, elle le questionna davantage :

  • Mais encore ? C'est quoi ton sujet ?
  • … C'est à propos de la communication entre les hommes et les femmes.

En entendant sa mère pouffer, il fit de même.

  • Oui, je sais, il n’est pas très subtil notre directeur.
  • Ah, cet homme ! Je peux te confirmer qu’il ne l’était déjà pas de mon temps.
  • Du temps des dinosaures ?

Alex mérita amplement la pichenette qu'il reçut sur le haut du crâne et son châtiment fut d’être abandonné. Il dut retourner à sa punition qui n’avait pas été choisie au hasard.

***

En effet, Olivier Xavier était connu pour bien des choses. En premier lieu, pour être le directeur de l'école Saint-Clair, mais aussi comme étant l'un des descendants directs de son fondateur. Aspirant au même poste que celui-ci, il avait d'abord commencé par être professeur au sein de l'établissement. Il avait alors enseigné le Français pendant des années avant de monter en grade.

Déjà en ce temps, le professeur manquait de discipline. Il avait toujours privilégié le jeu en classe, favorisant la créativité de ses élèves, ainsi que la communication avec ceux-ci. Ce point n'avait pas changé une fois devenu directeur et encore moins à l'âge de soixante-deux ans.

Monsieur Xavier ne s’en cachait plus : il manquait cruellement de subtilité. Ce dernier n'avait jamais réussi à faire autrement que de s'impliquer dans la vie de ses étudiants. De même, il n'avait jamais réussi à ne pas s’en amouracher, certains l’intéressant plus que d'autres. Là était son péché : il s'attachait. À leurs histoires racontées au tournant d'une bêtise, à leur innocence liée à l'adolescence, mais encore à la façon dont certains se montraient brillamment malins.

C’était plus fort que lui.

Il finissait toujours par se pencher davantage sur les élèves en marge. Ceux qui ne faisaient pas l’unanimité auprès de leurs camarades. N’était-ce pas son rôle, après tout, d’amener les moins intégrés à se sentir comme chez eux au sein de l’école, mais encore de l’internat ?

Tout au long de sa carrière, ce dernier avait jonglé avec les limites, tantôt les respectant, tantôt les repoussant. À son âge, cependant, et proche de la retraite, le directeur avait arrêté de se trouver des excuses. Conseiller un étudiant en difficulté le rendait heureux. Dernièrement, il espérait qu’Alex Stein décèle la complexité du langage féminin. S’il arrivait à saisir la manière dont réfléchissait sa petite amie, peut-être qu’ils seraient capables d’arranger plus d’un de leurs soucis. En déboulant dans son bureau, Alex lui avait tout déballé de lui-même. Il n’avait eu à poser aucune question, mais il lui arrivait de donner délibérément des coups de pouce à une poignée d’entre eux. Et aussi surprenant que cela pouvait paraître, l’inverse était également vrai.

En réalité, il n'y avait qu'un seul élève auquel il se permettait de formuler des requêtes. Assis à son bureau, Monsieur Xavier l’attendait. Ce ne fut pas long, car il arrivait toujours une petite minute de battant. Il le soupçonnait de le faire exprès.

Quant au fait d'espérer que celui-ci s’annonce en frappant à la porte ? Il lui sembla qu'il n'avait pas droit à ce luxe.

  • Salut.
  • Bonjour, Kyle, appuya-t-il sur la forme.

L’expression du blondinet, qui entra librement dans la pièce, se resserra. Il reprenait connaissance du bureau à chaque fois qu’il y pénétrait, comme s’il s’attendait à ce que des choses aient bougé de place. En cherchant le petit détail, il tomba sur une enveloppe. Vierge, celle-ci trônait au-dessus de plusieurs documents, sur le coin de la table. D’un pas las, Kyle se dressa devant lui et le dévisagea, à la recherche du moindre indice. Il se demandait pourquoi il avait été appelé.

  • Vous voulez quoi ?

Monsieur Xavier nota qu’il semblait guidé par son humeur plus qu’à la coutume, mais il avait confiance. Il savait par quel pincette l’attraper.

  • Toujours aussi mauvaise langue. Assieds-toi, je te prie, dit-il en l’invitant à prendre place.

Kyle ne se fit pas prier, mais tout dans son attitude montrait qu’il restait sur ses gardes, et son visage projetait un intérêt certain envers cette enveloppe. Le directeur l'attrapa.

  • Je ne vais pas tourner autour du pot. Il y a quelque chose que je dois te monter, déclara-t-il en lui tendant.
  • … C’est de l'argent, j’espère ?
  • Ouvre-la.

Il cloua ses yeux dans les siens, cherchant à le déstabiliser, puis entreprit de l'ouvrir. Kyle y trouva un semblant de lettre. Il la déplia pour en prendre connaissance. C’était au tour du vieil homme de le toiser, lui aussi, essayant de lire derrière le masque qu’il portait en permanence. En fixant le papier, ce dernier ne laissa rien  transparaître.

  • Et donc ?
  • Donc ? reprit-il, surpris par sa désinvolture. J’ai reçu cette lettre il y a quelques jours déjà. Comme tu t'en doutes, je ne m'y attendais pas, mais je n'ai pas voulu tirer de conclusions hâtives, sans avoir aucune certiture que ce soit vrai. Donc, j’ai préféré t’appeler, en pensant que tu étais le mieux placé pour répondre à ma question.
  • … Qui est ?

Lorsqu’il mima la naïveté, Monsieur Xavier s’accouda à son bureau et joignit ses mains. Il constata qu’il gardait précieusement le mot refermé auprès de lui.

  • Est-ce que c'est vrai ? Que notre chère professeur Sylvia Leli et ton ami Steve ont une relation ?
  • Ce n’est pas mon ami, trancha-t-il, brutalement.
  • Maintenant que tu le dis… Il y a un moment que je ne vous ai plus vu traîner ensemble dans les couloirs. Que s’est-il passé ?

Kyle garda les bras croisés fermement, les yeux vides d’émotion.

  • Bien, passons. Il n’en reste pas moins que tu passais tout ton temps avec lui. J’ai supposé qu’il est possible que tu en saches plus que moi et que tu es en position de me renseigner. Si tu es au courant de quoi que ce soit, j’aimerais que tu m’en fasses part.

Un malin sourire gagna ses lèvres.

  • Est-ce que je sais quelque chose ?

Il adopta sa posture de négociation en reculant dans sa chaise, le bras sur le dossier et les jambes croisées.

  • Je me le demande.
  • Très bien, tu veux de l’argent, c’est ça ?
  • Je ne dirais pas non, répondit-il, en tortillant son nez.
  • Saches que tu n’auras rien de ma part. Si seulement tu avais quelque chose contre moi pour me faire chanter, mais c’est dommage, tu sais déjà que je suis exemplaire.

Pourtant, Monsieur Xavier ne faisait pas exception à la règle. Comme tout le monde, il possédait son propre jardin.

Comme tout le monde, il avait des secrets.

  • Ce que je te demande aujourd’hui, c’est un service qui ne te coûtera pas plus que des mots. Alors, dis-moi, sais-tu quelque chose à ce sujet, oui ou non ?

Kyle aspira ses joues, agacé et détourna la tête. En balançant une jambe, il réfléchit, puis il devint plus sérieux que jamais.

  • Je suis au courant de bien des choses sur Steve Matveïev, Monsieur. Mais pas d’une quelconque relation entre un professeur et son élève.
  • … Dans ce cas, puis-je te demander de…

Monsieur Xavier fronça les sourcils.

  • De ? demanda-t-il, curieux du temps de pause qu’il marqua.
  • Pourrais-tu mener ta petite enquête à ce sujet ? reprit-il, plus doucement.
  • Ça dépend, c’est quoi votre but ?

Il était rare de le voir souffler. Il prit du recul face à la question. Kyle détailla ses vieux traits, inhabitué à y voir du mécontentement. En fait, cela n’y ressemblait pas totalement.

  • Je ne veux pas qu’un scandale éclate au sein de l’école. Si possible, j’aimerais régler cette histoire en interne, en espérant que ce ne soit… que des rumeurs, dit-il, l’air contrarié.
  • Tout à un prix, vous savez.
  • Je t’ai déjà dit que je ne te donnerais pas d’argent…
  • Donnez-moi la paix, et ça devrait le faire, déclara-t-il en se levant de sa place. Est-ce que vous avez idée de qui vous a adressé ce mot ?
  • Non, dit-il en passant un doigt autour du col de sa chemise, mal à l’aise. Je l’ai trouvé dans mon bac, en salle des professeurs.
  • Et quand l’avez-vous reçue ?

L’enveloppe en otage, il la tritura, affamé de renseignements, mais il tardait à répondre. Kyle l’observa se lever dans son siège difficilement tout en s’appuyant à son bureau. Il suivit chacun de ses mouvements, du bras qu’il tendit, au doigt tremblant qu'il utilisa pour pointer quelque chose.

  • Pourrais-tu me…
  • Quoi ? fit-il, en ayant mal entendu.
  • La bouteille… d’eau…

Il ventilait comme s’il venait de courir un long marathon. Sans négocier, Kyle l’attrapa et se déplaça pour le lui donner. La bouteille tomba à ses pieds, échappant à sa main.

  • Attention…

Ce dernier la pressa plutôt contre son bras gauche, comme s’il venait d’y être piqué, et perdit l’équilibre.

  • He, ça va pas ? fit Kyle en le réceptionnant et en prenant connaissance de son visage crispé de douleur. Olivier ?

Il trembla de tout son soûl, en le voyant attacher sa main à sa poitrine, suffoquant. Ses yeux s’écarquillèrent, en comprenant.

  • He !! Olivier !

Les mains clouées à ses épaules, les siennes cherchaient à s’agripper à ses vêtements. Il tomba avec lui à genoux.

  • Non…

Il se pressa d’essayer de l’asseoir, mais de tout son poids, il s’étala au sol, les mâchoires serrées, le corps tendu. Kyle réprima l’envie de le secouer, en ne sachant par où l’attraper.

  • Non, non, non… ! Non ! Reste, je…

En cherchant une issue, à droite, à gauche, il se rappela de la marche à suivre. D’un coup, il sortit son téléphone de sa poche.

  • Ça va aller…

Celui-ci sautait entre ses paumes. Ses doigts tremblaient tellement qu’il n’arrivait pas à taper son code pour le déverrouiller. En l’entendant émettre un grognement, Kyle laissa échapper un long gémissement de frustration. Il fallait penser rapidement. Les jambes en coton, il n’eut pas la force de se lever et rampa jusqu’au bureau, duquel les dossiers devant le téléphone fixe, s’envolèrent. D’un seul doigt, il tapa le numéro et serra l’appareil de toutes ses forces jusqu’à entendre une voix.

  • Il faut une… ambulance, balbutia-t-il, en emprisonnant fermement sa chevelure. À Saint-Clair. Pour le directeur. Monsieur Xavier, il fait une crise cardiaque, alors… s’il vous plaît… vite…

L’hôpital n’était pas loin et ils connaissaient l’adresse. Ils seraient bientôt là. Kyle resta accroché longuement au téléphone, le front déposé dessus, et toujours à genoux, appuyé au bureau. Il priait. Les râles de Monsieur Xavier l'amenèrent à ramper de nouveau vers lui. Il s’assit à côté de son corps, bouleversé. Ses yeux le regardaient. Les siens s’embrumèrent. Alors de sa main qui ne cessait de gigoter et sans le toucher, il bloqua son champ de vision. La respiration courte, il attendit.

Il attendit l’arrivée des secours, en le privant de le voir recroquevillé sur lui-même, ainsi que d'entendre les horribles bruits qu'il produisait, en couvrant sa bouche. Celui de l’ambulance qui se rapprocha fut une bénédiction, ainsi que les lourds pas dans les escaliers et la porte du bureau qui s’ouvrit en trombe. Il assista, mis de côté, aux ambulanciers qui le déposèrent sur le brancard. Quand ils l'emportèrent, il voulut les suivre, mais une femme à qui il n’avait absolument pas fait attention jusqu’ici, déposa sa main contre son torse pour le retenir.

  • Garçon, dit-elle d’une voix douce. Comment tu t’appelles ?

Par-dessus son épaule, Kyle les vit partir. Il ne répondit pas, ailleurs, et la contourna, sur quoi elle lui barra à nouveau le passage.

  • Changeons d'endroit, suis-moi.
  • Quoi ? Non. Je les accompagne, fit-il en ne la regardant toujours pas.
  • Tu ne peux pas…

Enfin, il planta ses yeux dans les siens, le nez retroussé.

  • Mais vous êtes qui, vous ?!
  • Je suis là pour rester avec toi et t’expliquer ce qui vient de se passer. C’est normal d’être en colère…

En colère ? Kyle baissa la tête, n’écoutant qu’à moitié les mots qu’elle jacta par la suite. Il savait très bien ce qu’était un infarctus. Il savait aussi qu’il avait bien agi en appelant le bon numéro. Il n’avait pas besoin d’une pauvre assistante sociale pour lui raconter les émotions qui l'avaient transcendées jusqu’ici.

Il entendit, surtout, l’ambulance partir sans lui.


  • Madame, comment vous vous appelez ? demanda-t-il d'un ton beaucoup plus calme, le menton légèrement relevé.
  • Christine, et…
  • Vous avez quel âge ?
  • J’ai trente-six ans ! Et toi, mon garçon ?
  • Dix-sept. Et vous travailler à la cellule urgentiste, c’est ça ? Vous avez des enfants ? enchaîna-t-il, en lui octroyant un regard écrasant.
  • Heu, oui.. j’en ai quatre, mais…

Sans prévenir, il l’attrapa et la colla contre le mur en lui bloquant sa main au niveau du cou, un doigt écrasé sur sa gorge, l’autre planté sur ses lèvres. Bordés de rouge, ses yeux fous la firent frémir.

  • Eh bien, Christine !

Elle n’arriva même pas à déglutir.

  • S’il meurt, dit-il, ses narines se gonflant. Et qu’à cause de vous, je n’ai pu lui dire au revoir… vos gosses…

D’un coup de pied, il se fit propulser. Effarée, l’assistante le regarda de haut en bas, en se tenant la gorge. Quand bien même ce que lui demandait son métier, elle l’abandonna sur place. Aussitôt, Kyle souffla tout l’air qu’il avait dans ses poumons, sa lèvre inférieure ne cessant de trembler. Seul, au milieu de la pièce, il resta debout un long moment. Puis, il dériva doucement vers le bureau de Monsieur Xavier, dont il caressa le bois. Il s’assit dans son grand fauteuil, la chaise devant lui, vide. Accoudé, il cacha sa tête entre ses bras, son dos à découvert.

Subtilement, celui-ci se soulevait.

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