Chapitre 7 : À tort et à travers.

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En route vers une nouvelle journée de travail, Marry tenait le volant du bout des doigts. La lueur de l’aube se répercutait dans ses verres teintés et le ciel, bientôt dépourvu des dernières traces rougeoyantes, n’offrait aucun nuage. Ce dernier, reflété sur la carrosserie claire de sa voiture, apparaissait comme un songe.

Mêlée aux autres véhicules, l’art de passer inaperçu n’avait jamais été le grand fort de la Richess. En effet, de bon matin, le ronronnement de la Chevrolet surpassait les bruit de la ville. Concentrée, Marry ne prêtait guère attention aux autres conducteurs. Il n’était pourtant pas une fois coutume qu’elle reçoive des regards curieux. Si ça ne la gênait pas, il n’en allait pas de même de son fils.

Arrêtés à un feu rouge, Alex resserra les bras quand il se sentit scruté, et souffla une mèche volage, mécontent. C’était un jour “sans”, sa chevelure dorée ayant refusé de collaborer.

  • Combien de temps il va me fixer celui-là, lâcha-t-il en trouvant l’attention de sa mère.
  • Que veux-tu, tu es une star, mon fils, plaisanta-t-elle, en espérant qu’il retrouve le sourire.

Il avait commencé à faire la tête dès le début du trajet.

  • Une star, mon cul.
  • Ton langage, Alex ! Je ne t’ai pas élevé parmi les cochons à ce que je sache !

De plus belle, sa jambe reprit le mouvement qui l’avait accompagné tout du long. Marry le détailla au travers de ses grosses lunettes. Sous son manteau en cuir, il portait un pull à capuche. Il était mal coiffé, mal réveillé, et pour couronner le tout, malpoli. Cela devint clair que quelque chose n’allait pas, le problème restant qu’Alex ne se confiait jamais.

  • Tu t’es levé du mauvais pied ?

Il confirma en répondant par le silence.

  • Tu préfèrerai aller seul à l’école, peut-être ?
  • Ce n’est pas ça, dit-il en levant les yeux au ciel, puis en attrapant son front.

Depuis que Marry travaillait dans le centre de Genève, elle avait pris l'habitude de le conduire le lundi matin. Puisqu’elle lui accordait des coups d’œils insistants, Alex souffla :

  • Ce n'est pas contre toi, jai juste mal dormi.
  • Il y a une raison particulière ?
  • Maman… Tu parles trop. Vraiment.
  • Oh, très bien, je me tais ! De toute manière, on arrive. Tu passeras ta mauvaise humeur sur tes profs.

À la vision de Saint-Clair qui approchait, il fut à la fois soulagé et retourné. Son ventre se noua avec l’impression qu’il allait rejeter son maigre déjeuner. Jamais il n’avait autant craint de rentrer dans l’enceinte. Cette fois, c’était pour sa pomme. Il avait fauté et toute l’école devait en parler.

Pour ne rien arranger, Marry se gara devant l’entrée. Ils attiraient bien trop l’attention à son goût. Parmi la foule d'étudiants, une crinière rousse se dénotait, au loin.

  • Ah, mais qui voilà !

En voyant Faye, Alex se liquéfia. C'était pire que tout. Elle marchait dans leur direction et sa mère en semblait ravie :

  • Allons-lui dire bonjour ! dit-elle en défaisant sa ceinture.
  • Non, attends !

Il la retint par la manche, paniqué. Aussitôt, Marry passa du regard de son fils, à la silhouette de sa petite amie qui s'éclipsa rapidement dans la cour.

  • Que se passe-t-il ?
  • En fait, nous ne sommes… plus vraiment…
  • C’est fini ?

Il n’en avait aucune idée, sans nouvelle d'elle.

  • Je ne sais pas.

Voir sa mère tomber de haut rendit la situation encore plus désagréable.

Elle n’arrivait pas à le croire :

  • Pourtant, j’ai eu Elliot au téléphone ce week-end et il ne m’a rien fait savoir. Je ne comprends pas, depuis quand vous…
  • On s’est disputés vendredi, et je ne sais pas, peut-être qu'elle n'a pas ressenti le besoin de le lui raconter, ajouta-t-il, amer.
  • Toi non plus, tu ne m’as rien dit. Je n’aurais jamais cru…

  • Peut-être parce que tu étais bien trop occupée à penser à ton Chuck Ibiss !

Les nerfs à vif, cela lui échappa. Il disait la vérité, mais pour autant, Marry resta comme deux ronds de flan.

  • Ah, d'accord. Tu me joues cette carte-là. Alors que pendant des années, j’ai eu droit au silence radio ? Sincérement, je m’excuse si je t’ai blessé, mais tu avoueras que ce n’est jamais évident de comprendre tes états d’âmes, et oui, effectivemment, j’avais la tête ailleurs.
  • Bien ailleurs, c’est sûr.
  • Alex, ça suffit ! J’ai déjà un amant en liberté qui fait n’importe quoi, je n’ai aucune envie de me prendre la tête avec toi en plus.

Les narines gonflées, il extirpa tout l’air qui s’y était logé afin de réprimer son envie de répliquer. Il se désolait lui-même. La tête basse, Alex jeta un œil rapidement dans la cour. De là, il pouvait voir Faye, en compagnie de leurs deux meilleurs amis. S’il n’y avait plus aucun sourire sur son visage, c’était par sa faute. À nouveau, il soupira, incapable d’envisager la suite. Marry lut le regret logé dans ses traits, ainsi que l’anxiété refoulée sur ses pouces abîmés.

  • … Et si tu m’avouais ton crime ?
  • Pourquoi tout de suite, ce serait moi qui… !
  • Ha ! Réaction typique. J’en ai côtoyé des garçons quand j’étais jeune et cette tête-là, je la reconnais entre mille ! Alors au lieu de t’exciter comme un macho touché dans son ego, raconte moi plutôt ce que tu as fait ?

Remué, Alex marqua un temps pour se calmer.

  • J’ai embrassé une autre fille.

Le silence qui suivit lui sembla durer une éternité. Marry attendit qu’il ose la regarder à nouveau pour lui montrer sa déception. Quand elle haussa les sourcils, il eut envie de se justifier, mais rien ne sortit.

  • Je peux savoir pourquoi ?
  • À la soirée, j’ai beaucoup bu et fumé…
  • Ah oui ? J’imagine que ça explique tout, appuya-t-elle.
  • Pas du tout, c’est juste pour que tu comprennes comment ça s’est passé.
  • Je me contrefous de savoir comment tu as embrassé une autre fille que ta petite copine. La seule chose que je veux savoir, c’est pourquoi tu l’as fait. Et ne me sors pas l’excuse des substances. On en reparlera d’ailleurs,...
  • Comme si tu n'en avais jamais pris.
  • J'ai bu beaucoup d'alcool, mais je ne me suis jamais droguée. Et même si je suis pour que tu expérimentes les choses de toi-même, je me dois de…

Nerveusement, il se pourlécha les lèvres.

  • Je n’y crois pas, on a cette conversation.
  • … Que tu es agaçant.
  • Toi aussi, tu es agaçante.

Quand le culot rencontrait l’insolence. Un nuage noir passa au-dessus de leurs têtes, des éclairs claquants.

  • Parfait. Fume, bois, embrasse d’autres filles, tu as raison.
  • Oh, arrête ! Tu as bien trompé papa toi !
  • Je vais te…

Furieuse, elle attrapa un dossier qui traînait sur le tableau de bord pour lui flanquer un coup sur la tête.

  • Ça suffit, oui ! Arrête de tourner la conversation à ton avantage ! Quel malotru tu fais, tu sais très bien que tu es en tort... Tu sais quoi ? Tant que tu ne m’auras pas expliqué pourquoi tu as agi comme un salaud, tu ne sortiras pas de cette voiture.

Le bruit du verrouillage des portes, alarma Alex.

Il préféra jouer au plus malin :

  • Pas d’école, dans ce cas.
  • Je ne te ferai pas de mot d’excuse, sache-le.
  • T'inquiètes pas pour ça.

La pire chose qu’il pouvait arriver à une mère était de se retrouver face à un enfant aussi impertinent qu’elle l'avait été au même âge.

  • Dis-moi.
  • Ça ne te regarde pas.
  • Tu vas me le dire tout de suite, ou je…
  • Ou quoi ?
  • Tu veux vraiment tester ma patience ? Ou que j’en arrive à te faire des menaces ? Il me semblait que tu l’aimais plus que tout.
  • Mais je l’aime ! C’est juste que…

En fait, il avait aucune excuse. Après toutes les crises de jalousie de Faye, et à force qu'elle le pousse vers d'autres filles, il avait fini par se demander si ce n'était pas la solution. À bout, il avait tenté le coup de provoc' et il le regrettait amèrement.

  • Si, je l'aime.
  • Pourquoi as-tu fais ça dans ce cas, chéri ?
  • C'est compliqué entre nous.
  • Alex... Tu sais qu'en embrassant une autre, tu n’as fait que confirmer ses doutes ?
  • Je sais.

Il s'arracha de la peau autour de ses doigts.

  • J'ai cédé à la colère et à toutes les tentations. Je suis affreux. Maintenant, je... je n'ai aucune idée de ce à quoi elle pense et si elle est capable de me pardonner. J'ai peur qu'elle veuille... rompre, mais si ça arrive, ce sera mérité.

En sentant la main de sa mère couvrir la sienne, il se détourna.

  • Ecoute, ce n'est pas bien ce que tu as fait. Mais si tu as vraiment envie d’être avec Faye, excuse-toi en premier lieu. Fais lui la cour. Fais tout ce qu'il faut la récupérer et si elle t'aime... Vous finirez par vous réconciliez. Il faut que tu tiennes le coup, d'accord ? Même si elle est dure.
  • D’accord, dit-il d’une mince voix.
  • Allez, mon fils, courage.

Marry l’embrassa avant qu’il ne descende de la voiture. La vision de son gamin sur le trottoir en peine face à ses responsabilités lui serra le coeur, mais ainsi voulait-elle l’élever, en lui apprenant à assumer ses erreurs.

Elle reprit la route en espérant sincèrement que la situation s’arrange pour eux, tout comme elle espérait que ses propres problèmes sentimentaux prennent fin.

Comment faire en sorte que tout aille mieux ? Avec cette même pensée en tête, Alex admis qu’il aurait préféré rester aux côtés de sa mère. Face à la cour de Saint-Clair, à la réalité, il ne se fit pas fier.

Faye en ligne de mire, il prit son courage à deux mains. La nervosité attaqua ses paumes. Immergé, il réfléchit comment l’aborder, tout en se mentalisant à éviter le jugement des autres. Si bien, qu’il ne fit pas attention à la personne qu’il avait le moins envie de croiser.

  • He ! Voilà mon Don Juan préféré !

De suite, Alex se dégagea de l'emprise de Steve. Ce dernier ne cesserait jamais d’être sur ses talons, alors qu'il aurait dut se faire tout petit. En retrait, il le toisa. Son air suffisant derrière sa façade ivoirienne le mettait hors de lui. L’envie de lui étirer davantage les yeux, pour tout ce qu’il lui avait fait subir, le démangeait.

  • Combien de fois je vais devoir te demander de me laisser tranquille ?

Il le contourna, mais l'Asiat lui fit barrage de ses deux mains. Alex passa un regard au-dessus de son grand gabarit. Il vérifia si Faye l’observait. Il semblait que non, mais Nice et Selim semblaient bien embêtés.

  • Allez, s’il te plaît ! Ne me fais pas la gueule !
  • Tu crois vraiment que j’ai envie de t’adresser la parole ?

Steve fit aller son pouce en arrière, en direction de sa petite amie.

  • He… T'as pas chômé. Vous avez discuté ? Tu crois que… ça va se refaire ? le questionna-t-il en se dandinant étrangement.
  • ... Tiens, tu t'intéresses au bien-être de mon couple maintenant ? Tu es vraiment de la pire espèce.
  • Hum, vu que j'ai du sang russe, on peut dire que...
  • Mais ferme là ! Ferme ta putain de bouche et arrête de te mêler des affaires des autres. Tu joues au rigolo, mais t’es qu’un fils de pute.
  • Euh, ça non par contre...
  • Arrête, tout de suite, de me chauffer. Tu t’es déjà mis au travers de mon couple une fois, pas deux. Tout ça, c’est ta putain de faute. C’est toi qui a mis de l’huile sur le feu, alors casse-toi de là ! Range-moi ta sale gueule ailleurs !

Excédé qu'il ne bouge pas d'un pouce, Alex roula sa langue à l’intérieur de sa joue. Au loin, Selim l'invitait à abandonner.

  • Je ne sais pas si tu t'en souviens, mais j'ai essayé de te prévenir, à la soirée, poursuivit Steve. Que tu allais trop loin.

“Il n’y a que la vérité qui blesse”.

Il s’en souvenait, et cela l’agaça encore plus. S’il refusait de décamper, lui le ferait à sa place. Le petit rire qui résonna dans son dos, l'obligea à s'arrêter.

  • Bon. Je ne te demande pas si tu te souviens lui avoir roulé une pelle.

Doucement, Alex glissa son regard dans celui de Steve, avant même de faire la même chose avec son corps.

Il s’approcha, l'index tendu dans sa direction.


  • Steve, tu sais quoi ?

Je t’emmerde.

Il fit voler une droite bien serrée dans sa figure. L’exclamation des élèves dans la cour fit office de hola. Animés, ils stoppèrent de suite leurs encouragements à la vue du sang qui dégoulinait entre les doigts de Steve. Ce dernier, empoigné, essaya de retenir le flot de son nez, quand Alex le cala au sol.

Selim arriva à toute vitesse, avec l’espoir de l’empêcher de lui en coller une deuxième. Un geste, il atterrit également au sol. Son seul réflexe pour tenter de le stopper fut de tendre la main, en vain. Ce fut une voix stridente qui fit relever la tête au blond.

  • Arrêtez ça ! Tout de suite !

En voyant Sylvia courir dans leur direction, Selim s’étendit par terre, soulagé. La professeur se fraya un chemin entre les garçons, et plaça ses mains, par réflexe, sur le torse de Steve pour le garder en retrait. Bouleversée, elle ventilait en ne sachant comment arrêter l'hémorragie.

  • Mon Dieu, mais… ça ne va pas la tête ?? Alex !! Qu’est-ce qui t’a pris ! Vite un mouchoir, quelqu’un aurait… Merci ! Lève la tête…

Sonné par la rage, Alex eut du mal à reprendre son équilibre. L’amertune le gagna en constatant la proximité entre Sylvia et Steve. Ce dernier ne s’étant pas gêné de foutre la zizanie dans son couple, l’idée de détruire le sien devint alléchante.

  • La belle se fait du mouron pour sa bête…
  • Je te demande pardon ??

Perchée sur ses hauts talons, Sylvia l’accabla. Sous ses mèches courtes et volages, ses pupilles devinrent toutes petites. Elle craignait plus que tout que leur relation soit découverte. Cependant, sensible à la bouille de celle qui l’avait écouté durant des heures, Alex faiblit.

  • Vous avez vraiment de la chance que je vous apprécie, vous. Sinon ça, balança-t-il en les pointant respectivement. Je le dirais pas deux fois.

Sur ce, il s’éloigna.

  • … Où… où vas-tu comme ça ?? Reviens-ici ! Si tu penses que...
  • Chez le directeur ! s’écria-t-il les bras ouverts.

Il était loin d’être stupide. Cela lui vaudrait quelques jours de renvoi, mais il n'en avait rien a ciré. Il s’y rendit, sous les regards des autres élèves, dont il se fichait également, si ce n’était des jolis yeux de Faye. Cette dernière, les bras croisés, le menton baissé, et entourée de sa chevelure enflammée, ne lui accordait pas le même genre d’attention. Seulement, un regard désapprobateur. Alex réprima son envie de la retrouver. Il aurait aimé lui dire quelque chose, n’importe quoi. En trouvant Kimi, qui se joignit au restant du groupe, il ressentit le besoin de reculer, mais encore une fois, il n’y arriva pas. Il leur devait des excuses, à toutes les deux, mais à laquelle en première ? Bloqué, il fixa ses pieds, juste le temps de trouver le courage de leur passer sous le nez.

Faye leva le sien, en gardant ses larmes :

  • Je rêve, on croirait que c’est lui qui s’est fait tromper.

Une main dans son dos la réconforta, celle de Nicette, tandis que le poing de son petit copain ne tarda pas à s’écraser lourdement contre la porte du directeur. Il entra une fois appelé par la voix étourdie de Monsieur Xavier. Celui-ci fit un bond sur sa chaise lorsque le Richess balança son sac à dos par terre. Abasourdi, le vieil homme l’observa prendre place devant lui. Il dut promptement reprendre ses esprits, et au vu de la situation, trouver également la bonne approche.

  • Qu’est-ce qui se passe, mon garçon ?

Alex se cacha derrière ses doigts croisés et tâchés de sang avant d'éclater en sanglots. Il étira une longue plainte. Cela brisa le cœur de Monsieur Xavier qui se vit obligé de jouer son rôle en le questionnant.

Pour seule réponse, il eut droit à :

  • C’est moi… C’est ma faute.

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