LA DOUCHE FROIDE

11 minutes de lecture

Comme prévu je suis parti à Edimbourg le mercredi matin qui suivit et je restais en Ecosse jusqu’à la mi-août. Le 17 j’étais à nouveau au labo et je commençais dans mes instants de liberté à peindre plusieurs tableaux en me servant des photos prises dans la campagne écossaise. Il fallait que les impressions provenant des paysages observés puissent être fixées le plus rapidement possible sur des toiles. Comme c’était l’époque des vacances, Paris comme le labo étaient très calmes ; je n’y travaillais le plus souvent que tôt le matin jusque vers 14 h et je passais le reste de la journée à peindre ou dessiner.

Je ne pouvais pas éviter que mes pensées aillent vers une fille aux yeux de diamants noirs rencontrée un mois avant. Je profitais de la petite surface à côté pour la revoir de temps en temps. La première fois qu’elle me vit à sa caisse elle piqua un grand far et, en même temps, ses mains se mirent à trembler ; je dois dire que je ne m’étais pas montré très gentil avec elle car je lui avais de suite demandé s’il était arrivé à ce qu’il n’y ait pas trop de pertes dans sa caisse. Elle était, alors, devenue blafarde, et, m’apercevant que ses yeux se mouillaient, j’avais fait une plaisanterie pour détendre l’atmosphère. Par la suite j’ai continué à passer par sa caisse (surtout quand il n’y avait pas grand monde) pour parler un peu de la pluie et du beau temps et, aussi, avoir ses impressions sur son travail et les clients ; je ne lui avais jamais parlé des dettes qu’elle avait contractées envers moi. Je lui avais expliqué que je faisais une série de tableaux sur la campagne écossaise et que, dès que j’en aurai fini 2 ou 3, je lui ferai signe pour qu’elle vienne les voir. C’était un moyen comme un autre d’avoir son numéro de téléphone personnel, j’avais envie de la revoir ; elle m’attirait et je voulais mieux la connaitre.

Nous devions être vers le 20 septembre, c’était le vendredi, je n’ai plus la date exacte en tête, j'étais chez moi et non au labo car j’avais décidé de peindre, étant de service une partie du week-end pour aider à surveiller une réaction au labo. Il fallait qu’elle soit mise en route et, en attendant ce moment, j’étais libre de mon temps. La personne concernée, Lucile, l’épouse de Pierre André, devait me téléphoner pour me donner ses dernières instructions à suivre quand j'aurai rejoint le labo. J'étais dans mon atelier quand j'entendis l'interphone miauler. Je me précipitais sur la porte en maugréant et que ne fut pas ma surprise quand j'entendis dans un murmure la voix de Valérie ; de suite, j’ai eu l’impression qu’elle n’allait pas bien du tout. Quelle mauvaise nouvelle allait-elle m'annoncer

— J’ai ouvert la porte, tu rentres, je suis dans l’atelier.

— ….

— A tout de suite

Cinq minutes après elle était devant moi alors que j’étais en train de laver mes pinceaux dans l’évier de la cuisine. Pour une fois elle s’était bien apprêtée, pantalon vert sapin et corsage rouge-orangé ce qui faisait bien ressortir sa silhouette fine et sa chevelure noire mais elle avait l’air toute triste.

— Bonjour Valérie, comment vas-tu ? Es-tu prête pour le grand saut à la fac de droit ?

— …

Elle avait un visage défait; elle semblait prête à pleurer.

— Ça ne va pas ?

Elle ne répondit pas, me fit à peine une bise et me tendit en silence, d’une main tremblante, une enveloppe avec inscrits dessus mes nom et prénom, Sénéchal Mathieu. Comment avait-t-elle eu mon nom ?

— C’est une lettre de maman ; il faut que tu la lises et que tu confirmes que je te l’ai donnée et que tu l’as lue.

— Pourquoi ta mère m’écrit ? Je ne la connais pas, elle ne me connait pas!

—J'ai jamais parlé de toi à maman car elle m'aurai posé beaucoup trop de questions; de même je n'ai rien dit à Gaelle de nos rencontres. J'ai toujours voulu que nos rapports ne soient pas parasités par l'intervention des autres. Mais elle connait très bien la mère de Gaelle, c’est une de ses meilleures amies et sache qu’elle est ma Marraine. Quand elles sont ensembles ce sont de vraies pipelettes qui parlent à tort et à travers des autres, qu’ils s’agissent des adultes ou des enfants. Comme toujours, Gaelle (ma mère est sa Marraine !) et moi sont au centre de leurs bavardages ; nous avons toujours été surveillées de très près quand nous étions au collège puis au lycée. C’était un peu fatiguant et, pour certains évènements, nous nous mettions d’accord entre nous pour raconter la même chose et édulcorer un peu les bêtises faites par l’une ou l’autre. J’ai beaucoup couvert Gaelle au début de ses relations avec Pascal.

J’entrainais Valérie vers la cuisine ; je ne savais pas trop quoi lui dire tant que je n’avais pas lu la missive mais j’avais bien l’impression que, ce que j’allais lire, n’allait pas trop me plaire. Valérie m’avait suivi sans faire de commentaire ; elle était comme tétanisée par la lettre car j’avais bien l’impression qu’elle connaissait son contenu, sa mère n’ayant pas l’habitude de cacher ses pensées d’après ce que j’avais compris des dires de Valérie.

Monsieur

Je viens d’apprendre de la bouche de ma fille ce qui s’est passé chez vous en juillet. Je tiens à vous remercier de la discrétion dont vous avez fait preuve en ne portant pas plainte auprès de la police. Je vous en serai toujours redevable. Je ne sais ce qui s’est passé dans la tête de Valérie mais sachez que je suis outrée par son comportement. En une après-midi, elle s’est affranchie sans raison de ce que je me suis efforcée de lui inculquer en l’élevant : Avoir toujours un comportement honnête et responsable. Je pensais jusqu’à ce jour qu’elle était devenue une pré-adulte ayant les qualités voulues pour devenir une femme droite, active, avec un but dans la vie. Je me suis trompée car elle s’est comportée vis-à-vis de vous comme une gamine irrespectueuse des autres, prête à prendre n’importe quel raccourci pour se faire plaisir. Il m’est difficile de cohabiter avec une voleuse à moins qu’il ne s’agisse d’une enfant encore mal éduquée qui a besoin d’être redressée.

D’après ce qu’elle m’a dit vous l’aviez menacée d’une punition corporelle ; je dois dire que mes réflexions m’ont poussée à la même conclusion. Comme elle n’est pas capable d’avoir un comportement adéquat en tant qu’adolescente qu’elle soit traitée en gamine puisqu’elle démontre par son comportement qu’elle en est une. Dans ce cas on corrige le ou la coupable en lui donnant une bonne fessée ; je pense qu’une telle punition la forcera, peut-être, à réfléchir à deux fois avant de recommencer. Je pourrais agir ainsi mais je pense que ce serait mieux si c’était vous qui interveniez car vous êtes directement concerné.

Croyez, Monsieur, à l’expression de mes sentiments distingués

Sophie Malgrange

Heureusement, j’ai lu la lettre en silence, sans regarder Valérie car je ne voulais pas la mettre mal à l’aise mais la pauvre était dans tous ses états ; elle pleurait sans bruit, assise sur une chaise, coudes sur la table, ses mains devant le visage soutenant sa tête.

— Lettre pas agréable à lire ; mais pourquoi as-tu tout raconté à ta mère ?

A qui le dis-tu ; je retrouve bien là le côté rigide de maman et sa manière d’éducation dépassée. J’espérais hier soir que, la nuit portant conseil, elle mettrait un peu d’eau dans son vin avant ce matin mais cela ne m’étonne pas d’elle car elle a dû ruminer sa colère durant toute la nuit. Cela me fait remonter 6 ans en arrière et elle prône toujours le même type de punition.

— ...

Ma question n’eut pas de réponse immédiate ; il fallut une ou deux minutes pour que Valérie prenne la parole. Pendant ce temps je relisais la lettre et pris conscience, tout à coup, que la mère de Valérie me demandait ni plus ni moins de donner une fessée à sa fille. Autant en juillet, énervé comme j’étais, cela m’était apparu comme une solution simple qui aurait eu l’avantage de donner une bonne leçon à la fille tout en me désénervant mais j’avais bien vite rejeté en moi même cette solution car je ne me voyais pas le faire. Je me vois encore moins maintenant intervenir à froid.

— Je n’avais jamais rien raconté à maman jusqu’à hier soir mais elle a appris il y a deux jours que je lui avais menti en juillet quand, arrivée tardivement à la maison, elle m’avait demandé la raison de mon retard : je lui avais dit que j’étais sortie me promener avec Gaelle alors que celle-ci était déjà partie depuis deux jours en vacances en Bretagne chez ses grands-parents. Naturellement, elle me titilla jusqu’à ce que je lui dévoile toute l’histoire. Elle sait faire, car elle ne laisse rien passer et revient toujours en arrière pour que tout soit cohérent. Elle aurait dû être enquêtrice de police !

— Tu pouvais éviter de lui raconter ton essai de larcin ? Non ?

— C’est elle qui s’est rendue compte qu’il y avait eu autre chose que les désordres que j’ai occasionnés chez toi. A la fin de la première partie du récit, elle m’a demandé si je t’avais revu. Naturellement, je lui ai dit que je t’avais vu en août au magasin. Je ne lui ai même pas dit que nous avions couru ensemble dans le parc de temps en temps et pris le thé chez toi après pour éviter toutes questions et commentaires. C’est à ce moment-là qu’elle m’a soufflé que j’aurai dû t’inviter à la maison pour m’excuser. J’ai eu le malheur de faire un peu la moue et même une grimace en déclarant que je n’y aurais pas trouvé un grand intérêt. Elle en a conclu que tu n’étais pas sympa et que tu étais plutôt un « beauf » et même un bon à rien quand j’ai parlé de tes deux activités car, pour elle, tu te dispersais et elle n’a jamais trop apprécié les jeunes artistes. Outrée par son jugement à l’emporte-pièce, je t’ai défendu de façon véhémente et j’ai raconté ce que tu m’avais dit sur ton travail et tes occupations. J’ai été beaucoup trop dithyrambique et c’est là qu’elle m’a fait remarquer qu’il y avait peut-être un autre problème entre toi et moi. Je pense maintenant qu’elle devait penser à un essai de flirte de ta part qui n’aurai pas été apprécié par moi. Interprétant mal sa réflexion, je suis entrée dans le récit concernant l’argent. J'avais trop honte de ce que j'avais fait.

— Elle a réagi comment ?

— Elle a explosé et c’est là où elle s’est montrée la plus dure avec moi depuis toujours. Elle est partie sans rien dire dans sa chambre pour se calmer et quand elle est revenue voilà à peu près ce qu’elle m’a dit : tu as de la chance d’être mineure sinon tu sortais d’ici sans avoir l’autorisation d’y revenir. Il n’est pas question que je vive avec une voleuse. Comme tu es mineure, je veux bien que tu restes mais sache que je te considérerai dorénavant comme une gamine et je surveillerai de très près tes agissements, tes sorties, tes fréquentations ! Depuis, elle ne me parle quasiment plus ; elle rumine sa colère contre moi. C’est la première fois que je vis cela. C’est dur et j’ai l’impression que cette situation n’est pas près de finir. J'espère que ma marraine arrivera à la calmer un peu mais cela m'étonnerait que ce soit demain.

— As-tu compris ce qu’elle me demandait de faire ?

— Je crois deviner. Quand je lui ai dit que tu m’avais mise à la porte en me criant dessus, elle m’a posée qu’une seule question : il t’a laissé partir comme cela sans te donner une bonne paire de gifles ? J’ai eu le malheur de lui répondre que tu m’avais menacée de la plus grande fessée de ma vie. Sa réponse, du tact au tact, a été très nette : dommage qu’il ne te l’ait pas donnée de suite, cela t’aurait mis du plomb dans ta tête.

— Je vois !

— Hier soir elle s’est montrée assez sadique avec moi car, folle de rage, elle m’a lu le brouillon de sa lettre après l’avoir écrite en me disant qu’elle vérifierait la remise de la missive. Je dois revenir avec ta signature sur la lettre et une phrase disant que tu l’as lue. J’ai essayé de lui faire comprendre ce matin que cela ne se faisait pas de faire intervenir les autres à sa place mais elle n’a pas voulu m’entendre, se réfugiant dans sa chambre et refusant de discuter avec moi. Elle espère que tu me donneras une bonne fessée ; je ne sais pas s’il faut passer ou non par cette punition mais j’ai l’impression qu’elle me jugera en fonction de mon acceptation, ou non, de cette épreuve. Pour elle nous devons faire face aux conséquences plus ou moins désagréables de nos actes et, surtout, quand ceux-ci sont mauvais car, quand on agit, on a choisi de le faire.Il faut dire qu'elle est très marquée par ce qu'elle voit dans les tribunaux et, entre autres, la manière dont les justiciables veulent toujours trouver des excuses à leurs actions répréhensibles. On doit toujours être responsables de ses actes. c'est son "credo".

— Mais ce n’est pas la première fois que tu fais des bêtises. J’espère que tu ne vas pas me dire que chaque fois que tu fais un pas de travers elle te donne la fessée ? Non ?

— Non ; c’est arrivé qu’une fois quand j’allais avoir 11 ans en fin de 6ème avec Gaelle. Je pense d’ailleurs que c’est à la suite de cet évènement que nous sommes devenues les meilleures amies du monde. Je dirai que les circonstances étaient un peu du même ordre que maintenant, à savoir que j’avais chapardé quelque chose qui ne m’appartenait pas.

— En juin, un vendredi après-midi, nous nous sommes retrouvées avec Gaelle sans professeur d’EPS, le prof s’étant foulé la cheville le matin. Nous avions pu obtenir de quitter le collège car c’était le dernier cours vers 16h. Comme c’était la fin de l’année nous étions assez excitées et nous avons fait une virée à la superette à côté ; elle était alors dirigée par un vieux monsieur, Monsieur Philippe. Je n’ai jamais su si c’était son vrai nom mais nous le connaissions bien et il était toujours très gentil avec nous. Et c’est en cherchant quelques douceurs dans le magasin que nous est venu à l’esprit que nous pouvions, peut-être, faucher quelques articles supplémentaires en passant la caisse sans les payer. Gaelle avait pris un stylo et moi un paquet de sucettes. Ma copine est passée sans problème mais moi je me suis fait prendre par la caissière ; M. Philippe a été alerté et j’ai eu droit à 10 minutes de sermon sur « Qui vole un œuf, vole un bœuf » mais il m’a laissé filée sans rien dire de plus. Naturellement, nous nous ne sommes pas attardées et nous sommes rentrées bien vite chez nous. Moi, j’étais calmée et Gaelle aussi car elle me voyait mal à l’aise. En fait, nous étions en train de manger notre pain blanc car tout allait se transformer en cauchemar durant le week-end. Je m’en souviens encore comme si c’était hier.

Annotations

Vous aimez lire Zebulon9275 ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0