Chapitre 5

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Au petit matin, le réveil est dur. Mais j’ai toujours autant de détermination à partir vers l’inconnu. Quand nous nous préparons, je ne me rends toujours pas compte de ce que je suis en train de faire, ni dans quoi j’embarque. Je veux en aucun cas faire marche arrière. Si je trouve quelque chose de concret concernant mes parents, j’en parlerai alors à ma famille. Mais si je ne trouve rien, je resterais sur le mensonge que j’ai créé pour ne décevoir personne. Je reviendrai alors à ma petite vie tranquille, comme si tout cela n'était qu’un rêve pur et simple.

Sac en place sur mon épaule, je suis prêt à partir. Pendant que je cherche mes clés, Whiley se décide à chercher l’eau de lune et le bol d’herbes qu’il a laissé dans le frigidaire la veille.

Au dernier moment, je retourne dans ma chambre.

— Qu’est-ce tu fais ? On va rater l’aube ! crie Whiley en me poursuivant.

Je tire le tiroir du bas de ma commode. Je pose les chaussettes qu’il reste sur le sol pour dégager le double fond. L’anneau qui tient la planche ne donne pas trop fil à retordre pour soulever celle-ci. Dans une étoffe de soie se trouve un beau pistolet datant des années quatre vingt dix. Je le cache parce que je n’ai pas de permis pour détention d’arme, mais il appartenait à mon père. C’est une valeur sentimentale. Je n’ai jamais eu l’intention de l’utiliser jusqu'à aujourd’hui.

— Qu’est-ce que tu comptes faire avec ça ? me demande Whiley dans l'incompréhension la plus totale.

— Me protéger.

— Cette arme ne te servira à rien.

Ce n’est pas vraiment ce genre de réaction que j’attendais.

— Pourquoi ? je le questionne espérant une réponse.

Il sort l’un de ses couteaux de son étui.

— Toutes les armes que j’utilise sont envoûtées. Plus elles sont près des armes originelles telles que le pieux, la lance et les silex, plus le sort est facile. Car ce genre d’arme est proche de la nature et de la terre. Sur une arme à feu, il faut envouter toutes les balles plus le pistolet, ça prendrait une éternité.

Suite à cette courte explication, je repose le pistolet à son endroit initial en prenant le temps replacer le double-fond et les chaussettes.

— On y va, décidé-je.

Il prend les devants et ne m’attend même pas. En descendant les escaliers juste derrière mon acolyte, je repense à la brouette. Elle attend gentiment d'être rendue à son propriétaire depuis déjà trop de temps.

— Whiley attend ! dis-je avant qu’il enclenche le bouton de la porte d’entrée.

— On va être en retard ! Grogne-t-il de plus en plus énervé.

Je me dirige vers le local pour prendre la brouette. Je le referme aussi vite que je peux. Whiley lorgne l’objet sans en comprendre le sens.

— C’est là-dedans que je t’ai transporté. Je ne compte pas la garder. Je vais rendre cette brouette à son propriétaire.

— Et où est son propriétaire ?

— Juste à côté du lac. C’est sur le chemin.

Il place sa main sur le pommeau de son arme attachée à sa cuisse, pour avoir un appui.

— Ne perdons pas plus de temps alors.

Je pose les récipients et mon sac dans la brouette le temps du trajet pour ne pas être alourdi. On marche d’un pas rapide.

Devant la cabane de jardin du parc, il n’y a personne. Il est trop tôt. Je récupère mes affaires et pose la brouette en évidence pour que les jardiniers la repèrent assez vite. Ils n’avaient peut-être même pas remarqué qu’elle avait disparu.

— Tu peux me dire l’heure qu’il est ? me sollicite le blond.

Je jette un coup d’oeil rapide à ma montre.

— Sept heures vingt-six.

— L’aube est à sept heures trente-deux. Dépêche-toi !

Il presse le pas vers le lac.

— Oui, oui, murmuré-je tout bas.

Je cours pour le rattraper, sauf dans la descente glissante de boue. Whiley, lui, fait un saut de cabri pour éviter la flaque. Je fais de même, mais mon sac me déséquilibre au dernier moment. Je me rattrape au dernier moment avec ma main. celle-ci est pleine de vase collante. Devant le lac, sans me poser de question, je plonge ma main pour la laver. Whiley me regarde du coin de l’oeil en se marrant.

— Quoi ? dis-je d’un ton sec.

Le matin ne me réussit pas.

— Tu vas devoir mettre ton corps entier dans l’eau dans deux minutes même pas. Si tu as peur de la saleté, tu peux encore changer d’avis.

— C'était juste poisseux. Je n’ai pas à changer d’avis.

— Bien. Passe-moi, l’eau de lune et les ingrédients.

Toujours pas de s’il te plait ni de merci. Je commence à me dire que c’est une notion qu’il ne connaît pas non plus. Je lui donne sans discuter.

— Tu vas devoir suivre mes instructions à la lettre. Si quelque chose ratte, tu pourras te retrouver coincé entre les deux dimensions, c’est-à-dire, coupé en deux.

Un frisson me parcourt le bas des reins et redresse les poils de mes avant-bras. Il n’y a rien de réconfortant. À chaque fois qu’il ouvre la bouche, c’est pour dire quelque chose plus terrifiant que la fois précédente.

Il ouvre le bocal et en boit la moitié. Il me tend d’une main confiante le pot.

— Bois le reste.

J’écoute et fais tous les moindres faits et gestes de l’homme svelte. Il ne reste pas une seule goutte au fond du bocal.

Après avoir bu le contenant sans goût, Whiley déboutonne sa chemise, la laissant le bout de tissu chatouiller ses côtes. Il m'incite à faire de même. Je range mon T-shirt au fond de mon sac.

Whiley ramasse le récipient contenant la mixture qu’il avait préparé hier. À l’aide de deux doigts, il prend une partie du mélange gluant et le dispose en cercle sur son torse. Mon comparse s’approche de moi en reprenant une partie du contenu de la boîte. Sans demander mon consentement, il pose ses doigts enduits du pot-pourri. C’est encore plus collant que je ne l’imaginais. Il me dessine une croix au même endroit que sur son corps. Cet acte me rappelle quelques sorts que mes parents pratiquaient sur moi pour éviter d’aller chez le médecin.

— On va dans l’eau maintenant, explique-t-il en laissant le contenant sur le sable.

Mes chaussures se remplissent au fur et à mesure d’eau, jusqu'à mes mollets, puis mon short se retrouve à son tour imbibé. Nous allons jusqu'à une profondeur du lac qui atteint notre taille.

— Qu’est-ce qui va se passer ? je demande plus tellement rassuré.

— On va se noyer, mais tu n’auras pas mal grâce aux sorts et aux herbes que j’utilise. Dans ma concoction, la camomille va t’aider à ouvrir ton esprit, le céleri va te protéger et le cyprès va te préparer à la mort.

— Pardon ? À la mort ?

— Pendant quelques secondes, tu seras en état de mort subite, mais ça ne dure qu’une fraction de seconde.

— Ce n’est en aucun rassurant !

— Tu es passager à ma magie, la personne qui prend un plus gros risque c’est moi. Fais-moi confiance.

Il attrape mes poignets fermement. Et me demande d’un simple jeu de regard de faire pareil avec les siens.

— Quand je te ferais signe, on se mettra ensemble à genoux dans l’eau, tête totalement recouverte. Mais surtout, ne coupe pas ta respiration, à aucun moment, expose-t-il avec le plus grand des sérieux.

— D’accord.

La panique commence à arriver. Ma gorge est toute serrée depuis que je suis rentré dans l’eau. Des interrogations font leurs apparitions aussi. Suis-je en train de faire confiance à un fou ou bien à quelqu’un qui vient réellement d’ailleurs ? On m’a toujours appris à être bienveillant et ouvert d’esprit. Dans ma tête, je ne sais plus qui croire: ma conscience positive ? Ou ma conscience négative ?

Whiley me sort de mes réflexions silencieuses.

— Je vais commencer le sort. Tu ne parles plus à partir de maintenant. Compris ?

Je hoche la tête.

Il inspire fort, tout en me tenant. Whiley tourne nos poignets vers le haut. Le ciel prend des teintes rosées depuis déjà quelques minutes, mais le soleil n’a toujours pas pointé le bout de son nez. Son étreinte se resserre sur mes avants bras. J’ai l’impression de vivre dans un film, rien de tout cela paraît réel. Malgré tout, je le vis bel et bien.

Ere aqua esfus solis.

En prononçant cette phrase, le cercle qui est dessiné sur son corps ainsi que la croix sur mon torse, se mettent à briller. Pris de panique, je sers plus fort les poignets de mon acolyte. Je ne m’attendais pas devenir Edward Cullen brillant au contact des rayons du soleil. Si jusqu’ici je pouvais encore être sceptique sur certains détails, ça a disparu immédiatement avec l’apparition plus que magique de cette lueur sur ma peau. Les yeux de Whiley qui jusqu'à présent paraissaient calmes deviennent agités et plus clairs. Ils semblent devenir presque blancs. Sa peau laiteuse fait apparaître plus intensément ses veines.

E orus bevera intrabit, continue-t-il plus intensément et fort, dans une langue qui m’est totalement inconnue.

Suite à cette phrase, je sens qu’il attire mes mains vers l’eau. Je suis pris de frissons. L’eau hivernale me glace chaque infime partie de mon corps. Nous sommes dans l’eau depuis déjà trop longtemps. Mon corps est cisaillé par le froid. Chaque membres immergés me font l’effet d’une centaine de lames transperçants mon épiderme.

Je le suis au même rythme pour entrer en contact de l’eau en même temps. Je garde en mémoire qu’il ne faut pas que je coupe ma respiration. L’idée de me noyer pour de vrai, m’effraie bien plus qu’il n’y paraît. Nos corps sont déjà recouverts d’eau jusqu’au cou. C’est le moment.

Sans effort, j’ouvre les yeux dans l’eau du lac. Je vois Whiley grâce à la lumière sur nos torses qui éclaire tout autour de nous. Whiley me fixe. Je sens pour la première fois une once de gentillesse dans ses yeux clairs, comme une incitation à me détendre. Je reste concentré sur ma respiration palpitante. Je vois ses lèvres bouger. Il doit réciter une autre formule. Nos torses ne sont plus éclairés. Ma tête est totalement submergée. Surement par instinct de survit, je reste les yeux ouverts pour me raccrocher à quelque chose. Bien que je tienne fermement dans mes mains les poignets de Whiley, je ressens une grande détresse m’envahir. L’eau étant trop trouble, je ne vois pas mon coéquipier, même si je le voulais de toutes mes forces. Mon coeur s’emballe. L’eau rentre dans ma bouche, le goût de la vase m'écoeure. Puis le liquide suit son chemin le long de ma gorge, puis jusqu'à mes poumons. Je me débats autant que je peux pour ne pas interrompre ma respiration.

On s’enfonce dans les profondeurs. Quand allons nous nous arrêter ? Je veux que s'arrête. C’est trop dur, je ne peux pas combattre mon souffle plus longtemps. Mes yeux me brûlent, mes poumons me brûlent, ma peau empathie. STOP.

Au moment où je flanche, j'éprouve une sensation de légèreté. La lourdeur de l’eau n’a plus lieu d'être. Mes bronches semblent dégagés. Un court moment, j’ai le sentiment de flotter dans un océan de lumière. Rien ne semble réel. C’est le néant, vide, froid, mais apaisant. Comme une finalité, donnant lieu à un point départ pour un renouveau.

Puis de nouveau, il fait noir. L’effet de noyade est réel. J’ai mal, ça me brûle de l'intérieur. Je veux remonter à la surface, c’est insoutenable. J’attends d’avoir des directives du blond. Il ne me tient plus. Je tâte dans l’eau à la recherche de ses mains. Je n’ai pas senti quand il m’a lâché. Ma détresse s'amplifie plus je pense à ma solitude.

Sans m’y attendre, un bras vient m’attraper me sortant la tête de l’eau. Je tousse à pleins poumons et prends de larges respirations saccadées les unes des autres. Les yeux mi-clos, je sens que Whiley me traîne jusqu’à la rive en dos crawlé. Le sauveur sauvé, quelle ironie du sort.

Il me tire sur la berge, pour m'asseoir. Comment fait-il pour avoir autant de force dans un corps si mince ?

Je tousse autant que je peux pour sortir toute l’eau de ma gorge et de mes entrailles.

Je reprends connaissance, en me familiarisant avec les lieux. Je ne suis plus à Takapuna, ça j’en suis sûr. Je n’ai jamais subi une chaleur pareille en Nouvelle-Zélande. On se croirait dans la jungle. D’une part, il y a des arbres à perte de vue et la chaleur est humide comme l’avait prédit Whiley.

Je ne me sens absolument pas familier à cet espace. Nous sommes étendus sur le bord d’une rivière. Ce que je pensais profond quelques secondes plus tôt, ne l’est finalement pas. Je pose ma main au niveau de ma hanche, mon sac est toujours là. Entièrement trempé tout comme moi. Je ne sais pas comment mon short, mes chaussures et mes sous-vêtements vont sécher avec cette humidité. Je vais devoir rester torse nu.

— Tu ressemblais à un chien estropié à te dandiner dans l’eau à un endroit où tu avais pieds, s’esclaffe Whiley ouvertement et sans retenue.

Je pose les yeux sur lui. Je remarque qu’il est totalement sec. Comment est-ce possible alors que nous sortons à peine de la rivière ?

Moi j’ai les cheveux dans les yeux, mon short qui fait effet ventouse sur ma peau, mon slip qui me rentre dans les fesses et la peau fripée. Tout porte à croire qu’il n’a jamais été dans l’eau en comparaison à moi.

À force de le regarder avec insistance sans comprendre quoi que ce soit, je tente une approche. J’aurai les idées claires avec une réponse sensée à cette sorcellerie.

— Pourquoi tu n’es pas mouillé ?

Un de ses sourires espiègles, qu’il sait manier à la perfection, apparaît sur son visage.

— Je suis un dieu, dit-il dans le plus grand des calmes.

Je ne suis pas certain qu’il fasse de l’humour, mais je ne veux pas pour autant rentrer dans son jeu.

— Et sérieusement ? je demande à l’intention du blond.

Il recule de quelques pas.

— La magie est bien différente ici, il tend ses deux mains vers moi, lève-toi !

Je m'exécute. Tout cela m’intrigue autant qu’un enfant le serait. Toujours les paumes en ma direction, je reste statique. D’un coup, je sens sur ma peau un effet de fraîcheur. Je regarde mes bras. Toute l’eau ruisselante, s’accumule en une espèce de gros boule d’eau, qui récupère toutes les micros goulettes sur son passage. Un instant, je me crois dans l’espace, tellement ça semble irréel. Mes yeux ne lâchent pas ce spectacle. La theoriede Newton est vaine avec ce qu’il se passe actuellement sur ma peau. Ce processus me convainc totalement, de tout ce qu’il a pu me dire jusqu’ici. La bulle de liquide finit son chemin dans mes cheveux. Une fois sec, il rejette la boule d’eau sur le sol d’un coup franc. Je ne sais pas si il y a une sorte de magnétisme avec cet élément, mais Whiley a exécuté ce mouvement sans difficulté. Je l’envie un court instant.

— Merci.

— Ton sac aussi est sec. Tu peux enfiler un T-shirt.

J’ouvre le dit sac, comme convenu la totalité de mes vêtements sont secs. Comme si tout cela n'était qu’un rêve. Pourtant, j’ai bien vu sa manipulation se produire devant mes yeux.

J’enfile mon T-shirt, puis prends deux secondes pour me connecter avec les éléments alentour.

De nombreux oiseaux chantent en rythme, l’eau du ruisseau, claquant sur les roches, emplit de bruit cet endroit d’apparence calme et reposée. Au loin, je perçois des bruits de sifflet, ou ce qui s’en approche. La civilisation est proche de nous. Whiley ne nous a pas jetés en plein milieu de la jungle. C’est déjà ça.

Comme il est prévu, il fait chaud et lourd. Trop lourd. L’air est pesant sur nos carcasses, comme si nous portions le poids d’un corps sur nos épaules. Mon acolyte déboutonne un ou deux boutons de sa chemise fluide.

Il avance vers de hautes herbes, et dégaine un de ses couteaux. En guise de machette, il coupe les tiges pour passer.

— Tu ne vas pas rester planté là ?

— Non. Je te suis. Mais on va où ? Et où sommes-nous exactement ?

Tangata whenua… dit-il tout bas avec un regard méprisant.

— Tu sais, je suis à cinq mètres de toi, j’entends !

— On est de l’autre côté, sur l’ile miroir de la Nouvelle-Zélande, appelé aussi Amarae. C’est bon tu es content ? Tu vas me suivre sans chouiner ? Parce que je peux te laisser là aussi, mais tu as peu de chances de suivre. Même si je te laissais une lame, tu te serais surement le repas d’un animal sauvage avoisinant ou peut-être même d’un cannibale rodant dans le coin.

Je déglutis amèrement à l’annonce de ce monologue très peu rassurant.

— C’est dangereux à ce point ?

— Plus que tu ne l’imagines. Alors suis-moi sans rechigner. On doit atteindre la porte nord de Basweer avant le couvre-feu.

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