19.L'arna-cœur

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Joyce

Lycée public de Springer, Oklahoma

Février 2011

Ce rêve se transforma en cauchemar, moins de douze heures plus tard.

Aux abords de 10 heures le lendemain, des grognements résonnèrent dans l'un des couloirs qui menait à la salle de biologie. Une bagarre. Je découvrais avec stupeur qu'il s'agissait d'Alec. Sous lui, acculé au sol, sa victime récoltait un nombre de coups de poings virulents. Mes yeux s'écarquillèrent en reconnaissant Riley.

— Alec, m'essoufflais-je en me précipitant pour m'agripper à son bras. A-arrêtes ç-ça !

Son poing s'immobilisa et il grogna avant de me repousser, le regard rivé sur le joueur de basket dont le visage faisait peur à voir.

— ARRETES ! Criais-je à l'attention d'Alec.

Je n'avais pas l'intention de lâcher. Je lui attrapais de nouveau le bras. Cette fois, il se tourna vers moi. Il bouillait de colère, la chaleur qui se dégageait de ses membres en plus de ses yeux en attestait. C'était quoi le problème ?

Riley en avait profité pour se lever, le regard aussi accueillant qu'une porte de prison, ce que je comprenais. Je m'approchais de lui tandis que l'un de ses coéquipiers dont le contour de l'œil passait du rouge au violet foncé progressif, foudroyait Alec du regard en aidant son ami.

— M-mon Dieu Riley, tu tu vas b-bien ?

Ses prunelles d'ordinaire chaleureuses me transpercèrent avec la même rage, suivit d'un dégoût très prononcé.

— J'ai l'air d'aller bien, d'après toi ? Claqua-t-il sèchement. Ecartes-toi, faut que j'aille me retaper avant le match de demain. Bordel...

Ouahou. La douche froide. Il s'éloigna en vacillant, épaulé par son camarade, non sans un regard craintif pour Alec qui faisait rouler son épaule avec un haussement de tête méprisant dans sa direction.

— P-pourquoi tu lui a c-c-cassé la f-figure ? Sommais-je l'intéressé en levant le visage vers le haut pour trouver son regard.

Il abaissa lentement les siens, et je prenais malgré moi une fois de plus conscience de l'écart monumental de taille qui nous séparait. Son regard se durcit alors qu'il sortait son calepin avec agacement.

« Lui, il le sait, c'est suffisant. »

— A-A-Alec, balbutiais-je alors que ma propre frustration me menais moi aussi à la colère, POURQUOI ?

« J'ai pas à me justifier, me casse pas les couilles, B.B. »

Il me tourna le dos et prit la direction opposée à la salle de cours encore vide, tandis que mes poings se serraient.

— C-c-c'est lâche de ta part de partir comme ça. Alors c'est q-quoi ? Pour une fois que q-q-quelqu'un s'intéresse à-à moi, ça te dé-dérange ? Pourquoi ? Tu vas démolir l-les rares personnes qui v-v-vont me parler ? T-tu veux juste me savoir aussi s-seule que t-toi ?

Il me fit de nouveau face pour me fusiller du regard, mais je ne pouvais pas m'arrêter.

— T'as le p-p-potentiel pour te f-f-aire des am-mis, tu peux s-s-sortir avec n-n'importe qui. T-tu couches à b-babord et t-t-tribord, alors il est où t-t-on problème ? P-p-pourquoi quand je t-tombe sur quelqu'un q-q-qui m'apprécie c-c-comme je suis, tu t'en prends à lui ? C'est un m-mec bien !

Son visage s'assombrissait au fil de mes mots difficilement sortis et je m'arrêtais essoufflée, alors qu'il revenait sur ses pas avec vivacité. Il griffonna et me plaqua son bloc contre la poitrine avec force. Je toussais presque sous le choc avant de baisser les yeux sur ses paroles à lui.

« Ton gars bien il se fout de ta gueule, il a eu ce qu'il méritait. Je l'ai entendu parier sur le nombre de chances qu'il avait de te coller dans son pieu avant la fin du mois avec son enflure de pote. Mais t'as raison, c'est un mec bien, va rejoindre ton petit copain, après tout, il est si parfait. »

J'avais bien lu ? Je relevais les prunelles sur l'expression sévère et glaciale d'Alec. Les mots me manquaient, et seul un murmure s'échappa de mes lèvres.

— C'est la... vérité ?

Je n'avais pas besoin qu'il acquiesce. L'empressement de Riley à concrétiser les choses entre nous, sa proposition de venir chez lui, la semaine suivante... Son regard écœuré, quelques minutes auparavant, sa colère, dirigée même contre moi, la froideur de ses paroles alors que je m'inquiétais pour lui... Mon visage se baissa au sol alors que les pas d'Alec s'estompaient, me laissant seule alors que mon illusion s'effondrait. La bulle dans laquelle j'avais trouvé un peu de réconfort venait d'éclater. J'avais cru que, pour une fois, quelqu'un s'intéressait réellement à moi. J'avais bêtement cru dans les mots de Riley. Je l'avais imaginé capable de voir au-delà de mon apparence réservée, par delà mes difficultés d'adaptation et d'expression, mais, c'était faux. Je n'étais qu'un pari. Mes lèvres tremblèrent alors que les larmes montaient malgré moi. Une nouvelle humiliation de plus, à laquelle j'avais été débilement sensible, de laquelle j'aurais certainement souffert encore plus amèrement, sans Alec...

Alec

A.J. Investigation, East Downtown, Houston, Texas

2 Novembre 2023

Le rapport de Joyce était le dernier que je devais vérifier avant de quitter le bureau. Je constatais que l'effectif des victimes des Dudson était était bien supérieur à ce que nous avions supputé en terme de prévision. C'était à se demander si les patients vérifiaient leur relevés bancaires. Le cabinets prenaient exclusivement pour cible une clientèle aux revenus conséquents, histoire d'éviter les incidents de type J.M. Johnson, l'unique plaignant. Un rictus se forma au coin de ma bouche en concluant que le chiffre des gains dépassait largement le million de dollars annuel. Ou comment avoir les yeux plus gros que le ventre. Un nom dans la liste des escroqués se détacha du lot. Clark, ça me dit quelque chose. Lorsque j'ouvris son dossier pour trouver son profil, le cliché de son visage m'arracha un grognement méprisant. Ben tiens, la bonne blague. Un arna-coeur arnaqué.

Lycée public de Springer, Oklahoma

Février 2011

J'essayais de me convaincre comme je le pouvais et me noyais dans le sexe pour oublier l'impact de la silhouette fine de Joyce dans mes bras. L'autre braillarde, on l'entendait gémir jusque dans les couloirs, mais pour ma part, ses cris provoquaient presque le frein de mon propre plaisir. Alors que je commençais à en faire abstraction en la sentant se contracter autour de ma queue, la porte me dévoila le regard emprunt de choc de la gonzesse à laquelle je ne voulais plus penser. Putain. Ses lèvres entrouvertes et son souffle court m'atteignirent plus rapidement que l'orgasme de la criarde. Ses yeux plongés dans les miens... j'atteignis le summum de de mon excitation et la délivrance sans le moindre coup de semonce, le souffle heurté. La vue floutée, j'achevais de m'épancher en entendant ses pas précipités vers la sortie. Alors que je m'activais depuis une trentaine de minutes sans résultat. Putain de bordel de merde. Ca devait clairement pas se passer comme ça. Je ne m'attendais vraiment pas à ce qu'elle déboule aux chiottes à ce moment précis.

J'avais clairement les nerfs à vif. Plus de quinze jours qu'elle m'ignorait alors qu'on partageait la même table. Œil pour œil, je lui rendais la politesse avec mon plus grand désintérêt. Par contre lorsque l'autre merdeux apparaissait elle était tout sourire. Grand bien lui fasse de toute façon. Je n'avais pas mon avis à donner sur ses fréquentations, encore moins si un gars l'intéressait. Au fond, ça me faisait profondément chier. Mais si elle trouvait son bonheur avec ce con, avais-je même le droit de le dénigrer ?

Je m'en tenais à ça et me contentais d'être le spectateur de son sourire niais et de sa timidité maladive, avec lui. Jusqu'au matin où j'avais surpris leur échange, à ces enfoirés. Même si je m'en sortais avec un renvoi provisoire, ça valait le coup de l'amocher un peu. Je n'avais pas eu l'intention de dire quoi que ce fut à Joyce, au départ. Qu'elle me déteste, je m'en foutais. Mais elle méritait beaucoup mieux que ce chacal.

« T-tu veux juste me savoir aussi s-seule que t-toi ? »

C'était vraiment ça, qu'elle imaginait ? L'entendre défendre son Clark avec ferveur comme elle le faisait m'avais rendu fou. Dent pour dent. Tu veux la vérité, prends-la Carson, mais ça va pas être beau. Je voyais son visage se décomposer. La couleur de ses pommettes s'amenuisit presque instantanément et je me détournais d'elle. Elle avait ce qu'elle voulait, et j'avais pas envie de la voir chouiner. Avec une inspiration profonde, je m'arrêtais malgré tout et lui octroyais un coup d'œil. Ses mains tremblaient, menaçant de laisser échapper le bloc que je lui avais laissé. Son visage était tellement expressif que je pouvais voir sans peine les ravages causé par son désespoir. Un coeur qui se brisait en direct-live. Putain de fragile, heureusement qu'elle ne lui parlait pas depuis des lustres. Mon regard se fronça. Jusqu'où elle était allée avec ce type pour se sentir aussi dévastée ? Me pinçant le nez d'énervement, je fonçais avant de changer d'avis. J'attrapais le poignet de Joyce qui bondit de surprise, lui soustrayais le calepin des mains et la trainais derrière moi sous son regard choquée.

— Où t-t-t-t-tu m'em-m'emmène ? Bégaya-t-elle.

Sans lui répondre, j'accélérais jusqu'à la sortie du bahut où des emmerdeurs chuchotaient sur notre passage. Seul le son de sa voix faible parvint à mes oreilles, en dépit du bordel autour de nous.

— Alec... où...

Je lui lançais un regard dur avant qu'un demi-sourire carnassier n'atteigne mon visage. « Je vais t'enfermer dans le coffre de ma voiture pour plus te voir chialer. Contente ? ».

Une demi-heure plus tard, elle regardait nerveusement le chocolat fumant qu'elle venait de commander, jouant avec la guimauve qui flottait à l'intérieur. Tout était bon pour m'ignorer. Moi en revanche, accoudé à la table, je la fixais intensément. Elle retrouva son courage et releva la tête, ses yeux de biche s'arrimant aux miens.

— P-p-pourquoi on s-sèche ?

Je repoussais le calepin vers elle.

« J'ai pas l'intention de passer ma matinée à répondre à des questions idiotes. Sinon je nous ramène chez ce bon vieux Stewart et son cours de bio de merde. »

— Pourquoi ici ? Insista-t-elle.

« On s'en fout du lieu, on est là ou je serais pas tenté de retourner éclater la gueule de ton mec », écrivis-je négligemment avant de repousser mon moyen de communication vers elle.

Elle considéra ma réponse avant de m'observer, moi. C'était comme si elle tentait de trouver un sens caché à mes mots. Autant par curiosité que pour la mettre mal à l'aise, je l'interrogeais à mon tour.

« Tu t'es fait sautée par ce connard ? »

Le regard outrée qu'elle me renvoya m'obligea à lutter contre mon amusement interne et je me contentais d'un sourire en coin. Là, je préfère de loin te voir énervée.

— Ca t-t-te r-regardes pas !

J'analysais sa gestuelle et mon sourire s'étira davantage, moqueur.

« Il t'a pas soulevé. Pourquoi tu te mets dans cet état pour un pauvre trouduc ? »

Son expression rembrunit me fit hausser un sourcil.

— Tu va te m-m-moquer, rétorqua-t-elle. A-alors vas manger du f-f-foin.

Je la détaillais avec une expression d'incrédulité suite à son remballage bouseux.

« Tes clashs sont aussi éclatés au sol que ta diction. Mais sur ce coup-là, je me foutrais pas de ta gueule, Carson. Il était si important, pour toi ? »

En constatant le sérieux de mon regard, elle se mordilla la lèvre inférieure. Même si la situation ne s'y prêtait pas, le geste me distrait un instant et j'inspirais fortement. Prenant probablement ma réaction pour de l'impatience, elle fouilla sa poche et attrapa son portable pour lancer un morceau de piano. Celui qu'elle jouait, le jour où j'étais entré pour la première fois dans la salle de musique.

— J'ai l'impression qu'ici dans cette ville, commença-t-elle d'une voix claire, peu importe les gens que je rencontrerai, ils seront néfastes pour moi. Qu'ils s'approcheront de moi pour les mauvaises raisons. Soit par intérêt, soit pour me faire du mal. Je ne connais que peu d'exceptions à ces deux catégories. Il y a autre chose. C'était...

Une fois de plus elle se mordit la lèvre avant de baisser les yeux vers son chocolat qu'elle entoura de ses doigts tandis que l'air s'achevait.

— C-c-c'était mon premier baiser, alors je l-l-le voulais sincère, même s'il ne venait p-p-pas de la bonne personne. Là aussi, j-j-je me suis sentie f-f-flouée.

Foutue romantique, je le savais. Mais ce dont j'étais certain aussi, c'était que les yeux brillants que j'avais devant moi me donnait envie de retourner entarter l'autre abrutis.

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Bonjour à tous !!!

Heureusement qu'Alec est là, il a éclaté l'arnaqueur (le savoir vivre, la bienséance, la politesse et le romantisme également, mais faut pas être trop exigeant non plus ^^).

Il semblerait que ce flash-back amené par Riley Clark soit presque terminé, et pas sur la note la plus douce qui existe, encore partagé entre Joyce et Alec...à bientôt !

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