Chapitre 32

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La formation de sage-femme d'Olympe faisait d'elle une excellente infirmière de terrain. Ici, pas besoin de l'unité de secours, elle assurerait les premiers soins. Subsistait-il une table qui tenait debout dans la maison ? Le blessé acquiesça.

Seules les ouvertures étaient détruites mais Sven, lui, c'était chargé de ruiner les toilettes, se moqua Sébastien. Tout en agitant un majeur dans sa direction, l'artilleur blessé pénétra dans la maison, le pantalon en sang. Olympe devait regarder de plus près la blessure et pour cela, il fallait être certain que la détonation n'avait pas attiré l'ennemi.

— Comme d'habitude. Deux hommes devant la porte. Deux autres en face de la rue. Les autres : repos, ordonna le lieutenant.

— Retire ton pantalon soldat !

Pourquoi cette simple phrase prononcée sur le ton de la rigolade embarrassait autant Sven ?

— Déchire le, ça vaut mieux.

— Tu te fous de moi là ?! On a pris nos douches ensemble au quartier général. Tu ne vas pas faire le timide. Retire-moi ce pantalon. Tu tiendras ton caleçon bas pour que j'ai accès à la blessure sans qu'il me gêne.

— Justement, c'est là le hic.

Trop occupée à préparer son matériel, Olympe ne réalisa pas immédiatement ce que son coéquipier souhaitait qu’elle comprenne. Le lieutenant, apparu dans la pièce, écarquilla les yeux devant ce tableau improbable, Sven, les deux mains sur son sexe, pantois et terriblement mal à l'aise.

— Il m'est arrivé des petits déboires et j'ai dû me séparer des caleçons, précisa-t-il pour tenter de s'excuser.

Incroyable ! La voix d'Olympe sonnait comme celle d'une mère exaspérée. La blessure était déjà assez gênante comme cela pour en rajouter, mais devant Sven étendant son pantalon à l'endroit où ses parties intimes seraient en contact avec la table glacée, Olympe et son supérieur, en un regard, éclatèrent de rire. Nul besoin de parler. Ces deux mois passés ensemble offraient une complicité rare entre tous ces combattants et nul doute que l'anecdote allégerait pour longtemps, la rudesse et la rigueur imposées par les assauts.

— Allez, reprit le lieutenant plus sérieusement, dépêchez-vous Warenghem, je ne veux pas rester trop longtemps statique dans cette ville qui nous fait galérer depuis des semaines. Plus vite on en sort, mieux c'est.

Les traits habituellement froids et fermés de Guillaume s'étaient détendus, adoucissant l'homme vieilli par la guerre, le stress et les responsabilités.


Olympe débuta l'opération de précision. Orifices après orifices, elle enfonça sa pince pour y sortir des projectiles en tous genres. Morceaux de verres, petites pointes, vis, punaises... L'ingéniosité des habitants était à la fois fascinante et inquiétante. Courageux, Sven ne gémissait pas trop. Avait-elle bientôt terminé ? Aucune réponse. Un impact lui causait du souci et réclamait toute sa concentration. Même technique. Une fois. Deux fois. Trois... Son patient se contracta et geint bruyamment, un tissu enfoncé dans la bouche. Impossible d'attraper le projectile. Trop profond. Trop fin. Nouvelle tentative. Sven bougeait trop. La douleur puissante et irradiante semblait insoutenable. Le projectile titillait-il un nerf ? Était-il enfoncé aussi profondément ? Dix centimètres de pince dans la fesse et pourtant, elle avait seulement réussi à l'effleurer et plus elle le touchait, plus le saignement s'intensifiait. Elle devait l'admettre, l'ancienne Olympe revivait l'esprit ainsi occupé autour d'un corps nécessitant ses compétences. Des souvenirs d'une vie passée entourée du bonheur de jeunes parents en devenir l'enveloppaient. Bribes intenses, douloureuses, heureuses. Soudain, comme un vieux réflexe, une idée la traversa.

— Lieutenant, pourriez-vous trouver de l'alcool ? J'ai une idée, mais ça ira plus vite s'il a bu.

Pourquoi discuter ? Tous savaient que lorsqu'Olympe était ainsi, concentrée, focalisée, tenter d'obtenir plus de précisions était inutile. Guillaume délégua la tâche à Antoine. Mission : alcool fort ! Scanda-t-il en quittant la pièce avant de revenir quelques minutes plus tard, une bouteille de Whisky à la main. La jeune femme pendant ce temps s'accorda une pause. Le sourire installé sur son visage s'estompa net face au goût de renfermé infecte de l'eau de sa gourde. La guerre la rappelait à l'ordre.

Le lieutenant vint à sa rencontre. Que comptait-elle faire avec un combattant alcoolisé ?

— De l'hypnose, j'espère ne pas avoir perdu la main.

Devant l'expression ahurie du lieutenant, elle reprit,

— Faites-moi confiance.

— Je vous fais confiance, Olympe.

Guillaume ne l'appelait par son prénom que quand il était sûr de ne pas être entendu des autres soldats. Faisait-il cela avec tous les membres de l'unité ? Elle en doutait.


Au bout des quinze minutes, la séance commença. Installée près du blessé, elle le lança dans une conversation personnelle. D'où venait-il, quel sport faisait-il, ses loisirs... Après quelques instants et des signes prometteurs d’un patient réceptif, la pince enfoncée dans la fesse n'extirpa aucune réaction au soldat. La technique fonctionnait. Parfait. Antoine, médusé, prit le relais des questions suite au coup d'œil entendu d'Olympe.

— Dis-moi mon cochon, tu avais une petite amie avant tout ça non ? Elle était comment, décris la moi ?

Tandis que la combattante tentait d'extraire l'objet, la description incroyablement précise de cette inconnue inondait la pièce. Ecoutait-elle ? Non. Son esprit aiguisé doutait. Parviendrait-elle à atteindre l'objet ? L'apprentie chirurgienne insistait, seulement, impossible de le faire bouger. Gauche, droite... Le sang continu empêchait toute prise de la pince et Sven gémit bruyamment. La cheffe d'orchestre ordonna à Antoine d'enchaîner.

— Elle était comment au lit ?

Une pause. Tête levée, Antoine s'amusait et Sven, éméché, répondit sans sourciller. Était-il nécessaire d'avoir ce genre de précisions ? Les détails étaient précis et très imagés, peut-être un peu trop mais Olympe devait être honnête, la suggestion fonctionnait. Malgré toutes ses tentatives, l'objet restait ancré, immobile. Cette guerre avait-elle eu raison de ses compétences ? Elle se pencha alors vers Guillaume, qui la regardait opérer. Trop long, trop lisse, pas le choix, Olympe posa la pince et expliqua à son supérieur ce qu'elle souhaitait faire.

— II va morfler, il faudra peut-être que vous le teniez.

Un signe à Antoine. Les voilà prêts. Sven se crispa. Avait-il entendu la jeune femme ?

— Sven, raconte-moi avec précision la meilleure partie de jambes en l'air que tu aies vécue. Ne lésine pas sur les détails, Antoine sera ravi.

Mains levées, ironiquement désolée, elle sourit à ce dernier. Son doigté pouvait-il se perdre si vite ? Olympe enfonça ses doigts dans la plaie étroite. Sven, lui, fondait dans ses souvenirs. Aucune stupeur quant à sa main glacée, rien. La fierté l'envahit. Son travail était gratifiant. Le regard impressionné des hommes qui l'assistaient la galvanisait. Sven parlait encore et encore. Les baisers, les caresses, le goût de la peau de sa partenaire... Tout y passait. La jeune femme l'encourageait à continuer. Antoine, visiblement très embarrassé, avait perdu son sourire et maintenait une main sur son entrejambe. Deux doigts progressaient doucement, écartant la chair qui ralentissait leur course vers l'éclat et propulsant le souvenir d'un geste obstétrical difficile, où technique et expérience étaient essentielles. Soudain, une pointe lisse se faufila entre son index et son majeur. Au moment où elle l'agrippa, Sven se tut. La jeune femme grimpa sur la table, les jambes écartées et les fesses appuyées sur les cuisses du jeune homme.

— Tenez-le.

Le projectile tournait entre ses doigts. Hurlement déchirant. La pointe avait enfin bougé. L'homme suppliait de le lâcher. Qu'elle arrête ! Stop ! Le lieutenant et Antoine tenaient le soldat qui se débattait de toutes ses forces. Même mouvement. Même réaction du blessé ainsi torturé. Puis, victoire ! Une pointe longue d'une dizaine de centimètre mais peu épaisse sortit de l'orifice.

— Merde alors, t'as vu la taille de ce truc ?!

Antoine avait lâché Sven, tombé dans les pommes. La plaie saignait. Un gros pansement, de nombreuses gazes pour comprimer le tout et les soins seraient finis pour aujourd'hui. Par chance, les autres égratignures ne saignaient pas tant. 

Pendant qu'Antoine faisait le tour de la maison, exhibant le projectile ensanglanté à qui voulait le voir, la jeune femme se lavait les mains. Guillaume vint à sa hauteur pour la féliciter. Sans filtre, elle s'exclama :

— Merci. Je n'aurais jamais imaginé devoir remettre des doigts dans un orifice corporel en pleine guerre civile !

L'épaisse eau marron d'une guerre incapable de se mettre de côté plus longtemps rompit sa bulle nostalgique et elle réalisa alors la teneur quelque peu choquante de ses propos. Un coup d'œil discret, une réponse, un sourire. Pourquoi n'était-il pas ainsi avec tout le groupe ? Antoine et son humour détonant ne lui arrachait jamais la moindre grimace. Imperturbable. Concentré. Un guerrier. En leader, il se reprit. Sven ne va pas comater longtemps, si ?

— Non, il a juste fait un malaise à cause de la douleur.

— Et il pourra marcher ?

— Oui bien sûr mais il ne pourra peut-être pas s'asseoir correctement avant un moment. La plaie n'est pas trop importante, elle cicatrisera bien. Je donnerais tout pour être là lorsqu'il la montrera au médecin pour qu'elle soit reconnue comme blessure de guerre !

L'homme rit à nouveau, posa une main discrète et fugace dans son dos avant de quitter la pièce avec un ordre simple : qu'elle se repose. Sa bienveillance mettait la jeune femme en confiance. Brice n'avait pas tout à fait tort. Elle était sa protégée.


Moins d'une heure plus tard, le groupe se mit en route et céda sa place aux renforts arrivés pour sécuriser la prise de la ville, rappelant inlassablement à Olympe son sentiment d'aller au casse-pipe.

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