Chapitre 14

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— Commandant, je vous présente mademoiselle Olympe Warenghem.

Incroyable ! Tandis que Guillaume faisait les présentations, un fantôme du passé se tenait devant elle. Son ancien conseiller principal d'éducation, en tenue kaki, désormais au commandement d'une force militaire de résistance... Que s'était-il passé dans sa vie pour un tel revirement ? Son salut succinct n'offrit aucun indice sur un quelconque souvenir de sa part et silencieux, l'homme charismatique désigna deux chaises tout en la scrutant de longues minutes. Tentait-il d'y percevoir une potentielle combattante ? Se souvenait-il enfin de la jeune adolescente qu'il avait reçu plusieurs fois dans son bureau ? Les mots de sa mamie, prononcés il y avait seulement quelques toutes petites heures s'invitèrent dans son esprit.

" Tes yeux se sont transformés. Tu n'es plus la même, mais un jour tu auras toutes les réponses. Rien n'arrive pas hasard. "

— Tout d'abord, je viens d'être informé de l'incident qui s'est déroulé il y a quelques minutes. Vous m'en voyez bien désolé, et je veillerai personnellement à ce que cela ne se reproduise plus.

Un incident ?

— Je me permets de vous interrompre commandant. Ce que je viens de subir n'est autre qu'une agression à caractère sexuel. Je pense que nous avons dépassé le cap du simple incident, ne pensez-vous pas ?

La puissance du gradé transpirant de son regard se fracassa contre la colère d'Olympe qui reprit.

— J'espère que cet homme aura la punition qu'il mérite. Nous sommes en 2020, et malgré la situation mondiale actuelle, il est hors de question qu'une femme se fasse traiter de la sorte par un homme. S'il ne sait pas se tenir, il n'a rien à faire dans vos rangs. Imaginez une seconde ce qu'il aurait pu me faire si personne n'était intervenu ? Imaginez ce qu'il serait capable de faire à une femme en civil lors d'une mission ?

Était-ce un sourire qu'elle percevait chez son interlocuteur ?

— Et bien dites-moi, s'exclama le commandant à l'attention du lieutenant, vous n'avez pas menti à son sujet ! Quelle audace incroyable ! Oser couper la parole à un commandant, il en faut du courage, ou alors il faut être complètement stupide...

La sévérité et la brutalité du ton n'offraient aucune ambiguïté. Ici, la prudence était de mise. Ici, dépasser les bornes, s'était se mettre en danger. Pour qui se prenait-elle pour bafouer ces hommes l'ayant sauvée d'une mort certaine ? Était-elle incapable de reconnaissance ? Devant l'étrange sourire du gendarme, Olympe se radoucit et s'excusa avec sincérité.

— Bien, bien, reprit l'ancien CPE. Reprenons. Je souhaite vous faire part de mon admiration pour le courage dont vous avez fait preuve durant cet après-midi. Conserver votre sang froid face à une telle situation de haute tension... Bravo ! Je vois en vous une femme passionnée et je suis absolument ravi de vous compter dans mes rangs, cependant…

Il se leva et regarda à travers une fenêtre condamnée depuis l'intérieur.

— Pensez-vous être capable de dominer cette rage bouillonnante et d'obéir à des ordres provenant d'hommes ?

Sa réaction quelque peu fougueuse face à ce qu'il qualifiait d'incident faisait-elle d'elle une caricature féministe qui exècre les mâles quel qu'ils soient ? La gorge douloureuse et la voix encore rocailleuse de la victime n'étaient-elles pas suffisantes ? Aurait-il fallu qu'elle soit violée pour être prise au sérieux ? Il ne s'agissait pas d'obéir à un homme... Il n'avait rien compris. Epuisée, elle ne voulut néanmoins pas s'engouffrer dans une discussion qui ne mènerait nulle part quant à la place de la femme dans la société.

— Pourriez-vous m'expliquer ce qu'est la résistance française, et pourquoi je n'en ai jamais entendu parler auparavant ?

Le ton était hautain. Répondre à une question par une autre n'était peut-être pas non plus la meilleure des attitudes et l'expression passablement agacée de son interlocuteur la lui confirma, mais il se lança.

— Nous sommes un mouvement indépendant, financé par des lobbies puissants, des grands patrons et des utopistes qui souhaitent voir réduit en cendres le mouvement de libération de la France, qu'ils jugent dangereux pour notre nation, et pour l'équilibre du monde. Notre mouvement a, ce que nous pourrions appeler des jumeaux, partout en Europe et même aux USA. Dans tous les pays où la guérilla s'est installée, vous trouverez l'équivalent d'une RF, une armée parallèle à l'armée régulière qui a les moyens de réduire à néant les volontés de domination des forces terroristes. Vous êtes fonctionnaire, vous savez pertinemment que l’État Français est absolument débordé et en faillite, entre la crise sanitaire quasi impossible à gérer avec les budgets alloués et la rébellion du MLF. La France, comme beaucoup d'autres pays mondiaux, reposait uniquement sur un système financier qui ne produisait des liquidités que grâce au commerce. Cette économie basée sur la consommation s'est effondrée le jour où la population a été confinée. Il a donc fallu trouver d'autres ressources pour se battre. Nous sommes cette ressource.

— Vous voulez dire que l’État cautionne votre existence ?

— RF ma chère, ces initiales ne vous font penser à rien ? Interrogea alors le commandant Plantain.

La population pensait que le gouvernement avait démissionné, qu'ils avaient cédé trop de terrain et trop de pouvoir au MLF mais à ce moment, Olympe saisit le leurre. L'espoir était-il seulement permis et raisonnable ?

— République Française, souffla alors la jeune femme, qui pensait à voix haute.

— Bingo, audacieuse et maline en plus, belle trouvaille lieutenant ! Oui, pour le moment l’État tolère notre existence mais ce n'est pas une chose acquise. Le MLF a un réseau très développé et tente par tous les moyens de réussir à asseoir son autorité aux plus hautes sphères du pouvoir. Mademoiselle Warenghem, je réitère ma question, pensez-vous être capable de faire partie d'une section de la résistance, de modérer et d'apprendre à gérer votre colère au profit d'une unité comptant plusieurs personnalités ?

— Je pense que oui, répondit Olympe.

— Elle pense que oui, à la bonne heure ! ironisa-t-il.

Impossible de rentrer chez elle et désormais sa famille serait surveillée. Où aller ? Se terrer au travail ? Comment s'y rendre ? Sans voiture ni transports en communs, si seulement elle y parvenait, une fois là-bas, était-elle certaine que personne ne la dénoncerait ? Un regard vers le gendarme. Le téléphone satellite, l'avertissement, son sauvetage... L’évidence la frappa : cet homme représentait sa seule chance de s'en sortir. 

— Oui... Je n'ai pas le choix.

— Je préfère ça, bon il se fait très tard. J'aimerais m'entretenir avec le Lieutenant Bela. Je vous propose de rejoindre le dortoir. Pour le moment la plupart des lits sont vides, choisissez-en un et il sera vôtre.

Olympe quitta le bureau puis récupéra les affaires restées dans la salle de bain. 

Un lit au hasard, des draps propres à étendre et enfin, le calme. La tête proche du mur et le regard en direction de l'allée, ses pensées virevoltaient devant le peu de choix qui s'imposait. Que serait-il advenu si elle avait refusé ? Cette journée, la milice, l'agression, le gendarme, tout se bousculait. Et l'homme, qui lui avait permis de rester cachée dans la remise, elle aurait tant aimé le remercier. Le MLF ne renfermait peut-être pas que des êtres abjects, après tout... Du bruit... Quelques rangées plus loin, la pénombre dessinait Guillaume s'installant à son tour sur son lit. À bout de forces, elle sombra, pensive. Aujourd'hui, elle devait la vie à cet inconnu...

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