Tintements

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GLING GLING GLING. C'était le bruit de ma rue – le bout de nationale où j'ai passé toute mon enfance et qui demeurera à jamais ma rue.

Les gens, oublions-les. Dieu sait qu'il y aurait à dire sur mes voisins : les dépressifs chroniques accrocs au potager, la vieille folle qui nous accusait de trucider ses oies, un pédophile notoire et sa femme alcoolique, l'énorme chien grognant qui terrifiait l'enfant que j'étais, les petits délinquants qui avaient saccagé notre cabane...

Il y en aurait, des choses à dire. Néanmoins, les commérages, ça n'a jamais été ma tasse de thé.

Les événements ne manquaient pas. Une nuit, une voiture lancée à pleine vitesse emboutissait le mur de ma maison. Le conducteur, ivre mort. Mort, au bout du compte, le crâne dans le volant.

Un autre soir, la rivière montait et inondait le hall d'entrée. On avait coupé le courant. Mon chat pataugeait dans la flotte et se cramait la queue sur la flamme d'une bougie.

On en a perdu, des chats. Emportés par la route, fatalement. J'en ai toujours voulu aux chauffards qui n'étaient pas capables de respecter une limitation de vitesse ; davantage encore à ceux qui ne s'arrêtaient même pas pour ramasser la dépouille du petit être qu'ils venaient de percuter.

*

*  *

GLING GLING GLING. Après tout ce temps, pourtant, si je ne devais me rappeler qu'un détail de ma rue, ce serait des tintements.

Fillette, je me précipitais à la fenêtre le dimanche matin pour entrendre les cloches de l'église retentir dans le virage. Le son des cloches m'a toujours apaisée. Inévitablement, lorsque désormais j'assiste à un enterrement, la conclusion de la messe me rappelle le clocher de mon village d'enfance, et je ne peux réprimer la sensation de bien-être qui m'envahit alors.

Mais les tintements qui à jamais me hanteront – GLING GLING GLING – ce sont ceux dont aujourd'hui encore j'ignore la source. Je pouvais les entendre, les jours de grand vent ou, parfois, au cœur de la nuit.

Lorsque je demandais : « C'est quoi, ce bruit ? », la seule réponse que j'obtenais était invariablement : « Quel bruit ? ». J'en étais venue à croire que moi seule pouvait l'entendre, qu'une présence fantômatique tentait de s'adresser à moi pour quelque raison, me menaçait peut-être. J'étais saisie d'une fascination morbide, chaque fois que résonnait dans la rue le mystérieux carillon. Je me ruais à la fenêtre la plus haute en espérant apercevoir l'objet qui, dans le vent, émettait l'inquiétante mélodie – à défaut, peut-être entrevoir la silhouette même d'un spectre passager.

Qu'est-ce qui m'appelait ? La cloche d'un voisin ? Les lignes électriques secouées par la tempête ? L'insondable harmonie venue de l'au-delà ? Un ailleurs, peut-être ?

Aujourd'hui encore, je guette dans les bruits quoditiens le doux requiem d'invisibles tintements. Et, lorsque je perçois leur lointain écho, comme un souvenir ambiant, un instant, je redeviens l'enfant aux yeux de laquelle l'univers tout entier – bien qu'il se limitât souvent à une rue – débordait de magie.

Réponse au défi : https://www.atelierdesauteurs.com/defis/defi/236461266/parlez-moi-de-votre-rue--

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