Galeries...

6 minutes de lecture

À presque 16 heures, la température de 27°, le taux d'humidité à 48% et la luminosité de cet fin avril, procurent des sensations estivales rendues visibles par les tenues légères aux tons nuancés, entre pastels et chauds, adoptées par le plus grand nombre des passants. Jocelyne, d'abord timidement, puis franchement, a pris la main de Jeanne... d'un même pas allègre, elles descendent la rue de Bourgogne... rue Thiers, sans la moindre hésitation, elles entrent aux Galeries Lafayette.

C'est un choc pour Jeanne : l'éclairage des néons et des spots créant une impression de plein jour en intérieur, l'espace organisé en rayons thématiques, l'importance et la variété des marchandises exposées dans un même magasin, les étages accessibles par escalators, le mélange des odeurs de tissus, de bois, de cuir, de parfums de femmes, la musique de fond qui ricoche d'un pan de mur à l'autre, jamais elle n'avait imaginé autant de rutilance, voilà qui opère une véritable attraction sur sa féminité. Jeanne est émerveillée. Elle s'arrête devant chaque rayon avec l'étonnement d'un enfant qui vit un conte de fée. Tout la fascine, de la petite bimbeloterie aux appareils ménagers, en passant par les rangées d'habits de toutes sortes qui lui paraissent interminables. Plus que de lui faire envie, toutes ces choses, exercent sur elle, un mélange de curiosité, d'étonnement et de plaisir sensuel au niveau des formes et des couleurs.

Parvenue, dans les rayons de vêtements pour femmes, elle peut toucher les textiles, éprouvant une foultitude de sensations nouvelles entre le laineux, le cotonneux, le soyeux, le vaporeux, le tendu, le plissé, le gansé, le côtelé, le picté, l'ajouré, le dentelé, le moussé, le molletonné, le plucheux, le granuleux, le lisse...

- Qu'est-ce qui te ferait plaisir, je peux t'aider à choisir si tu veux, propose Jocelyne s'étant approchée d'elle.

- Oh mais je ne veux rien, tu sais…

- Jeanne, si je m'en remets à ce que tu m'as confié tout-à-l'heure, tu n'as d'autres vêtements que ceux que tu portes... je te vois avec aucun bagage… alors, je te prie de m'excuser, mais si nous devons être ensemble, il va bien falloir t'équiper du nécessaire en matière de vêture et de produits d'hygiène.

- Sans doute, mais comment veux-tu que je me procure ces effets n'ayant, à cet instant, pas le moindre sou en poche...

- Cela peut s'arranger, je vais contribuer financièrement et cela me fait surtout plaisir… Vas-y ! Regarde, farfouille, sors ce qui te plaît, je te ferai part de mon appréciation, te conseillerai également en toute objectivité, te disant ce qui peut aller, ce qu'il faut éviter, les éléments à mettre ensemble, les tailles, tout ! Tu peux compter sur moi !...

Jeanne, à la fois gênée et enchantée, commence à inventorier les portants, sortant là, un haut, là, un bas : une jupe, un pantalon, plus loin une robe. C'est un ravissement pour toutes les deux. Elles font un nombre incalculable d'aller et retour entre rayons et cabines d'essayage... Jeanne, avec chaque tenue essayée s'affiche de bonne grâce devant un miroir, toujours surprise par l'effet produit et en même temps, à l'écoute des commentaires avisés de Jocelyne. Toutes les deux, ne voient pas le temps passer... Cela fait déjà plus d'une heure qu'elles discutent, échangeant leur impressions ponctuées, de soupirs admiratifs, de moues rébarbatives, de « ho ! ho ! » amusés et d'éclats de rires...

- Je vois que tu préfères les jupes et les robes mais penses aussi à prendre un ou deux jeans

- Jeans ?

- C'est un pantalon en toile comme j'en porte un présentement.

- Ah oui et pourquoi ?…

- C'est pratique, ça se porte partout, en toutes occasions ou presque... tu ne tarderas pas à apprécier la liberté de te mouvoir sans risquer l'indiscrétion des regards des messieurs à l’affût des mouvements intempestifs que l'on peut faire, en se baissant et quand, assise, on croise les jambes par exemple, ou du vent coquin releveur de jupes...

- Jeanne essaie un jean légèrement fuselé, assorti d'une seyante tunique imprimée dont Jocelyne noue les pans à la taille... le résultat est ravissant...

- Waouh ! Tu es vraiment sexy !...

- Sexy ?

- Oui, sexy veut dire ce qui, par l'apparence, renforce, le genre sexuel d'une personne qu'elle soit homme ou femme. Une femme sexy est très féminine, un homme sexy est très viril... Sexy ça renforce le coté séduisant des genres.

- Alors comme çà, j'ai l'air d'un homme ou d'une femme ?

- D'une merveilleuse jeune femme …

- Pourtant ma tenue m'a plutôt l'air masculine avec ce panta ... euh .. jean

- Tout est dans la finition du vêtement et surtout dans la manière de le porter puis de déambuler avec. Il faudrait que je t'emmène à un défilé de mode tu comprendrais...

- Oh ça, oui ! j'aimerais bien, s'enthousiasme Jeanne.

Elles portent en caisse un joli lot de fringues...

- Vous mettez tout ceci de coté, s'il vous plaît, nous allons compléter avec des sous-vêtements. Indique Jocelyne, à la caissière responsable du secteur.

Dans les rayons de la lingerie, Jeanne n'a que l'embarras du choix. Elle admire tous les ensembles déclinés à l'infini tant par les coloris que par les formes et les finitions. Il y en a pour tous les goûts... quand son regard se pose sur les plus rikiki, elle tire une pince …

- Qu'est-ce que c'est ?

- Un string...

- Un string !

- Oui, le minima en matière de culotte...

- Autant ne rien porter, pouffe Jeanne… je ne mettrai jamais cela, c'est horrible... et certainement inconfortable... à l’oreille de sa compagne : sous une armure, même une simple chemise protège mieux... souvenirs persistants d'odeurs épouvantables pour Jocelyne... - La guerre est chose nauséabonde commente Jeanne… « et en plus elle lit dans mes pensées !... »

Jeanne choisit des coordonnés aux formes plus classiques et discrètes, préférant des culottes plus enveloppantes, du style gainant, des soutien-gorges pas trop chargé de fioritures, le tout, dans les teintes pastelles, évitant surtout le noir qu'elle exècre... elle aurait bien choisi un ensemble avec shorty, mais quand Jocelyne lui a dit le nom de l'élément bas, elle s'est ravisée.

- C'est bizarre, il paraît que la France est la référence en matière de mode et d'élégance et lorsqu'il y a innovation des styles et des genres, on recourt à la langue anglaise pour dresser certaine nomenclature et fixer l'appellation d'un produit… Jocelyne éclate de rire.

- Tu en as de bonnes ! C'est pourtant vrai… il y a de plus en plus d'anglicismes dans notre langue mais ces termes anglais, nous les tournons à notre manière... on y ajoute la french-touche...

- La french-touche ?

- La french-touche... c'est le mot qu'emploient nos amis anglais pour vanter notre façon de faire, de produire, d'imaginer, bien français, les inspirant et suscitant leur admiration.

- Ah parce qu'ils nous admirent maintenant !...

- Ce sont nos meilleurs ennemis, tu sais Jeanne…

- Oui, les temps ont bien changé… de mauvais, ils sont devenus meilleurs... toutes les deux partent d'un immense éclat de rire …

- Bon n'oublions pas quelques paires de collants...


En caisse, Jocelyne angoisse quelque peu à chaque affichage de prix... au moment d'insérer sa carte bleue pour régler le montant, le chiffre la fait tressaillir... même pour elle, elle, n'a jamais autant dépensé... c'est la moitié d'un mois de salaire, qu'elle vient d'engager… elle se dit que d'avoir constitué un tel trousseau, cela aurait pu être en faveur d'une plus jeune sœur qu'elle aurait à charge en l'absence de parents défunts... elle tape son code sans regret, se disant que tout ceci, Jeanne le vaut bien...

Elles arrivent sur les quais...

- Mince, on a oublié des chaussures !...

- Tu crois que nous ne sommes pas assez chargées comme ça ... s'amuse Jeanne.

- Bon, on verra ça demain !...

Parvenues à la voiture de Jocelyne, c'est avec satisfaction qu'elles déposent leurs achats qui encombrent toute la banquette arrière. Jeanne fait le tour du cabriolet …

- Elle est chou ton auto, Jocelyne !

« Elle est chou...voilà maintenant qu'elle s'exprime comme la petite bourge du coin… » Une fois à bord, avant même d'avoir mis la clé de contact dans le Neiman, Jeanne se penche vers son amie, au volant, et l'embrasse tendrement sur la joue droite.

- Merci Jocelyne ! Je suis très touchée par toutes ces attentions... on ne m'a jamais fait autant plaisir...

À cet instant, c'est un incommensurable bonheur, qu'elles ont conscience de vivre ensemble...


à suivre : "Épouse-moi..."

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 7 versions.

Vous aimez lire Patrice Lucquiaud ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0