L'homme du bus

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J’avais commis une erreur.

Et elle m’avait coûté la vie.

Pourquoi, mais pourquoi, avais-je ressenti ce besoin de m’arrêter ? J’aurais dû continuer mon chemin, ne pas prêter attention à l’homme du bus. Rentrer chez moi, comme prévu. Retrouver l’ambiance glaciale qui y régnait depuis la mort du seul compagnon que je n’aie jamais eu.

Mais quelque chose dans l’expression de ce vieillard m’avait fait me retourner. Stoppé net dans mon élan, je ne pouvais que le regarder à travers la vitre embuée. Grand, mince, la peau pâle, l’homme était vêtu d’un simple costume en flanelle du même gris que ses cheveux. Avec sa canne sombre, il semblait tout droit sorti d’un autre monde, celui des romans d’espionnage que j’affectionnais tant.

Une éternité passa, ou plus certainement quelques secondes… Je ne le sus jamais. Le bus démarra, et me laissa là, les bras ballants.

Dix mètres plus loin, il explosait.

Soufflé à terre par la violence de l’attentat, je ne pus détacher mon regard de la carcasse flambante. Mes yeux se remplirent de larmes, de poussière et de sang. À travers cette brume rougeâtre, je crus distinguer sa haute silhouette surgir des flammes. Je devais délirer, cela ne pouvait être vrai. J’essayai de bouger un bras pour essuyer ce liquide qui gênait ma vue. Mais je ne pus faire le moindre mouvement.

Comme en suspens, le temps s’étira une nouvelle fois. Je clignai des paupières, interminablement; trop lentement pour que cela soit naturel. Et dans la chaleur de l’incendie, je vis la canne pointer ma poitrine.

— Toi… Un impur ! siffla son propriétaire avec colère.

Je tentai d’ouvrir la bouche, mais aucun son n’en sortit. L’homme s’accroupit à mon niveau. Une étincelle de folie brillait à présent au fond de ses prunelles.

— Pierre, tu as été épargné, continua-t-il d’une voix plus calme. Les voies du Prêtre sont impénétrables. Tu auras une place parmi nous. Viens.

Il me tendit la main. J’attrapai sa paume brûlante. Tel le feu derrière lui, cet ange de la mort semblait dévoré par un brasier intérieur. La sensation se répandit soudain en moi, coulée de lave à la fois vivifiante et cause de souffrance. Je serrai les dents sans pousser le moindre cri.

Une fois debout, un étrange sentiment de légèreté s’empara de moi. J’observai le corps étendu à mes pieds avec curiosité. Criblé d’impacts, le garçon semblait dormir, ses longs cheveux auburn étalés en corolle autour de son crâne sanguinolent.

— Bienvenue dans l’Ordre des Sept, disciple, m’accueillit chaleureusement le vieillard.

Toute trace d’animosité semblait avoir déserté son regard, mais je n’étais pas dupe. Cet homme venait de tuer seize personnes de sang froid. Dix-sept, si je comptais mon ancienne enveloppe désormais vide. Et non seulement il s’en sortait sans une égratignure, mais cela ne semblait même pas l’affecter.

Je le haïs immédiatement.

Il n’en tint pas compte.

— Je me nomme Annar, m’apprit-il. Partons à présent. Les autres ont hâte de te connaître.

Les secondes recommencèrent soudain à s’égrainer, ponctuées de cris, de sirènes et d’ordres lancés à la volée. Le monde reprenait ses droits, sans nous, sans moi.

J’aurais dû mourir ce jour-là.

Mais ce fut une seconde naissance.

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