Chapitre 6 - Partie 2

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Marguerite était accablée par la culpabilité, elle avait l'impression qu'un voile venait de se poser sur ses yeux et restait figée au sol, incapable de bouger.

« Fiona m'a dit que j'étais capable de les protéger... J'ai fait n'importe quoi... Je suis horrible, absolument inutile... Et Hugo, je n'ai rien vu du tout, je suis tellement idiote, même morte, je ne sers à rien ni à personne... »

Ces mots se bousculaient dans sa tête, elle avait l'impression de fondre.

Sergei la souleva par le bras et gronda de sa voix rocailleuse :

« Allons, déjà qu'il y en a un qui vient de perdre le contrôle, voilà une autre qui commence à changer de phase ! Secouez-vous ! »

Une décharge d'éther traversa la main de Marguerite, qui cligna des paupières.

« Je ne suis pas votre papochka, donc on se dépêche !

— Pourquoi tu ne m'as rien dit ? questionna Maggy, tournant la tête vers Grégory avec fureur.

— Ah, Bozhe ! Du calme !

— Parce-que... parce-que je ne sais pas voilà ! Je voulais qu'on le capture, je ne voulais pas qu'ils fassent du mal à Hugo !

— Fiona a failli disparaître à cause de lui, il a absorbé tous les autres, il a..., les mots se coincèrent dans la gorge de sa sœur. Et maintenant... Il ne pourra jamais passer de l'Autre-Côté.

— Je pensai qu'on pourrait sortir les fantômes à l'intérieur de lui ou que... Enfin, on est tous déjà morts... Alors... »

Un énorme soupir les interrompit, Sergeï s'était redressé et semblait agacé. Il avait oublié à quel point les enfants pouvaient être têtus et agités. Il marmonna quelque chose en russe. Charles prit la parole :

« Qu'est-ce que vous voulez nous dire ?

— Vous devez garder la tête froide. Vos amis les SDF vont effectivement poursuivre cet enfant et très probablement aspirer son éther. Je sais que ce n'est pas la première fois qu'un absorbeur apparaît ici, mais je crois que vous ne savez pas très bien ce qu'ils sont. Ils ne sont pas tous si mauvais. Ce sont des fantômes qui récupèrent la conscience et l'éther des autres esprits, par domination ou pour devenir plus forts. Certains perdent le contrôle définitivement et dans ces cas-là, il faut les affaiblir. D'autres comme ce petit garçon, parviennent à reprendre leur conscience. Il est tout à fait possible de l'aider en le faisant passer, hum... De l'Autre-Coté, comme vous dites. Tous les fantômes qu'il a ingérés vont également pouvoir le suivre.

Un sentiment de soulagement et d'excitation envahi Charles, les fantômes et les enfants n'étaient donc pas condamnés !

— Alors il faut aller le dire aux Clodos..., commença Marguerite avec espoir.

— Ah... Niet, coupa Sergeï. Je ne pense pas qu'ils vous écouteront. Je crois qu'ils voudront garder l'éther de votre frère pour eux. C'est ce qu'ils ont fait pour le premier Dévoreur. Ils se sont réparti l'éther pour avoir plus de puissance. Mais je pense qu'ils ne savent pas que manger l'éther des esprits fous de colère devient dangereux, cela ronge de l'intérieur.

— Comment est-ce que vous savez tout ça ? demanda Grégory.

— L’expérience. Je l'ai vu quand ils se sont battus hier. J'ai aussi rencontré d'autres fantômes, le Baron et le Gentleman, qui m'ont raconté l'histoire de votre ville.

— Nous pouvons donc sauver Hugo et les autres Trépassés ? voulut résumer Charles.

— Da. S'ils le mangent, ils empêcheront tous les fantômes à l'intérieur de lui de faire leur Ascension. Ce n'est pas quelque chose de bien, ce n'est pas...hum, poli ou plutôt dans votre langue, correct. Mais quelque chose m'interpelle. Votre frère est jeune, ses attaques auraient dû être dévastatrices. C'est très étrange.

— Il n'a dévoré que des fantômes seuls jusqu'à présent..., informa Marguerite qui mourrait d'envie de noter tout ce qu'elle venait d'entendre.

— Hum... Ce n'est pas logique. Je vais aller au Musée retrouver le Baron. Réfléchissez par quel moyen faire passer votre frère de l'Autre-Coté.

Marguerite et Grégory se turent en entendant ces dernières paroles. Charles répondit :

— Retrouvons-nous au zoo de la ville. »

Sergeï hocha la tête en caressant sa barbe brillante et décolla dans les airs telle une fusée.

« Vous savez ce qui pourrait aider votre frère à passer de l'Autre-Coté ? questionna Charles avec patience.

— Non, répondit Marguerite d'un ton distant.

Le son de sa voix lui fit immédiatement comprendre qu'elle mentait.

— Je pense qu'il veut un gâteau et qu'on lui souhaite son anniversaire, lança Gregory d'une voix traînante. C'est ce qu'il répète souvent.

— Je ne suis pas d'accord, contredit sa sœur, ça pourrait le faire encore plus... déphaser.

Grégory se mit à ricaner :

— Ça ne peut pas être pire.

— Pourquoi tu ne veux pas, Marguerite ? demanda Charles avec précipitation, désireux d'entériner la prochaine dispute.

Ils gardèrent le silence quelques instants, Grégory ouvrit la bouche.

— On est morts la veille de son anniversaire.

— Les enfants vont directement de l'Autre-Coté avant l'âge de cinq ans, Hugo est mort avant de souffler ses bougies. Peut-être qu'à ce moment-là, il était trop proche de... de ses cinq ans. Minuit est passé... Alors il est resté ici avec nous. »

Marguerite se sentit honteuse et baissa la tête, elle comprit qu'elle ne voulait pas laisser son petit frère quitter cette dimension depuis le début.

Ils arrivèrent au zoo en silence, ils avaient l'habitude de garder les enfants près d'eux à ce moment-là pour ne pas qu'ils s'éparpillent. À présent, tout était calme.

« Ce serait merveilleux s'ils pouvaient tous passer de l'Autre-Coté, dit Charles en tripotant sa gourmette.

— Oui, fit Marguerite en s'approchant de l'enclos des chimpanzés. C'est ce que Fiona voudrait. Pour certains, c'est une chance inespérée. Même pour les autres fantômes, certains n'ont jamais pu quitter leur point d'ancrage.

— Les Dévoreurs ne sont peut-être pas si mauvais, non ? questionna Grégory en agitant sa main devant les animaux, médusés.

— Ils sont peut-être utiles, comme des prédateurs... »

Ils passèrent un moment à divertir les singes, trompant leur angoisse. Les animaux n'avaient plus peur d'eux depuis longtemps, habitués à les voir régulièrement. Ils étaient un peu semblables, incapables de quitter cet endroit, supportant plus ou moins bien leur condition en captivité.

Dans une attente pénible, la journée passa. Grise et pluvieuse, elle était le reflet de leurs pensées.

Charles fit de son mieux pour aider ses amis, il pouvait voir que le frère et la sœur étaient toujours fébriles, à la fois énervés et désireux de s'adoucir. Les mots qu'ils s'échangeaient se montraient durs et pleins d'attention voilées. Il savait qu'ils étaient ensemble depuis des années et qu'ils n'envisageaient pas encore l'absence de leur petit frère.

« C'est papa qui a pété un plomb, maman lui a dit qu'on partait avant la fin de la semaine ! Si elle n'avait rien dit, si elle avait gardé le secret... commença Grégory avec colère. Mais ils passaient leur temps à se disputer sans arrêt, maman et lui n'arrêtaient pas de se venger de ce que faisait l'un, de ce que faisait l'autre.

Marguerite toussota pour cacher sa gêne.

— Oui, ils aimaient bien être au centre de tout. Ils avaient l'esprit de compétition. »

Étrangement, il sembla à Charles que les souvenirs de leur famille, aussi terribles furent-ils, semblaient les avoir ranimés. Ils échangèrent des idées de plans d'action pour attirer Hugo et discutèrent des étranges pouvoir de Sergeï, lui présumant des aventures mystérieuses, dans les profondeurs de la taïga siberienne. Ils se questionnèrent encore sur ce qu'il pouvait bien être parti chercher.

Le russe fit son apparition à la tombée du soir près des éléphants. Il considéra quelques instants l'énorme animal qui se tenait auprès de lui et trouva rapidement ce qui restait des Trépassés. Il leur annonça avec un ton calme :

« Hum... Ponyal, j'ai trouvé votre petit frère. Il est actuellement avec la bande de jeunes de tout à l'heure. Ils le tiennent prisonnier et les SDF arrivent de leur côté, ils sont près des silos à grains. Je vais aller le récupérer, venez avec moi mais restez discrets et calmes. Pas de précipitation. Vous avez trouvé ce qu'il fallait faire ?

— Heu, oui, la voix de Marguerite était tremblante. Mais si ça ne marche pas ?

Sergeï se mit à rire :

— Alors nous serons dans de vilains draps !

Le visage de Marguerite ne laissa aucun doute sur ses pensées, Sergeï se pencha sur elle :

— Il faut que tu laisses ton frère passer de l'Autre-Coté. C'est la finalité de cette dimension.

— Qu'est-ce que vous en savez ? demanda t-elle avec une once d’agressivité.

— Parce que les autres fantômes vont lui faire vivre un purgatoire et que les esprits qu'il a absorbé le torturent de l'intérieur. Il faut le laisser partir. Maintenant, allons-y, tenez-moi la main. »

Marguerite ravala sa salive et le suivit, se sentant plus inutile que jamais. Les enfants prirent les mains énormes de Sergeï dans les leurs et décollèrent du sol dans un mouvement léger. Ils ne purent laisser échapper des cris de surprise en voyant leurs pieds quitter la terre.

« Restez bien cachés là où je vous déposerai », dit le russe avant de les propulser dans le ciel.

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