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Poppy ouvrit un œil.

- Enfin tu te réveilles, lança Will. Il est bientôt dix heures.

- Ils ont peut-être retrouvé le corps de Sonia.

- Et, bien évidemment, le premier endroit où ils te chercheront, c'est la maison de tes parents.

- Est-ce que tu sais où je pourrais aller ?

- J'y ai réfléchi toute la nuit. Tu ne serais pas en sécurité chez moi. Même moi je ne supporte plus cet endroit. On pourrait partir ensemble, si tu veux.

- Si je veux ? Je le voudrais, oui. Mais ça serait terriblement égoïste de ma part. Si tu pars maintenant, qu'est-ce qu'on fera, après ? En m'accrochant à toi je vais juste te pourrir la vie, te plonger dans une fuite sans issue et te priver d'opportunités que tu n'auras jamais plus. Si je t'aime vraiment, je ne peux que refuser ta proposition. Et c'est ce que je fais, Will, je refuse.

Will prit sa tête entre ses mains, courbée en deux sur le canapé.

- Tu as encore mal au crâne ? s'inquiéta Poppy.

- Imbécile, c'est tes paroles qui me font mal. Il doit y avoir une autre solution.

- Je compte sur toi pour la trouver. C'est trop tard pour aujourd'hui, cependant...

La sirène d'une voiture de police se fit entendre. On frappa violemment à la porte. Aucune d'entre elles n'alla ouvrir. Le battant fut bientôt forcé. Deux policiers attrapèrent Poppy et la portèrent jusqu'à une fourgonnette à l'arrière de laquelle elle fut enfermée. Pendant ce temps, un autre agent interrogeait Will. Elle relata l'accident, raconta comment elle avait perdu le contrôle de son véhicule et comment elle avait secouru Poppy. Elle préféra néanmoins jouer la carte de l'ignorance quant à la véritable identité de la criminelle.

Avant que Poppy ne soit reconduite à l'hôpital, Will demanda à lui parler une dernière fois. Après quelques hésitations, un policier lui permit de grimper à l'arrière de la fourgonnette. Elle s'assit à côté de Poppy et prit ses mains entre les siennes.

- Je te promets de trouver une solution, déclara-t-elle. Je reviendrai. Je reviendrai pour toi et je te tirerai de ta prison. Fais moi confiance, et sois patiente.

Poppy tourna la bague autour de son doigt.

- Je crois en toi, Will. Je t'attendrai.

Will fut forcée de descendre, pressée par les policiers. Elle embrassa une dernière fois Poppy avant de lui dire au revoir. Puis, elle regarda la fourgonnette s'éloigner. Elle marcha jusqu'à sa voiture. Une dépanneuse était en train de remorquer le véhicule. Le dépanneur la reconduisit jusque chez elle. Là, elle croisa son père, qui rentrait de l'hôpital. Il lui demanda comment s'était passé son réveillon. Pour une fois, admit-elle, il avait été plein de surprises. Sans plus un mot, elle gagna sa chambre et s'écroula sur son lit. Il lui fallait rattraper quelques heures de sommeil. Dès que cela serait fait, elle commencerait à chercher une solution adéquate.

Poppy tourna sa bague autour de son doigt. Elle comptait les jours depuis qu'on la lui avait offerte. Deux mille cent quatre-vingt-onze. Six ans, très exactement. Elle avait dû faire des pieds et des mains pour la garder. Les infirmières avaient eu peur qu'elle ne se blesse avec ou quelque chose de ce genre. Poppy avait dû faire preuve d'une conduite exemplaire toutes ces années. Ce bijou, c'était tout ce à quoi elle se raccrochait, ce qui l'aidait chaque jour à garder la tête haute et à rester patiente. Elle était mise à rude épreuve, mais déterminée à tenir bon le temps qu'il faudrait.

Ce jour-là, c'était un vingt-quatre décembre. Enfermée dans sa chambre, Poppy n'avait plus vraiment la notion du temps. Mais, depuis un an, on l'avait déménagée et elle disposait d'une fenêtre. Elle pouvait ainsi deviner à peu de chose près quelle heure il était. Elle s'occupait souvent comme ça, en essayant de déterminer les heures, en comptant les secondes et les minutes. Et quand elle entendait une infirmière traverser le couloir elle l'interpelait, pour savoir si son résultat était juste. Les yeux braqués sur la fenêtre, elle jugea que la soirée était déjà bien entamée. Au même moment, des pas retentirent dans le couloir.

- Vingt et une heure trente ? demanda-t-elle.

La clé tourna dans la serrure de la porte.

- Comment ? l'interrogea une femme dans son dos.

Poppy ne reconnaissait pas la voix de l'infirmière. Elle ne lui était portant pas inconnue.

- Vous savez, l'heure. Est-ce qu'il est bien vingt et une heure trente ?

- Trente-trois, plus exactement.

- Merci. C'est tout ce que je voulais savoir.

À cet instant, d'habitude, les pas s'éloignaient et la porte se refermait. Là, rien de ne passa. Poppy sentait la présence de cette femme, plantée comme un piquet derrière elle.

- Je suis nouvelle, déclara l'infirmière.

- Félicitation pour votre diplôme.

- J'ai travaillé dur pour l'avoir, tu sais.

- Je n'en doute pas.

- Tous les jours, même quand j'avais des résultats pitoyables, j'ai persisté, je me suis accrochée, dans l'espoir de pouvoir mettre un pied ici.

- Bravo, vous êtes de la maison maintenant.

Poppy sentit l'infirmière se rapprocher, dans son dos, et se pencher au-dessus d'elle.

- Rose clair. Pourquoi t'impatientes-tu ?

La jeune femme releva la tête et fit volte-face, d'un seul coup. Elle se retrouva nez à nez avec un visage familier, qui lui adressait un sourire tendre.

- Will ?

L'infirmière passa ses mains dans les cheveux de Poppy et plongea ses yeux dans les siens.

- Tout le monde pense que je m'appelle Manda. Je t'avais bien dit que je trouverais une solution.

Poppy passa ses bras autour du cou de Will et la serra contre elle, de toutes ses forces. Elle attendait ce moment depuis si longtemps.

- Que va-t-il se passer, à présent ? demanda-t-elle.

- Tu l'as dit toi-même, Poppy : je suis de la maison. En plus, je suis ici sous une fausse identité. Alors, maintenant que j'ai les clés, toutes les deux, nous pourrions peut-être prendre la fuite. J'ai déjà tout prévu. J'ai acheté une maison, sur la côte, en Finlande. Personne ne saura qui on est, là-bas. On peut se faire oublier, ne jamais être retrouvées.

Poppy s'écarta d'elle. Elle releva la tête et la considéra avec attention, droit dans les yeux.

- Qu'y a-t-il ? s'étonna Will. Tiens, la bague a viré au bleu.

- C'est parce que je suis heureuse. J'ai toujours cru que tu viendrais, un peu comme petite fille je croyais que le Père Noël allait arriver par la cheminée. Je pouvais le guetter toute la nuit, et je finissais par m'endormir malgré moi. Un jour j'ai tenu assez longtemps pour voir que ce n'était pas le Père Noël qui mettait les paquets au pied du sapin, et là ça a été une sorte de désillusion. Noël avait perdu sa magie, tu vois. Avec toi, ce n'est pas pareil. J'ai beaucoup guetté aussi. Mais maintenant tu es là. Alors je sais que j'ai eu raison d'y croire tout ce temps et, au final, tu vaux beaucoup mieux qu'un gros monsieur en manteau rouge et blanc.

Will s'esclaffa de rire et la prit par la main.

- J'ai des vêtements dans ma voiture, dit-elle, même des chaussures. Tu pourras te changer. Y a-t-il quelque chose que tu souhaites emporter ?

- Comme tu peux le voir, tout ce que je possède c'est cette bague. Et toi, maintenant.

- Bien, il est temps que tu sortes de cet Enfer et que nous allions écrire notre histoire ailleurs.

Will entraîna Poppy en-dehors de la pièce, referma la porte à clé. Main dans la main, elles sortirent discrètement par l'escalier de service de l'hôpital. La voiture de Will était garée un peu plus loin. Poppy s'y changea. Puis elle passa sur le siège passager.

- J'espère que tu es meilleure conductrice, à présent.

- J'ai suivi une remise à niveau, avoua Will.

Elle tourna la clé et démarra le moteur.

- Will ?

Elle tourna la tête.

- Oui, Poppy ?

Poppy la prit par les épaules et l'embrassa.

- Joyeux Noël !

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