Chapitre 1

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La matinale brume épaisse habituelle recouvrait les montagnes. Un faible rayon de soleil pénétrait les fins rideaux et éclairait la chambre de Saul. Celui-ci était allongé sur son lit, le regard posé sur le plafond. Perdu dans ses pensées, il observait attentivement chaque fissure une par une. Il soupira et se leva. Sa famille sombrait peu à peu dans la pauvreté, la maison n'était pas en très bon état et ils mangeaient de moins en moins bien. Saul se vêtit de ses fins habits d'été. Il ne lui restait rien d'autre et, en cette rude saison d'hiver, il n'était pas simple de se réchauffer. Il y avait bien la cheminée où ils brûlaient du bois tous les soirs, mais Saul travaillait et, vivait toutes ses journée à l'extérieur. Le jeune garçon descendit l'escalier, les marches de bois craquant sous ses pas légers.
Dans la petite salle à manger, ses parents étaient assis à table, Romaric mangeait un morceau de pain tandis que Zara, qui releva sa tête enfouie dans ses mains à l'arrivée de son fils, semblait réfléchir. Saul alla s'asseoir à côté de sa mère et prit le morceau de pain qui l'attendait sur la table, mais il hésita à le manger. Il finit par le tendre à Zara. Celle-ci était plus maigre que jamais, elle en avait plus besoin que lui. Il fallait qu'elle mange, qu'elle se nourrisse. Elle avait la peau sur les os et son corps ne résisterait peut-être pas à ce rude hiver, Saul en avait conscience.
— Mange, murmura Zara en repoussant la main de son fils, j'ai déjà eu ma part.
Le garçon soupira et fourra le morceau de pain dans sa poche. Il le mangerait plus tard, il avait l'habitude de ne rien avaler le matin pour pouvoir manger à midi, après avoir un peu travailler. Il valait mieux se priver au début de la journée afin pouvoir manger plus tard que d'observer avec envie son patron avaler un copieux et appétissant repas en ayant le ventre complètement vide. Romaric posa doucement sa main sur l'épaule de son fils.
— Viens, allons travailler, dit-il.
Cette phrase, Saul l'entendait tous les jours, tous les matins. Cela depuis un an et demi. Il s'attendait à ce que, cette fois encore, l'homme la formule. Il hocha la tête et se leva avant d'embrasser sa mère et sortir de la petite maison en compagnie de son père. C'était la routine de l'enfant. Tous les matins, il descendait dans la salle-à-manger pour retrouver sa mère encore plus mal en point que la veille au soir. Tous les jours, il la quittait pour aller travailler et, quand il revenait, elle n'allait pas mieux, au contraire. Il s'inquiétait pour elle. De plus, elle n'admettait pas que son état se dégradait de jour en jour. Elle le savait bien, mais elle n'aimait pas le fait que son mari et son fils s'inquiètent pour elle.


Saul et son père allèrent vendre leur fromage de chèvre à l'épicerie. Lorsqu'ils eurent fini, ils se séparèrent, le garçon se dirigeant vers la cordonnerie. Saul travaillait en tant qu'assistant dans la petite boutique tandis que on père, lui, aidait l'antiquaire du village. Ils n'avaient pas trouvé meilleur travail et, bien qu'ils avaient grand besoin d'argent, cela n'en leur rapportait pas beaucoup. L'enfant entra dans le petit magasin, la petite clochette retentit. Ce bruit caractéristique qui annonçait le début de longues heures de travail sous le regard, les ordres et les paroles méprisante du patron. — Saul ! Tu es en retard, une fois de plus, s'exclama une voix au fond du magasin.
— Pardon, Monsieur Bernard, s'excusa machinalement l'intéressé du même ton que si il récitait une leçon.
Il était habitué aux représailles de son patron et cela ne lui portait plus aucun effet moral. Travailler chaque jour sous les cris et les aboiements de Monsieur Bernard était devenu quelque chose de presque banal pour lui. Un homme vêtu de noir sortit de l'ombre. Il n'était pas grand mais dépassait de loin la taille du garçon qui était, malgré son âge, plutôt petit. Le cordonnier posa une feuille sur la petite table au milieu de la pièce avant de retourner au fond de la boutique.
— Aujourd'hui, tu remettras aux clients les chaussures que j'ai réparé. La liste est sur ce document, déclara-t-il sans adresser un regard à Saul. L'enfant prit la feuille de papier et l'examina attentivement.
— Mais... Monsieur Bernard, je ne sais pas lire.
— Incapable, marmonna le patron.
Il revint vers le garçon et lui pris le document des mains.
— Madame Thomas devrais arriver vers treize heures. Tu lui donneras la boîte n°5. Madame Dubois viendra chercher la boîte n°7 à seize heures précise et tu remettras la boîte n°2 à Monsieur Lambert à dix-sept heures. Compris ?
— Oui, Monsieur Bernard, répondit Saul.
— Bien.
— Et que dois-je faire en attendant les clients ? s'enquit le jeune assistant.
— Ce que je te demande de faire.
— Bien, Monsieur Bernard.

Lorsque Saul rentra chez lui, l'obscurité et la fraîcheur nocturnes avaient déjà pénétré le village. Le jeune garçon avait remis les mauvaises chaussures aux clients. Furieux, Monsieur Bernard l'avait mis au travail deux heures supplémentaires. Il était d'ailleurs étonné que son père ne soit pas venu le chercher. Habituellement, lorsque le garçon était en retard, Romaric passait à la cordonnerie pour s'assurer que tout allait bien et ramener son fils une fois ses tâches accomplies. Mais ce soir là, il n'était pas venu. Saul se dirigea vers le petit bâtiment de bois où ils gardaient les chèvres. Elles logeaient dans une cabane en mauvais état, un petit cabanon où elles dormaient. Ce n'était qu'un simple petit abri mais cela suffisait pour les quelques petites chèvres qu'ils possédaient. De toute façon, Romaric n'avait pas les moyens de leur offrir mieux. Durant la journée, les chèvres broutaient dans un enclos, le plus grand qu'ils aient trouvé. C'était dans ce même enclos que la traite avait lieu. Lorsqu'ils avaient le temps, Romaric ou son fils emmenait le troupeau en balade sur les quelques collines qui s'étendaient derrière le village. Saul ouvrit grand la porte du cabanon et alla chercher les bovidés qu'il mena dans le petit abri avant d'y entrer à son tour, fermant soigneusement la porte derrière lui. L'enfant distribua du foin aux chèvres et alla s'asseoir aux côtés de l'une d'elle. Elle avait un pelage noir et blanc et était pourvue d'une unique petite tache brune sur le flanc. Elle se prénommait Kayla. Kayla appartenait à Saul bien qu'il n'aimait pas utiliser ce therme là. « Appartenir »
— Pourquoi ce mot ? disait-il à son père. Les chèvres sont libres, elles ne nous appartiennent pas. Kayla ne m'appartient pas, elle est sous ma protection.
Depuis son plus jeune âge, le garçon rêvait de pouvoir s'occuper d'une chèvre à lui seul. A ses dix ans, son père avait accepté et lui avait donné un des petits nés le mois précédent. Cela faisait maintenant un an que Saul s'occupait de Kayla et il l'aimait de tout son cœur. Il donna une ultime caresse à la petite chèvre et sortit du petit abri. Quand Saul entra dans la maison, il fut étonné de ne pas y trouver ses parents. Le feu n'avait pas été allumé et il faisait froid dans la petite salle-à-manger. Le garçon monta à l'étage et toqua à la porte de la plus grande chambre, qui n'était d'ailleurs pas si grande.
— Saul ? Tu es rentré ? Romaric sortit de la pièce. Son regard reflétait un air inquiet mais, bien qu'il avait toujours perçu l e ressenti de son père, Saul ne le remarqua pas.
— Ta journée s'est bien passée ? demanda l'homme à son fils.
Cette phrase, le garçon l'entendait tous les soirs, il arrivait même qu'il prépare sa réponse durant la journée car, même si Monsieur Bernard lui assignait tâches et corvées diversifiées, il n'était pas toujours simple de ne pas donner la même réponse tous les jours. Mais cette fois ci, il n'avait besoin de rien préparer, il savait depuis le début ce qu'il allait dire à son père.
— Monsieur Bernard m'a fait travailler deux heures supplémentaires.
Papa, pourquoi ne m'apprends-tu pas à lire ? gémit-t-il. Ce savoir qui lui manquait était essentiel dans la vie de tous les jours et le mettait en difficulté, il s'en était bien rendu compte ces derniers temps.
— Oh ! Je n'ai pas vu le temps passer, désolé, s'excusa Romaric.
Il prit son fils par les épaules. Ce geste si familier que son père avait l'habitude de faire. Un geste que Saul connaissait depuis sa plus tendre enfance.
— Écoutes Saul, je ne sais moi même pas bien lire.
Et puis, nous n'avons pas le temps de t'enseigner le peu de savoir que nous possédons, ta mère et moi. Zara et son mari n'étaient pas allés à l'école, eux non plus, ils avaient un peu appris à lire grâce aux rares livres que l'on pouvait trouver dans leurs maisons, mais ils ne sauraient pas en lire un entièrement. Leurs propres parents ne savaient également pas lire.
— Mais les parents des autres enfants du village travaillent, eux aussi. Et pourtant, ils savent lire ! répliqua le garçon.
Tous les jours, il voyait des enfants de son âge lire et écrire, ne pas savoir le faire alors qu'il en avait grand besoin – peut-être même plus que les autres, selon lui – l'irritait.
— Les autres ne vivent pas comme nous, lui expliqua son père. La plupart sont pas aussi pauvres et les enfants vont à l'école où ils apprennent à lire.
— Mais pourquoi fallait-il que nous soyons si pauvres ? s'emporta le garçon.
Il en avait plus que marre, la pauvreté l'empêchait de vivre correctement, il aurait tant souhaité vivre comme les autres enfants. Bien manger, bien s'habiller, ne pas devoir travailler, savoir lire, écrire, calculer... Tout ça le faisait rêver, mais il ne l'aurait sans doute jamais.
— Calme-toi. Le destin en a décidé ainsi, à nous de l'accepter, soupira Romaric. Passons. Ta mère est souffrante, Saul, annonça t-il.
La voilà, la raison pour laquelle l'homme n'était pas venu le chercher !
— Tu as appelé de médecin ? s'enquit le jeune garçon, aussitôt calmé par l'annonce.
Il tenait beaucoup à sa mère, il était très attaché à elle et, si elle venait à mourir, il en serait malade de chagrin. Le seul fait qu'elle soit souffrante l'inquiétait au plus haut point.
— Nous n'avons pas les moyens de le payer. Mais nous allons prendre soin d'elle. Elle est au lit, laissons la tranquille.
L'enfant acquiesça et se laissa mener dans la salle-à-manger.

— J'ai trouvé un deuxième travail pour gagner un peu plus d'argent, déclara Romaric. Ça ne rapporta pas beaucoup, mais ça nous aidera peut-être.
— Qu'est-ce que c'est ? demanda Saul avant de mordre dans son morceau de pain couvert de fromage de chèvre.
— Rien de bien spécial, répondit l'homme. Ils m'ont accepté pour conduire les charrette des touristes. Ce n'est pas bien payé mais ça pourrait aider.
Le garçon hocha la tête et termina de manger avant de se lever.
— Je vais me coucher, annonça t-il avant d'embrasser son père.
Il monta les escaliers et entra dans sa chambre où il se laissa tomber sur son lit. Mille pensées tourbillonnaient dans son esprit. Et si sa mère venait à mourir ? Que ferait-il sans elle ? Et cette fichue pauvreté... Arriveraient-ils à s'en débarrasser ? Il se releva brusquement et décida d'aller voir sa mère. Il ne voulait pas la réveiller et encore moins la déranger mais il voulait constater par lui même l'état de Zara. Il sortit dans le petit couloir et tendit l'oreille. En bas, Romaric préparait du fromage de chèvre en chantonnant d'un air à la fois triste et joyeux. Saul reconnu cette mélodie qui avait marqué son enfance… Qui était encore loin d'être terminée ! Le garçon voulu toquer mais il se dit que ce n'était peut-être pas une bonne idée. Il entrouvrit la porte et jeta un coup d'œil dans la chambre. La pièce était baignée d'obscurité, sur le lit, Zara était plongée dans un sommeil agité. L'enfant s'approcha silencieusement et s'assit doucement sur le lit avant de poser délicatement sa main sur le front de sa mère. Ce geste que la jeune femme, elle même pratiquait sur son fils lorsqu'il était malade. En vue de son sommeil et de la chaleur qu'elle émanait, Zara était vraiment souffrante. Le la peur et le chagrin nouèrent la gorge de Saul. Il se leva et se sortit de la chambre sur la pointe des pieds.
— Tu sais bien que je ne risque rien, chuchota une voix derrière lui.
Il se retourna vivement. Sa mère dormait, tout était calme. Avait-il rêvé ? Pourtant, il aurait juré avoir entendu ces paroles. Il frémit et retourna dans sa propre chambre. Le garçon fut soudain prit d'une immense fatigue. Il enfila son pyjama et se coucha avant de s'endormir presque aussitôt sous sa fine couverture.

Les bêlements des chèvres réveillèrent Saul un peu avant l'aube. Il se leva et s'habilla avant de sortir de sa chambre et descendre les escaliers de bois. Pourquoi les chèvres faisaient-elles tant de bruit ? Il arrivait, évidemment, qu'elles s'agitent pour une raison ou une autre mais cette fois-ci, c'était différent. Saul percevait quelque chose d'inhabituel dans leurs bêlements comme si les petits bovidés cherchaient à l'attirer auprès d'eux, voir même à l'appeler au secours. Le garçon sortit de la maison et se dirigea vers le petit abri des chèvres. Lorsqu'il ouvrit la porte, ce qu'il vit le pétrifia.

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