CHAPITRE 22 : Arrivée sur Demora

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Pendant les deux jours qui suivirent, une certaine monotonie s’était installée parmi les membres de l’équipage, ce qui n’était pas pour déplaire à la plupart d’entre eux. En effet, comparée aux récents événements, cette période de calme était la bienvenue et avait permis aux différents membres d’équipage de se rapprocher des nouveaux venus. Notamment Sarina depuis le moment où sa conscience avait “refait surface”. On pouvait notamment l’entendre régulièrement se crêper le chignon avec Tooms sur la manière de piloter le cargo. Mais Tiana sentait au fond d’elle-même que la Synthétique ne cherchait qu’à le taquiner.

Alors qu’elle était dans le mess, près d’une Seilah recroquevillée sur le canapé qui longeait le mur, Fry les entendait encore une fois se disputer. Mais cette fois-ci, cela semblait plus grave que les plaisanteries bon enfant de Sarina. Laissant la Demoréenne seule, elle se leva et s’engagea dans l’unique couloir menant à la passerelle. Sans surprise, elle trouva Jack qui s’était appuyé dans l’embrasure de la porte. Sans surprise en effet, car depuis la débâcle d’Atlan et la perte potentielle de l’une des leurs, l’artilleur avait décidé d’être plus attentif. C’est du moins la raison qu’il avait donné à Fry lorsqu’elle lui avait posé la question. Mais la jeune femme n’était pas dupe et se doutait bien qu’il y avait une autre raison que Daniels tenait à garder pour lui-même.

— Qu’est-ce qu’il y a encore ? demanda-t-elle à l’artilleur en soupirant.
— Une dispute…
— Et qui gagne ? répondit-elle, une pointe de sarcasme dans la voix.
— J’ai préféré ne pas prendre parti…

La Capitaine leva les yeux au ciel alors que c’était au tour de Daniels de soupirer, agacé par les récriminations du timonier et de sa soeur. L’ancien Sergent poussa doucement le colosse qu’était Daniels et celui-ci se décala de l’ouverture. La jeune femme trouva alors Tooms excédé par la conscience féminine qui habitait désormais les murs métalliques du Charon :

— T’es vraiment têtue comme une Antarkalc (1) ! Je te dis que ça sera plus simple pour décharger ! s’écria-il à bout de nerfs.
— Et moi, je continue à affirmer que si Tiram nous a vendus, on devrait rester à bonne distance. riposta la voix désincarnée de Sarina.

Puis, voyant que sa supérieure venait d’arriver sur le pont principal, Tooms fit pivoter son siège pour la fixer :

— Dis-lui, toi, qu'il vaudrait mieux se poser au spatioport ! Que c’est plus simple !

Quelques instants plus tard, coupant toute chance de réponse immédiate de Tiana, le moteur supraluminique se coupa. Derrière la verrière du cockpit venait d’apparaître un système solaire à quatre planètes : celui de Demora.

Voyant que la navigation automatique s’était également arrêtée, le pilote se retourna vers les commandes du vaisseau pour rapidement s’apercevoir qu’elles étaient hors de son contrôle. Il maugréa quelques paroles inintelligibles que Fry savaient être particulièrement colorées, puis s’écria :

— C'est mon vaisseau, Sarina ! C'est à moi de le piloter ! Pas à une espèce de super-ordinateur qui n'a pas eu la moindre heure de vol à son actif !

Sentant que le timonier était à deux doigts de perdre son calme, Tiana se dit qu’il était temps d’intervenir :

— Sarina ! Rends les commandes à Tooms ! Quant à toi, Ash, tu vas suivre mes ordres ! Ta soeur a pas tort : Atlan pourrait très bien nous attendre sur Demora ! Tu vas donc nous poser assez loin de la capitale !
— Bien M’dame. ronchonna-t-il.

La Capitaine savait qu’il ne fallait que peu de temps avant que frère et soeur, petit à petit, ne s’apprivoisent totalement. Puis, satisfaite, elle sortit prestement de la cabine de pilotage, laissant les deux membres de la fratrie sous la supervision d’un Daniels souriant mais préoccupé, ce que Fry ne pouvait pas lui reprocher, notamment avec la constante menace que représentait Atlan.

Entrant dans le mess, Tiana retrouva sa compagne demoréenne, toujours à la même place. Elle qui était pourtant si expansive, il était très étrange de la voir ainsi. Étrange oui, mais pas surprenant. Aussi, elle s'arrêta pour la prendre dans ses bras :

— T’inquiète pas. Ça va bien se passer…
— Si seulement ça pouvait être vrai. soupira Seilah. Rien qu’à l’idée que tu ailles près de lui, je suis terrifiée.
— Tu me connais, non ? Ça devrait plutôt être à lui d’avoir peur. plaisanta Fry.

La jeune Capitaine souriait et nota qu’il en était de même pour Seilah à mesure que les secondes passaient. Soudain, Fry ne put se retenir et sa bouche rencontra celle de sa compagne. Ce court baiser fut cependant interrompu par l’arrivée de Daniels qui avait enfin décidé de quitter la passerelle. Il jeta un coup d’oeil aux deux femmes, qui gloussèrent nerveusement en le voyant, et leva les yeux au ciel avant de continuer vers l’arrière du vaisseau.

Devinant ses intentions, Fry décida de le suivre jusque dans la salle de chargement principale et présenta ses excuses auprès de Seilah :

— Excuse-moi, ma chérie. Il faut que j’y aille.
— Ne t’en fais pas. Je sais... répondit l’alien cornue.

La jeune femme se dirigea alors droit vers le couloir descendant vers la cale du vaisseau, mais fut arrêtée en chemin par Alistair : le médecin avait les mains sur les hanches et bloquait le passage devant Fry.

— Ma chère, dois-je supposer que vous êtes sur le point de vous user la santé à soulever les caisses de la cargaison que nous devons déposer à notre prochaine halte ?
— Oui. Pourquoi ? répondit-elle en haussant un sourcil interrogateur.

— Pourtant que vous avais-je dit ? demanda-t-il, rhétoriquement. Vous avez besoin de repos ! Ce n’est pas parce que vous ne ressentez presque aucune douleur que vous êtes entièrement remise. Alors laissez les autres membres de l’équipage s’occuper de ces caisses et allez prendre votre place sur la passerelle.
— Vous commencez à me connaître, Doc. Vous savez donc que je partage la peine de mon équipage. Ce qu’ils font, je le fais aussi. J’ai connu beaucoup trop d’ “huiles” qui laissaient crever les simples soldats alors qu’ils étaient paisiblement installés loin du front.

Le Docteur Gun reconnut tout de suite l’amertume de l’ancienne guerrière qu’était Tiana. Il savait aussi que derrière ces affirmations se cachait une profonde blessure : celle d’avoir été contrainte de signer un armistice dont elle ne voulait pas.

— Je vous comprends, Capitaine. Cependant, je dois vous demander de vous ménager. supplia presque le médecin. Je ne vous l’ordonnerai pas, mais…
— Mais vous me le recommandez chaudement, c’est ça ?

Al’ ne répondit que par un hochement de la tête et Tiana comprit qu’elle ne gagnerait pas. Elle capitula alors et fit demi-tour, vers la passerelle. En voyant passer sa compagne dans l’autre sens, Seilah lui emboîta le pas alors que Tooms venait d’amorcer sa descente vers Demora. Sitôt l’atmosphère passée et la couche de nuages traversée, un immense désert se dévoila ainsi que de gigantesques structures rocheuses.

À la vue de ces paysages dont elle n’avait eu que le souvenir jusqu’à présent, la Demoréenne manqua une respiration. Soudain, alors que chacune des personnes présentes était émerveillée par la beauté naturelle de la planète, une alarme résonna dans l’habitacle :

— Merde ! On nous a grillés ! ragea Tooms.
— Comment ça “grillés” ? demanda la conscience de Sarina.
— Quelqu’un nous a remarqués sur son écran-radar, si tu préfères. expliqua Tiana en s’asseyant sur son fauteuil.

Seilah, elle, s’était avancée près du pilote et regarda la carte holographique qui défilait devant les yeux de ce dernier. Brusquement, elle s’écria :

— Là, les Gorges de Sarrix !

Ne comprenant pas, Ash haussa un sourcil, attendant la suite des explications de la Demoréenne :

— C’est simple pourtant : c’est un canyon dans lequel tu vas pouvoir glisser le Charon.
— D’accord… Je crois que je commence à comprendre ! s’exclama le pilote.

Celui-ci se tourna vers sa Capitaine et d’un signe de la tête sut qu’elle pensait la même chose que lui. Elle pressa un bouton sur son fauteuil et sa voix résonna dans tout le vaisseau :

— Le Charon va faire une manoeuvre assez risquée. Accrochez-vous !

Voyant que l’entrée du canyon n’était qu’à quelques minutes de leur position, Tiana espéra, en attachant sa propre ceinture, que les autres membres de l’équipage aurait trouvé quelque chose à quoi se tenir. À mesure que l’échéance approchait, la respiration de Tooms se faisait de plus en plus erratique ; les doigts de Tiana, eux, s’étaient refermés sur les accoudoirs de son fauteuil tant la Capitaine était anormalement anxieuse.

Le Charon prit alors de la vitesse et fonça de plus belle vers l’abîme rocheux. Au dernier moment, Tooms enclencha les fusées latérales du cargo et remonta le nez afin d’effectuer un looping. Au bout d’un moment, il coupa les moteurs du vaisseau qui se retourna, proue vers le sol. Au moment où le Charon allait entrer dans le canyon, Tooms fit signe à la Demoréenne qui désactiva le transpondeur du cargo. C’est alors que Tiana, voyant les profondeurs du défilé se rapprocher, ne put retenir un cri :

— Tooms ! Devant toi !

Le pilote enclencha alors une série de boutons sur sa console : les moteurs du vaisseau se rallumèrent, permettant au Charon de se redresser pour suivre la route tracée par les Gorges de Sarrix. Charon qui fit également quelques embardées afin d’éviter le relief interne du canyon : notamment des pics rocheux qui risquaient d’éventrer le vaisseau si, par malheur, les boucliers venaient à être détruits.

Voyant qu’ils étaient sur une planète totalement inconnue jusqu’alors, Tiana se tourna vers sa compagne :

— Alors, ma belle. On va où ?

— Je pense qu’on sera assez tranquille dans la partie sud des Irrash. Continue dans ce sens vers l’extrémité du canyon, et tu y seras.
— Les Irrash ?
— Une zone de plateaux montagneux d’où nous pourrons contempler toute la vallée. Y compris la capitale et le palais de Tiram. expliqua-t-elle en frissonnant à l’idée de voir de nouveau la ville minière où bon nombre des siens étaient asservis.

Tiana remarqua la gêne que ressentait sa compagne et lui tendit la main, que la Demoréenne agrippa. Le contact avec Fry la rassurant, elle se calma et regarda les rochers défiler à grande vitesse devant elle. C’est alors qu’un bip strident claironna dans le cockpit : quelqu’un essayait de les contacter.

— Seilah, active le brouilleur et sors de la pièce, je voudrais pas qu’on te reconnaisse ! Ash, quant à toi, occupe toi de nous amener à bon port !
— Bien compris, Boss ! lança Tooms, tout en faisant pivoter le Charon.

La Demoréenne s’exécuta également, le coeur gros, et sortit de la pièce sans dire un mot. Puis, lorsqu’elle eut vérifié que sa compagne s’était assez éloignée, Fry enclencha la communication holographique : le buste d’un homme apparut. Peu impressionnant et habillé de vêtements apparemment très chics, il portait une simple paire de petites lunettes derrière lesquelles ses yeux bridés ne reflétaient que du mépris.

Cela ne pouvait être que lui. Tiana inspira profondément, réprimant la rage qu’elle pouvait éprouver à l’encontre de cette ordure et serra les dents quelques instants. Puis, elle commença :

— Tiram Dja'Anu, je présume ?


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Note de fin de chapitre : 

(1) Antarkalc : Animal quadrupède cornu, possédant deux paires d’yeux et originaire de Saccatus Prime, connu pour être extrêmement têtu.


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