2 - La lettre explosive (1/2)

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 L’été arriva enfin et Édouard put quitter les moqueries de Kevin, malgré sa jambe plâtrée, pour subir celles de Ludovic. Il quitta, par la même occasion, les salles de classes pour rester enfermé dans sa chambre pendant deux mois entiers. Cependant, Édouard ne s’attendait pas à vivre un été aussi catastrophique.

Ses parents adoptaient toujours un comportement étrange envers lui, sans aucune raison particulière. Pourtant, l’année scolaire était terminée, il était parvenu à passer au collège, alors que pouvaient-ils lui reprocher de plus ?

Édouard n’en eut aucune idée et il n’eut surtout pas le droit de poser de question. Il se plia donc au règlement imposé par Mme Vittel qui verrouilla systématiquement la porte de sa chambre chaque soir pour qu’il ne puisse pas en sortir jusqu'à neuf heures le lendemain matin.

Ainsi, il lui était difficile de dormir dans sa petite chambre exposée au couché du soleil tellement la chaleur était intense. Il dormait donc sans drap ni couverture, on lui avait tout de même autorisé à s’équiper d’un vieux ventilateur bruyant et d’un stock d’eau fraîche. Une récompense bien maigre mais c’était toujours mieux que rien.

Ainsi, pendant la journée, Édouard vit défiler les amis de Ludovic qui jouèrent sur l’ordinateur ou sortirent faire un foot avec les autres enfants du quartier. Il vit Mme Vittel monter les marches avec une pile de vieux vêtements qui lui étaient sûrement destinés car Ludovic ne les mettrait plus.

Ainsi, « cela évitait de se retrouver submergé par une tonne de vêtement sales » se disait Mme Vittel, mais c’était aussi l’occasion d’économiser de l’argent selon son mari.

En effet, M. Vittel n’était pas du genre à gaspiller son temps et encore moins son argent pour des babioles et des choses inutiles. Ainsi, il n’était pas plus dérangé que ça de voir son jeune fils porter des vêtements trop grands pour lui et usés de toute part. Il n’était pas non plus dérangé de voir que la chambre de ce même fils était éclairée par une simple veilleuse pour bébé et non par une ampoule standard. Mais Édouard était habitué à tout cela.

Selon lui, Ludovic possédait tout ce qu’il voulait parce qu’il le méritait. Mais, c’était surtout parce qu’il ne cessait de se plaindre auprès de ses parents qu’ils finirent par céder à toutes ses envies. Ludovic avait, donc, dans sa chambre, une télévision, une console de jeux et même une réplique à l’échelle 1 d’un soldat clone de Star Wars. Édouard l’enviait tellement, il voulait tellement être comme lui, sportif, populaire et intelligent.

Ludovic faisait lui aussi parti de l’équipe de foot de la ville, au même titre que Kevin. D’ailleurs, Ludovic en avait beaucoup voulu à son frère d’avoir ruiné la fin de saison à cause de la jambe cassée de Kevin. Mais bref, quand Ludovic jouait au foot, il fallait toujours aller le supporter. Ainsi, chaque dimanche, M. Vittel obligeait Édouard à l’accompagner au foot où il voyait Ludovic se faire applaudir par tout le monde.

Édouard avait bien tenté de faire du sport lui aussi, mais il n’était pas aussi doué. Il s’essaya à un sport de combat comme le judo pour pouvoir se défendre contre Kevin et sa bande. Mais il était ridicule et tout le monde cherchait à l’affronter car il était faible et donc facile à battre. Jamais il n’avait entendu la foule scander son nom comme on l’avait fait pour Ludovic après qu’il ait remporté la coupe du championnat l’année dernière avec son équipe. Jamais il ne prenait de plaisir à faire du sport ou un autre loisir. Il avait l’impression que rien ne pouvait l’intéresser parce que lui-même était inintéressant.

L’été caniculaire suivit son cours sans qu’Édouard ne puisse en profiter pleinement. Malgré tout, Mme Vittel semblait lever le très strict confinement d’Édouard au fur et à mesure que les jours avançaient. A présent, il avait enfin la possibilité d’ouvrir sa fenêtre et de laisser rentrer l’air frais dans sa chambre. La chaleur était tellement intense que cette petite opportunité n’était pas sans lui déplaire.

Ainsi Édouard passait ses journées sur son lit à écouter le gazouillement des oiseaux ou à rêver de Lucie. Tandis qu’il pensait à sa rentrée au collège dans quelques semaines, un étrange bruit vint perturber l’atmosphère apaisante de sa chambre. Une boulette de papier s’engouffra par la fenêtre et atterrit sur la moquette tachée de la pièce.

Surpris et et poussé par la curiosité, Édouard se leva et alla jeter un coup d’œil par la fenêtre. Il vit son frère et sa bande s’enfuir en courant avec un ballon de foot dans la main. Mis à part ce détail, il n’y avait personne d’autre, sauf si l’on comptait le chien errant qui gambadait dans la rue Alfred Jarry. Puis, voyant qu’il n’y avait plus aucun danger, il se retourna vers le morceau de papier.

Il le ramassa et le déplia. C’était une enveloppe, on aurait dit du parchemin. Mais il fut encore plus surpris quand il remarqua qu’elle lui était adressée.

M. Édouard Vittel

Chambre à la veilleuse

27 rue Alfred Jarry

St Martin sur Oudon

C’était écrit avec une vieille machine à écrire, semblable à celle que M. Vittel avait héritée de la vieille tante Odile. Ce détail mit la puce à l’oreille d’Édouard. En effet, habituellement, il ne recevait jamais de courrier, de plus, cette lettre n’était pas timbrée. Trop de détails louchent qui ont fait qu’Édouard en tira la conclusion que son frère voulu lui faire une mauvaise blague.

Il jeta un dernier coup d’œil par la fenêtre en espérant apercevoir son frère caché quelque part en train de l’espionner avec sa bande, mais il ne vit que le chien errant.

  • Je ne me ferais pas avoir, se dit-il en déchirant la lettre, fier d’avoir contrecarré les plans de Ludovic.

Il jeta les morceaux de la lettre par la fenêtre en espérant que son frère s’aperçoive que son plan avait échoué et il retourna à ses occupations.

Le jour qui suivit, Édouard sortit chercher le courrier sur ordre de M. Vittel. Il s’exécuta sans broncher et remarqua encore la présence du chien errant qui le regardait avec d’étranges yeux globuleux. Il avait les oreilles pointues et ne ressemblait pas à un chien ordinaire. A qui pouvait donc appartenir ce chien ? Et surtout, pourquoi le regardait-il fixement ainsi ? Édouard n’avait jamais vu ce chien avant, que faisait-il ici ?

Il préféra ne plus y penser et se redirigea vers la maison en feuilletant le courrier. Il y avait le journal, une nouvelle carte postale pour Ludovic, de la publicité pour une marque de vêtement et une dernière lettre qui lui échappa des mains. Lorsqu’il voulu la ramasser, il remarqua avec stupeur qu’il s’agissait de la même lettre étrange que la veille. Sans hésiter, il jeta la lettre dans la grande poubelle qui patientait dehors en attendant l’arrivée des éboueurs et ferma la porte d’entrée derrière lui.

  • Cette fois il ne m’aura pas à ce petit jeu là, se dit-il en imaginant le sourire narquois de son frère. Je vais faire comme si je n’avais rien reçu et on va voire comment il va réagir.

Fier de son idée, Édouard entra dans la cuisine, comme si de rien était et distribua le courrier. Il ne lâchait pas son frère du regard en attendant sa réaction. Il lui donna sa carte et retourna s’assoir pour finir son petit déjeuné.

  • Et bien alors, lança Ludovic à Édouard, tu n’as rien reçu toi ? finit-il en en ricanant et en agitant la carte postale que Blaise lui avait envoyée.
  • Tu aimerais bien pourtant que je reçoive quelque chose, n’est-ce pas ? répliqua Édouard en pensant à la lettre piégée.
  • Pourquoi tu dis ça ? Je m’en moque moi si tu n’as pas d’amis ! Au contraire ça me fait rire.

Édouard se leva d’un bond, le regard noir ne supportant plus ces provocations.

  • Bon ça suffit les enfants, s’interposa M. Vittel par-dessus son journal.

Édouard se rassit et finit son bol en observant le visage mesquin de son frère. Il ne comptait pas se laisser faire de la sorte et espérait bien tenir sa vengeance un de ses jours.

Le reste de la journée, Édouard le passa entre sa chambre et la télévision. Mme Vittel faisait le ménage dans la maison et il oublia totalement l’incident du matin.

Ce n’était que le lendemain midi, tandis qu’il fut soulagé de voir que son frère ne lui avait pas laissé de fausse lettre parmi le courrier, qu’il fut de nouveau confronté à ce canular. M. Vittel lui ordonna de préparer le barbecue pour faire des grillades ce midi là. Tandis qu’il disposait les feuilles de journaux, il trouva la lettre entre de vieilles pages de sport. Il l’observa à nouveau, elle était identique, même adresse, même papier jauni et même écriture.

C’en était trop, Édouard chiffonna la lettre et la jeta dans le barbecue pour qu’elle brûle avec les journaux. Avant d’y mettre le feu, il regarda autour de lui pour voir si son frère ne l’espionnait pas quelque part, dissimulé dans un buisson du jardin. Mais il ne vit que cet étrange chien aux oreilles pointues qui l’observait du coin de la maison.

  • Oust ! Vas-t’en ! ordonna Édouard à l’animal qui fila directement vers la rue. Mais qu’est-ce qu’il me veut ce chien ?

En effet, Édouard commença à trouver bizarre que ce chien apparaisse à chaque fois qu’il découvre une de ces lettres piégées. Finalement, il préféra ignorer tout cela en espérant que Ludovic se lasse de voir ses mauvaises blagues échouées à chaque tentative.

Mais le lendemain fut encore plus étrange. On aurait dit que Ludovic avait déployé tous les moyens pour qu’Édouard puisse enfin ouvrir cette maudite lettre piégée et connaisse la plus grande humiliation de sa vie.

Ce jour là, Édouard sortit enfin de la maison pour se rendre près de l’étang, non loin de la rue Alfred Jarry, où il espérait que son frère n’aille pas le trouver. Il s’était assit à l’ombre d’un vieux chêne pour lire une bande dessinée qu’il avait subtilisée dans la chambre de Ludovic.

Il était tranquille, personne ne l’embêtait, pas la moindre lettre piégée… Enfin, jusqu’à ce qu’il tourne la page suivante. Là, une nouvelle lettre lui tomba dans les mains, la même, trait pour trait.

  • Bon, cette fois ça suffit ! fit-il agacé.

Il serra la lettre dans sa main et se leva pour se diriger vers la maison, fermement décidé à en découdre avec son frère.

  • Pour qui me prend t-il ? se dit-il en ramassant ses affaires. Je ne suis pas né de la dernière pluie, j’en ai assez qu’il se moque de moi.

Mais dans sa colère, il ne vit pas que la dernière personne qu’il souhaitait voir à ce moment là s’approchait de lui. C’était Kevin Bodin et sa bande au grand complet.

  • Eh les gars, dit-il à ses copains tandis qu’il marchait encore avec des béquilles. Regardez qui voilà

Aussitôt, les plus costauds des copains de Kevin barrèrent la route à Édouard pour l’empêcher de passer.

  • Pousse-toi de là Kevin, je n’ai pas le temps, répliqua Édouard en regardant droit devant lui
  • Oula ! calme-toi « Mickey », dit-il en ricanant, alors qu’est-ce que tu trimbale ?

Avant qu’il n’ait put réagir, Kevin s’empara de la bande dessinée et la lettre des mains d’Édouard.

  • Rends-moi ça ! dit-il tandis que ses copains se saisirent de lui pour l’empêcher d’agresser Kevin.
  • Oh ! tu lis encore des bandes dessinées ? remarqua-t-il avec moquerie. On lit ça quand on est en CP « Mickey » !

Tout le monde pouffa de rire sauf Édouard qui rougissait de colère et de honte. Kevin se débarrassa du livre qui lui encombrait les mains et déplia la lettre.

  • Et ça qu’est-ce que c’est ? … « M. Édouard Vittel » on dirait que c’est pour toi Mickey… « chambre à la veilleuse » Tiens donc, remarqua-t-il en brandissant l’enveloppe jaunie, Édouard à peur du noir !

Tout le monde éclata de rire en se passant la lettre pour voir l’adresse et notamment la mention qui parle de cette veilleuse. Édouard avait beau expliquer que c’était la seul source de lumière disponible lorsqu’il n’y avait pas de soleil, personne ne l’écouta. Cette révélation fit comprendre à Édouard que l’espoir de se faire des amis l’année prochaine fut complètement anéanti.

Les deux gorilles qui maintenaient Édouard le laissèrent tomber sur le sol et s’éloignèrent avec le reste de la bande qui chantait joyeusement :

Édouard, le trouillard

Il a toujours peur du noir…

Ils continuèrent de chanter quand soudain, un chien, ce chien errant aux grandes oreilles pointues se rua sur Kevin et le bloqua par terre en émettant des grognements féroces. Sa bande de copains tenta de s’approcher du chien pour lui faire peur mais ce fut finalement eux qui eurent la trouille lorsque l’animal montra ses crocs. Ils coururent à toute jambe abandonnant lâchement leur, ami incapable de se relever à cause de sa jambe toujours plâtrée.

  • Attendez-moi, bande de lâches ! hurla t-il à l’adresse de ses amis qui étaient déjà loin.

Il était toujours allongé dans l’herbe, sous l’animal qui le regardait d’un mauvais œil.

  • Tu as peur Kevin ? dit-il en souriant avec un air de vengeance. Ce n’est qu’un chien après tout
  • Fais-le partir, supplia-t-il en tremblant.
  • Débrouille-toi ! répliqua Édouard.
  • Allez, s’il te plait… Je te promets que je ne dirais rien à propos de ta chambre et je m’excuse pour tout ce que je t’ai fais, dit-il les larmes aux yeux tandis que le chien grognait toujours.

Devant la sincérité de ses propos, Édouard jugea préférable de le laisser partir et de le libérer de l’emprise de l’animal. Il poussa le chien et aida Kevin à se relever en lui donnant ses béquilles.

  • Ne reviens plus jamais m’embêter, prévint-il. Sinon je lâcherais encore ce chien sur toi, et cette fois il ne fera pas que t’aboyer dessus.
  • Ok, fit-il en essuyant la sueur perlant sur son front.

Il s’en alla rejoindre ses amis laissant Édouard seul avec le chien. Il ramassa la bande dessinée sur le sol et essuya la poussière qui avait recouvert la couverture.

  • Je ne sais pas comment te remercier, fit Édouard au chien qui remuait joyeusement sa queue en tirant la langue.

Édouard commença à se diriger vers la maison d’un pas plus serein lorsque le chien émit un petit aboiement qui l’interpella. En se retournant, il vit l’animal tenir dans sa gueule la lettre piégée. Il voulait la rendre à Édouard.

  • Non je n’en veux pas, garde là, dit-il avec un geste de la main.

Mais lorsqu’il se retourna, il remarqua que le chien le suivait toujours.

  • Va-t-en maintenant, fit Édouard qui commença à s’énerver. Je ne veux pas de cette lettre, mon frère l’a piégée pour me faire une farce mais il ne m’aura pas !

Mais rien n’y fait, le chien continua de le regarder avec la lettre dans sa gueule. À bout de nerf, Édouard s’empara de la lettre et la chiffonna le plus qu’il put.

  • Tiens regarde ce que j’en fais de cette lettre.

Il la balança avec toute sa hargne vers l’étang en espérant qu’elle serve de nourriture aux poissons. Le morceau de papier vola dans les airs quand soudain il explosa dans une petite détonation qui fit sursauter Édouard ainsi que le chien. Ce dernier s’enfuit à vive allure en gémissant de terreur.

Pendant un moment, Édouard pensa qu’il était à l’origine de ce phénomène étrange dont il a le secret et puis, après réflexion il se dit que son frère devait encore être derrière tout ça.

  • Il a mit un pétard dans l’enveloppe ! se dit-il choqué tandis que les reste encore fumant de la lettre retombèrent délicatement à la surface de l’eau.

Édouard rentra chez lui avec la ferme intention de se venger.

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