Chapitre 22

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La trayeuse s’activait paresseusement sur ses seins gorgés. C’était étrange de les sentir lourd, douloureux et d’accepter que la machine le soulage. Il avait pris l’habitude de la douleur. Lorsqu’il était rentré à la laiterie, il n’avait pas su comment les remercier. Il avait seulement assuré qu’il avait remonté les informations qui lui paraissaient utiles pour améliorer leur vie à tous et il avait remercié de leur confiance, même s’il ne l’avait pas réellement envoyé comme représentant.

Tous espéraient qu’il rapporte des nouvelles croustillantes, qu’il leur dise qu’il avait réussi à séduire l’Akoutie et qu’il avait fini dans ses bras. Malheureusement, ce n’était pas le cas et tout ce qu’il pouvait faire, c’était de suivre son ordre. Il y avait eu trop d’incompréhensions et de quiproquos. Peut-être qu’en obéissant à la lettre, les choses iraient mieux ? L’espoir s’était envolé et Yu agissait plus mécaniquement qu’autre chose.

Néanmoins dès le premier jour, il nota une amélioration qui le surprit. Dans les dortoirs, des coussins en tout genre avaient été ajouté permettant de caler les ventres et de trouver des positions bien plus confortables. Yu l’avait compris en s’aidant d’un autre lorsque son ventre, trop tendu, lui faisait mal sans s’arrêter. Patiemment, il leur montra comme s’installer en espérant que ça les aiderait réellement à affronter les douleurs quotidiennes des fausses grossesses.

Là, coucher au milieu des autres, le jeune Oom se demanda sincèrement ce qu’il se passait. Roch’mey l’avait il écouté ? Réellement écouté ? Il était si hostile que ça semblait peu probable et pourtant… les faits étaient là. L’avait-il entendu sur un autre point ?

En soit, Yu ne savait plus du tout ce qu’il ressentait. Il se sentait de plus en plus las et perdu. C’était comme s’il était dans un brouillard épais et que ses émotions étaient un peu trop loin pour les identifier. Comment savoir qu’il s’agissait de tristesse, de déception et derrière, une petite flamme brulante, celle de la frustration ? Dans tous les cas, c’était inutile car il n’avait rien à ressentir. Comme les autres, il était là pour obéir et seulement pour obéir. Dans son excès de zèle, cherchant à plaire, il s’était fourvoyé et à présent, il devait faire attention.

Son sommeil fut agité et au réveil, Yu fut surpris que les coussins soient toujours là. Il ne les avait pas rêvés. Il retourna à la trayeuse et observa, affalé contre un mur, ses seins qui suivaient paresseusement le rythme de la machine. Ses tétons étaient douloureux, mais pas tant que ça et les sensations qui montaient en lui était un peu trop plaisantes… ou peut-être pas assez. Ces moments, dans cet état second, c’était son quotidien à présent et il devait juste l’accepter.

Il ne se passa rien de plus après l’arrivée des coussins. Les jours s’écoulèrent lentement, dans une monotonie des plus complètes et ceux jusqu’à la réunion suivante. Yu hésita mais sagement, il s’y rendit. Il resta près de la sortie dans un coin, moins isolé des autres qu’il ne l’aurait cru. Il se sentait tellement dépassé par cette vie qu’il peinait à être un bon camarade, mais ces collègues et amis étaient visiblement là pour le soutenir malgré tout. Ils n’avaient jamais cessés d’être là, silencieux mais présents.

Dans la salle, l’examinateur qui entra était une tête connue. Il était magnifique aussi et c’était parfois dur, pour ces anciens prétendants, d’observer ce qui avait dû être un rêve, il y a longtemps. Yu observait le vague lorsqu’il entendit son nom être prononcé. Il sursauta, sans comprendre, papillonnant légèrement.

- Yu, tu as été sélectionné par l’Akoutie. Suis-moi.

Il cligna des yeux un instant, surpris. La dernière fois Roch’mey avait eu envie de le chasser en personne après l’avoir rejeté encore et encore et à présent, alors que ni la quantité, ni la qualité de son lait ne le désignait, il était appelé ? Pourquoi ? Soupirant doucement, incapable de comprendre la logique de Roch’mey, il se leva et suivit l’examinateur silencieusement.

La séance se passerait sans doute mieux que la dernière fois, mais il réfléchit à toute vitesse sur le trajet, tentant de rassembler ses esprits pour savoir quelles doléances proposer. Les coussins avaient eu un très bon impact que ce soit sur le moral ou sur les souffrances physiques améliorant par la même l’ensemble de la production. Il l’avait entendu dire ici et là. Il n’avait lui-même pas vérifier les statistiques, se contentant de voir ceux qui devenaient ses amis de plus en plus sereins.

Les couloirs défilaient et il avait du mal à rassembler ses idées. Plusieurs autres mesures importantes avaient été proposée lors de la dernière session. Que dire de plus ? Un croisement, un autre couloir et soudain, il fut là : Roch’mey. De toute sa stature, il dominait son bureau et à travers lui, son monde. Il était toujours aussi beau.

- Bonjour Yu, assieds-toi.

Le petit Oom répondit d’un mouvement du visage et obéit, simplement. Roch’mey se sentit malade de le voir ainsi, mais il débuta la séance comme si elle n’avait rien de particulier si ce n’était que le représentant était plus ou moins nouveau.

- Merci d’être venu. Le rôle des représentants est très important pour la couveuse et j’aimerais que tu te sentes la liberté de parler dans ce bureau.

Il eut un temps d’arrêt. Yu n’avait pas hésité la première fois et s’il n’avait pas tout détruit, il n’hésiterait pas cette fois encore.

- J’ai suivi vos courbes de près suite à l’ajout des coussins comme tu me l’avais conseillé et j’ai vu une augmentation globale de la quantité et de la qualité du lait. Ta mesure semble apporter un véritable bien-être aux personnes de la laiterie. Qu’en penses-tu ?
- Tout le monde semble content.
- Et toi ?

Les yeux de Yu clignotèrent une seconde sans qu’il ne comprenne avant qu’il ne lève le visage pour dévisager les yeux, si beau, de Roch’mey.

- Moi ? Je suis… J’ai obéi, je me suis reposé.
- Et tu es content ?

Yu resta figé, incapable de répondre et faute de mieux, il tenta de changer de sujet.

- Je pense que tout le monde est ravi du geste que tu as fait.
- As-tu autre chose à conseiller ?
- Le roulement serait une mesure appréciable. Peut-être qu’il pourrait être mis partiellement en place au moins pour les plus petites productions mais il faudrait s’assurer que ce ne soit pas pris comme une punition ou un rejet. Il faudrait également que ce ne soit pas vu comme une récompense qui pousserait certain à le désirer.
- Une idée ?

Ils discutèrent ainsi pendant un long moment, échangeant simplement sur le fonctionnement de la couveuse, sans regarder le temps passer, sans s’ennuyer non plus, simplement absorbés par ce qui se disait. Roch’mey eut la sensation que tout le long de la discussion, Yu s’était peu à peu éveillé, comme s’il revenait à la réalité. Cela l’inquiéta, l’idée qu’il soit parti si loin était à proprement parlé : angoissante, mais cela le rassura également car il avait une prise sur les choses. Il pouvait l’aider.

- Je vais tester un certain nombre de propositions mais je désire les étaler dans le temps, bien les séparer pour pouvoir évaluer leurs effets propres.
- Je comprends.
- Le problème c’est que tu m’as donné de quoi faire pour assez longtemps à la laiterie.

Yu se figea sous le reproche qui avait pourtant été dit d’une voix douce, presque amusée. Avait-il fait une erreur ? Ou plusieurs ? Son ventre se tordit à cette idée.

- C’est pourquoi j’ai une proposition à te faire. Ce n’est … qu’un essai. J’aimerai que tu restes à la laiterie le temps de donner ton lait… au rythme qui te conviendra pendant cette période. Et tu seras affecté à un autre service pour … relever les problèmes comme tu la fais dans la laiterie.

Le visage de Yu se transforma sous le choc. Il connaissait ce poste, c’était l’un des plus prestigieux possible au sein de la couveuse. Un lien direct avec l’Akoutie, son mot à dire de partout, un avis qui compte et qui modifie durablement la vie de tout un chacun. La joie le parcourut un instant à l’idée de pouvoir améliorer les choses pour les autres, avant qu’il ne se souvienne des mots de Roch’mey. Il lui avait reproché son ambition. Il lui avait prêté l’envie de contrôler les autres. Pourquoi lui offrir cette place après de telle allégation ? Se moquait-il de lui ? Comptait-il le faire plonger plus profond encore dans le désespoir ?

Yu observa autour de lui, perdu. Il observa les détails de ce bureau qu’il apprenait à aimer petit à petit, mais ils ne lui apprirent rien.

- Yu ?
- Je…

Il aurait dû lui répondre qu’il se sentait honoré d’une telle proposition et qu’il ferait tout pour trouver des solutions pertinentes qui aideraient tout le monde à se sentir mieux pour faire de cette couveuse un havre de paix. Il aurait dû lui promettre mont et merveilles pour le satisfaire. Mais les mots restaient noués dans sa gorge.

- Je…

Il hésita et la question qui lui brulait les lèvres finit par sortir.

- Pourquoi ?

Roch’mey se rembrunit. Cette conversation détendue lui avait donné l’impression que Yu se sentait à l’aise et en confiance, mais visiblement il avait fait plus de dégâts qu’il ne voulait bien l’admettre.

- Je me demande si je ne me suis pas trompé sur toi et j’aimerais … te donner une seconde chance.

Yu baissa le visage, la réponse n’était pas satisfaisante. Il aurait aimé comprendre pourquoi il en était arrivé là. Qu’est-ce qui avait changé ? Qu’est-ce qui changerait avec ce nouveau rôle ?

- Je crois que j’ai besoin de savoir… Qu’est-ce que tu voudrais que je fasse ? Qu’est-ce qui te plairait ?

Roch’mey sentit un long frisson lui parcourir le dos à ce dernier mot et il rejeta immédiatement la sensation dévorante qui le prenait. Depuis le début c’était le fond du problème. Il lui plaisait justement et c’était ce qui l’avait rendu injuste. Ressentir une telle chose pour un prétendant qui ne réagissait pas comme il l’aurait voulu, c’était extrêmement frustrant.

- Essaie d’être heureux. Je préfère te voir épanoui.

C’était une vérité générale. C’était exactement ce qu’il souhaitait pour l’ensemble des membres de sa couveuse. Il les voulait souriant, heureux d’être là et de participer à cette tâche merveilleuse. Il les voulait joyeux et chantonnant. Il voulait que cette couveuse soit un paradis et à présent, Yu allait l’y aider.

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