Je flotte. J'aurais eu tendance à dire que je vole. Mais comme je ne maîtrise absolument rien, je dirais que je flotte. Tout, autour de moi, n'est que lumière. Une aveuglante lumière blanche. Pourtant, il ne me semble pas être morte... Enfin, je l'espère ! J'ai laissé ma maison sens dessus-dessous ! Je n'ai pas dit à mes proches à quel point je les aime... Je ne peux pas partir comme cela ! J'essaie de crier. Je sens ma corde vocale vibrer. Mais aucun son ne parvient à mes oreilles. J'essaie de claquer des doigts. Seul un vague son étouffé fait frémir mes tympans. Je me concentre sur ma respiration (pourquoi ne l'ai-je pas fait plus tôt ?) et inspire à pleins poumons. Je sens l'air entrer et sortir, le plus normalement du monde. Les morts ne respirent pas, me semble-t-il. C'est déjà un bon signe. Je me souviens m'être couchée, dans ma chambre en bordel. Je dois être en train de rêver. Mais quel drôle de rêve. J'essaie de me concentrer pour tenter de me réveiller. Je ne sais pas vraiment comment faire. Alors je tente des choses improbables : je ferme les yeux, je retiens ma respiration, je me pince, me mords la langue... Rien n'y fait.

Soudain, une sorte de son sourd commence à retentir. Comme une aspiration. Y aurait-il un monstre géant qui m'aspire à lui ? Cela me semble tellement ridicule... Mais en même temps, j'ai peur. Je ne comprends pas ce qu'il m'arrive. Si j'étais en train de rêver, j'aurais dû me réveiller, non ? Les battements de mon cœur se font saccadés (bon, déjà, il continue de battre !). Je me sens fébrile. Une ombre se dessine alors au loin, troublant l'aveuglante lumière. Je ne distingue pour l'instant rien d'autre qu'une ligne horizontale. Le grondement se fait de plus en plus fort. Je ressens ses vibrations dans mon corps, dans ma chaire. Je l'entends comme s'il provenait à la fois de tout l'espace environnant et de l'intérieur de ma tête.

Je sens le stress monter en moi. Des frissons incontrôlables me parcourent tandis que, petit à petit, l'ombre à l'horizon se fait plus distincte. Cela semble être un damier. Il s'étend à perte de vue. Les "cases blanches" semblent faites de la même lumière que le reste de cet endroit mystérieux. Je flotte à présent au-dessus de ce damier. Le grondement se fait plus fort. S'y sont mêlés d'autres sons, d'intensité moindre. Certains plus stridents, plus aigus. Le tout formant une dérangeante et inquiétante symphonie. Plus j'avance au-dessus des cases, plus il se fait puissant. Mon cœur s'accélère, en un rythme irrégulier. J'entends ses battements se mêler à leur tour à ce bruit qui m'enveloppe.

Je continue de flotter. Toujours en avançant. De plus en plus près du damier. Je pourrais presque le toucher. Mais je n'ose pas essayer. Soudain, le bruit s'arrête. Tout redevient silencieux. Encore plus inquiétant que lorsque que résonnait cette symphonie. Mon cœur s'affolle encore. Il est le seul son que je perçois désormais. Quand soudain, un hurlement strident me vrille les tympans. Je ferme les yeux, par réflexe, comme si cela pouvait me protéger du bruit. Je les réouvre. Paniquée, je pousse à mon tour un hurlement, mais qui demeure muet. Je suis au-dessus d'une mare de sang. Mon cœur semble vibrer dans ma poitrine tellement ses battements se sont accélérés. Je n'ai jamais ressenti une telle peur de toute ma vie. Mais pourquoi ? Je me rends compte que je n'avance plus. Je stagne au-dessus de cette mare de sang. C'est là que je comprends pourquoi j'ai hurlé. Pourquoi je ressens cette peur. Ce que reflète cette mare de sang, c'est... C'est...

Je me réveille. En sueur. Mon cœur bat la chamade. Que m'est-il arrivé ? Quel était ce rêve étrange. Je suis bel et bien réveillée. Mais ma peur est encore bel et bien là. Ce que j'ai ressenti, ce que j'ai vu... Je sens d'ores-et-déjà que cette nuit et ce cauchemar resteront gravés en moi pour toujours.