L'hiver

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J’étais toute seule dehors sous la neige depuis presque une heure maintenant. Seuls résonnaient mes pas qui faisaient crisser la poudreuse au fur et à mesure que j’avançais, enfonçant un pied devant l’autre, laissant fièrement mon empreinte dans la neige vierge, trop heureuse d’être la première à explorer l’endroit. De gros flocons tombaient en continu, créant presque un rideau devant mes yeux. Ils s’accrochaient à mes cils et me chatouillaient le visage en fondant au contact de mes joues rougies par le froid. J'enlevai un gant pour les laisser tomber dans ma paume et ils disparurent aussitôt. On dit que chaque flocon est unique, comme s'il avait sa propre personnalité, sa propre existence, bien qu'éphémère. Peut-être que leur seul but est de nous émerveiller avant de s'évaporer? Ceux-ci me semblaient gigantesques. lI devait y en avoir plusieurs regroupés en un seul.

Je m’arrêtai un instant pour admirer le paysage. Derrière ce rideau dense, un manteau blanc scintillant s’étendait à perte de vue. Dans cette immensité blanche régnait le silence. Personne à l’horizon. Le village semblait dormir paisiblement. Les maisons, parfaitement alignées, coiffées d’un chapeau blanc pointu, laissaient s'échapper par les cheminées, des volutes épaisses de fumée grise. J’aperçus finalement mon voisin au loin, tirant péniblement sa luge remplie de bûches. Il disparut derrière un tas de neige puis je le vis rentrer chez lui, frottant énergiquement ses mains gantées et tapant des pieds pour chasser la neige incrustée dans ses semelles. Je comptais rentrer aussi. J'adorais me balader sous les flocons, quand il n'y avait personne dans les rues, mais je commençais à ne plus sentir mes doigts, et mes orteils étaient glacés.

Je repris la marche en direction de la maison cette fois-ci, laissant derrière moi le champ immaculé. Arrivée dans la cour, avant de monter les marches de la maison, je décidai de faire un petit détour par le jardin. Le portique métallique séparant la cour du jardin, s'ouvrit avec un grincement, et je me retrouvai au milieu des arbres gris, imposants, aux longues branches recouvertes d'une épaisse couche de coton de neige duveteuse. Les plus fines étaient givrées, comme si le bois était préservé dans du cristal transparent. D'autres étaient enrobées de petits cristaux de neige, qui scintillaient comme des pierres précieuses. On aurait dit que le temps s'était arrêté, la nature était au repos, le silence régnait, les flocons continuaient à tomber du ciel gris et un sentiment paisible m'envahit. J'en oubliais presque mes membres engourdis.

Soudain, sur l'une des branches cotonneuses atterrit un adorable rouge-gorge dodu, aux plumes gonflées et soyeuses. Il me fixa quelques instants avec ses petits yeux brillants avant de prendre farouchement son envol. Les seules preuves de son passage furtif étaient deux petites traces de pattes imprimées dans la neige, à l’endroit où il se trouvait quelques instants auparavant. Et si avant de partir j'y laissais mon empreinte moi aussi? Je fis quelques pas puis me laissai tomber sur le dos sur l'épais tapis blanc qui amortit ma chute. J’étais comme dans un cocon, frais et doux à la fois. Je remuai les jambes et les bras pour dessiner un ange puis me relevai pour admirer mon oeuvre, tout en secouant les morceaux de neige fondue de mes vêtements. Le froid commençait à m'envahir pour de bon et je me mis à courir vers la maison.

En ouvrant la porte d'entrée, je sentis une chaleur bienveillante m'envelopper. Mes muscles se détendirent aussitôt et j'avais l'impression de revivre. Je sentais un parfum de gâteaux aux noix qu'on venait de sortir du four, m'arriver depuis la cuisine, mais je comptais y aller plus tard. J'entrai directement dans ma chambre et collai mes mains engourdies sur le poêle qui chauffait la pièce. J'avais la sensation que des fourmis rouges grouillaient au bout de mes doigts. Ça picotait et ça brûlait! Une odeur de résine de sapin et d'oranges emplissait l'air. Dans le coin de la pièce au pied de mon lit, le sapin était déjà dans son habit de fête, orné de papillotes, de boules colorées et de guirlandes lumineuses qui clignotaient. A l'extérieur, des stalactites ornaient la fenêtre. La neige continuait à tomber à gros flocons, sans interruption.

Une heure plus tard j'étais de nouveau dehors à tirer ma luge. Il neigeait un peu moins et cette fois-ci je n'étais plus seule. Avant même de les apercevoir, j'entendis les éclats de voix des enfants du village qui avaient eux aussi sorti leur luge et s'amusaient à glisser sur la piste de glace, que formait à présent, l'ancienne mare du champ qui se trouvait devant la maison de mon voisin. Leurs habits multicolores, rouges, bleus, jaunes, contrastaient avec la blancheur du paysage. Je m'empressai de les rejoindre et nous y passâmes l'après-midi. Le temps nous semblait infini. Il me semble qu'il court au ralenti lorsqu'on est petit, et qu'il s'accélère quand on grandit. A la tombée de la nuit, une lueur orangée qui n'arrivait pas des lampadaires, mais qui était bien due à la neige omniprésente, éclaira les rues. Il ne neigeait plus. Il était temps de rentrer goûter à ce gâteau aux noix.

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