Partie 3/5

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Reprenons là où nous nous étions arrêtés, mes enfants. Ou peut-être plus tard ? Les péripéties suivantes de l’infortunée Ceralia s’étende sur une longue période de temps.

Une question simple, d’abord : pouvez-vous vous délivrer d’une malédiction dans de telles conditions ? Dépourvue de foyer et d’argent, projetée dans une ville où elle n’avait jamais foulé les pieds, la pirate avait-elle une chance de s’en sortir ?

Quoi ? Mais bien sûr que non, mes enfants. J’ignore comment vous arrivez à espérer pour elle à ce stade du récit.

Autrefois Ceralia la terreur, elle était devenue aussi célèbre qu’une mendiante peut l’être. Elle avait beau faire l’œil doux, bien peu étaient crédules, surtout qu’elle gardait son crochet et son cache-œil. Si déjà elle n’avait pas apprécié être cognée par ses propres camarades, finir brutalisée par des inconnus s’avérait bien pire. Ceralia se recroquevillait souvent au coin d’une ruelle, s’étouffant en sanglots, hantée par les cris de mouettes. Jours et nuits se succédaient pareillement, sans que la lumière n’éclaircisse la voie de la malheureuse.

Je vous sens perplexe. Oui, un coup de surin peut vite se glisser, pourtant la pirate survit envers et contre tout ? Patience, mes enfants. Il y a une raison à cela, mais elle arrivera en temps voulu.

En attendant, éclipsons les prochaines semaines. Sauf si de larmoyantes scènes d’aumônes et des bagarres vous intéressent, mais vous valez mieux que cela.

Entre en scène Wernou. Un brave aubergiste gnome, pour sûr. Il avait bien remarqué la pirate déambuler régulièrement auprès de son établissement. Il lui offrit donc une chambre dans son auberge, des repas réguliers et des bières bon marché.

Où était le piège ? Arrêtez de vous méfier de tout le monde, mes enfants ! Bon, je ne peux vous donner tort pour Wernou. Il était au fait de la réputation de Ceralia… et sa présence augmenta la fréquentation de son auberge. L’image de la capitaine déchue, s’embarrassant de ses maladresses, était devenue un spectacle notoire de la cité de Kargaros. Les plus attendris lui jetaient quelques pièces, les plus rancuniers leurs pintes.

Ceralia n’était pas dupe. En restant au même endroit, elle était la cible privilégiée de personnes mal intentionnées. Préférable d’avoir un toit au-dessus de sa tête, vous me direz, et vous aurez raison. Mais surtout, à ses yeux, cette auberge constituait le lieu favori des aventuriers et voyageurs en tout genre. Telle était la flamme salvatrice, l’éclat oscillant près de son œil au beurre noir ! L’espoir qu’un des imbéciles savait comment briser la malédiction d’une cruelle sirène.

Certains ne croyaient pas en leur existence. D’autres voulaient les rencontrer pour des raisons qu’ils jugeaient « personnelles ». D’autres encore juraient que le cousin de la tante de leur meilleur ami en avait aperçu une, il y a fort longtemps.

D’un soupir las, Ceralia conclut que l’approche se devait d’être différente. Sirène ou pas, Tharadia devait être détentrice d’une magie connue. Donc, rebelote !

Une apprentie druide tenta de la secourir, mais la transforma momentanément en chouette.

Un vieux magicien refusa tout bonnement, parce que Ceralia était incapable de déchiffrer ses énigmes.

Un occultiste lui jeta un sort de foudre. Il n’avait jamais promis que cela fonctionnerait, juste qu’il avait l’excuse idéale pour pratiquer son entraînement.

Tous des incapables ! C’était ce que ronchonnait la pirate, qui pourtant ne maîtrisait pas le moindre sort. Elle devait adapter sa stratégie même si elle commençait à désespérer. Ou bien à explorer d’autres horizons.

Passons encore quelques semaines. Ceralia dégustait un breuvage fort exquis. Même quand planait une ombre menaçante, elle se contentait de hausser les épaules et exhaler un soupir. Autant ne pas se défendre, affirmait-elle, et la douleur en deviendrait supportable.

L’individu en question n’était pourtant pas commode. Un grand type à la fort carrure, doté d’une superbe hache en acier, et engoncé dans une armure en fer. Il se déplaçait avec fluidité pour quelqu’un de si lourdement équipé. En plus, cet humain avait dépassé depuis longtemps la force de l’âge.

Il s’installa en face de Ceralia en croisant les bras. Et lui accorda son plus sévère salut.

— À qui ai-je l’honneur, cette fois-ci ? demanda la pirate sur un ton las.

— Tu commets déjà le premier affront de ne pas me connaître, scélérate ! rugit l’homme.

— Non, c’est Ceralia.

— Je sais ! La récompense sur ta tête est de 14 400 pièces d’or si tu es ramenée vivante. 10 100 seulement si j’apporte ton cadavre. Hé oui, tu l’auras deviné, je suis Ferayom Husdilac ! Un chasseur de prime de haut talent.

Ceralia fronça à peine les sourcils.

— J’apprécie l’originalité, reconnut-elle. Entre les curieux et les haineux, j’avais oublié que certains me cherchaient pour des raisons valables.

— Je viens de loin, expliqua Ferayom. Toute ma carrière, j’ai foulé des terres proches des miennes. Mon village me manquait trop ! Aujourd’hui la retraite approche, mon dos me fait mal, et je veux juste un coin tranquille. Rien de bien grandiloquent, juste un manoir coûtant 13 000 pièces d’or. Sois flattée, capitaine Ceralia, ta prime est parmi les plus élevées de la région !

— J’avais oublié ma prime, tiens.

— Diantre, que d’enthousiasme ! J’ai ouï dire que tu étais une épéiste hors pair. Je t’accorde donc la chance de te défendre : j’apprécie toujours un beau combat. En garde !

La chaise chuta dans un craquement. Alors Ferayom se révéla de toute sa stature, sa hache scintillant comme jamais ! Oh oui, mes enfants, tout amateur de conte sait apprécier les affrontements épiques. Vous serez déçus… et surtout Ferayom. Car son adversaire ne leva pas un cil.

— À quoi bon ? soupira Ceralia.

— Deuxième affront ! accusa le chasseur de primes. Tu ne vas pas te rendre sans résister, quand même ?

Intervint soudain le moins désiré des sauveurs. Un demi-orc demi-elfe n’était pas le problème, Ceralia en avait croisé quelques-uns. Non, le souci, c’était que le bougre était attifé d’une redingote criarde, éblouissant par son mauvais goût. Et aussi qu’il jouait de son luth même si une corde était cassée.

— Hep hep hep ! fit-il. Tu as appris que Ceralia était ici sans savoir pourquoi ?

— Mêle-toi de tes affaires, barde ! grogna Ferayom.

— Mon nom est Goriel. Et je suis troubadour.

— C’est quoi, la différence ?

— Trop subtile pour toi.

Pour une fois, le risque s’écarta de Ceralia pour s’orienter vers notre nouveau protagoniste. Le chasseur de primes n’était pas très content, et le montra en tournoyant sa grosse hache. Ne vous en faites pas ! Il se calma bien vite lorsque Goriel lui présenta un papier, où se trouvait le portrait mal dessiné de Ceralia.

— Demande à n’importe qui et ils te le confirmeront, dit le troubadour. La capitaine Ceralia a subi une malédiction l’ayant rendue… inoffensive. Sa prime a été réduite à 100…

— 100 pièces d’or ? s’indigna Ceralia. C’est vraiment le…

— … 100 pièces d’argent.

Ceralia n’avait plus fondu en larmes depuis son bannissement de l’équipage. Un autre coup de poignard, en quelque sorte ! La confirmation que sa réputation avait été ruinée. Ses pleurs se répandirent dans toute la salle, suscitant la pitié de tout un chacun. Même Ferayom commença à se retirer discrètement.

Jusqu’à être interpellé par la pirate elle-même. Une esquisse de sourire était apparue sur sa figure érubescente.

— Attends ! s’écria-t-elle. Pourquoi ne pas t’attaquer à ma remplaçante ? Reigad est devenue la nouvelle capitaine de mon navire après mon départ forcé.

— Et elle navigue toujours sur les mers ? se renseigna Ferayom.

— Évidemment, pourquoi ?

— Hum… J’ai peur de l’eau. Ton amie m’est donc inaccessible.

— Tu voulais capturer une pirate alors que tu as peur de l’eau ?

— Bah oui, puisque tu es sur terre. Réfléchis un peu.

Raté ! Ceralia ne brillait pas dans le domaine de la vengeance. Pas que ce fût le cas dans quelconque autre domaine. Toujours est-il que le vieux chasseur de primes changea son arc et commença à faire demi-tour.

— Il faut vite que je trouve quelqu’un d’autre, songea-t-il. Ce manoir ne va pas s’acheter tout seul.

La quête de Ferayom pour une retraite bien méritée mériterait sa propre histoire. Mais revenons à notre bougresse favorite, mes enfants. Elle qui aspirait à un peu de tranquillité se heurtait au pire des trouble-fêtes : un troubadour.

— La capitaine pirate crainte de tout le monde, déclama-t-il. Victime d’une malédiction, aujourd’hui déchue. Voilà de la matière pour une ballade inspirante !

— Écris une chanson sur moi, menaça Ceralia, et je…

— Et tu fais quoi, au juste ? Quoi que tu tentes contre moi, ta malédiction t’en empêche.

Ceralia jura à n’en plus finir. Non, mes enfants, je ne peux en dire plus, ce n’est pas approprié ! Et non, ce n’est pas en contradiction avec la violence de certains passages. Tout simplement car… Cessez de m’interrompre et écoutez.

— Tu aurais dû le laisser faire, dit Ceralia. Mon calvaire se serait terminé.

— Je croyais que tu voulais mettre fin à ta malédiction ? répondit Goriel.

— Les rares personnes qui ont souhaité m’aider se sont plantés lamentablement. En quoi serait-ce différent ?

— Je ne porte pas mon titre en vain ! J’ai beaucoup voyagé, et je connais des gens. Quelqu’un qui a les capacités de te dépêtrer de tes tracas. Et la volonté, accessoirement !

Rarement Ceralia avait autant entendu son oreille. C’était comme si sa bière, aussi goûteuse fût-elle, n’existait plus.

— Qui est ce bienfaiteur ? interrogea-t-elle.

— Runagwin ! Une elfe des bois. Recluse de la société, même parmi les siens. Elle vit dans une caverne nichée aux abords de la forêt d’Ypharan. Très puissante dans la magie… D’aucuns la considèrent comme une sorcière.

— Tu t’attends à ce que je m’associe à une sorcière ?

— Ha ! J’ai dû oublier le moment où la capitaine Ceralia était un exemple de moralité ?

— Pourquoi sortir l’argument moral ? Tu as toujours la réplique, dis-moi.

— Je suis en effet hilarant en plus d’exceller dans l’écriture. Ne nous écartons cependant pas du sujet. Runagwin est considérée comme une parjure, et cela devrait t’arranger. Entre exclues de la société, vous devriez vous entendre !

— C’est un peu maigre, comme argument. Si je dois voyager jusque-là, je dois être certaine qu’elle m’aidera.

— Avec ta malédiction, il ne te reste que ton éloquence. Je peux aussi jeter quelques dés en ta faveur.

Goriel se leva subitement et dénicha d’une autre table une bouteille de whisky ma foi fort belle. Vieilli en fût, paré d’une subtile couleur orangée, promettant de puissants arômes… Oh, excusez-moi, je m’égare ! Et Ceralia aussi, quoique pour d’autres raisons.

— Je préfère la bière, rectifia-t-elle.

— Pour noyer ton chagrin dans l’alcool ? fit le troubadour. Quelle originalité. Je vais clarifier, puisque la perspicacité te manque. Cette bouteille est une offrande pour Runagwin. Elle en raffole.

— Je vais donc rappliquer et dire : « Voici de quoi t’enivrer, pourrais-tu briser ma malédiction s’il te plaît ! » ?

— Formulé ainsi, cela sonne ridicule. N’importe quelle proposition peut être acceptée tant qu’elle est adéquatement énoncée. Tu auras tout le temps d’y songer pendant le trajet.

Ceralia réfléchit à la suggestion. Pour envahir des navires et ravir leur équipage, elle était la championne, mais collaborer avec une sorcière était hors de sa portée ! Elle se dirigea ainsi vers son endroit favori pour cogiter : l’arrière-salle de la taverne, ouverte sur la mer.

Pourquoi alors s’étonna-t-elle de l’irruption de Nebura ?

— Salut salut ! dit la sirène en secouant sa queue. Comment ça va, depuis le temps ?

— Mieux que la dernière fois, soupira la pirate, s’asseyant au bord de l’eau. Votre présence m’est plus supportable.

— Heureuse de le savoir !

— Une minute… Tu prends un risque, là ! La plupart des gens ne croient pas en l’existence des sirènes.

— Détends-toi, l’amie ! Tu crois que notre bien-aimée impératrice nous aurait envoyées sans nous surveiller ? Nous sommes entourées par une bulle magique. Seules les personnes à l’intérieur peuvent nous voir.

Ceralia ignora si elle devait se sentir soulagée par cette nouvelle.

— C’est amusant, tu ne trouves pas ? poursuivit Nebura. Tu traînasses à la même taverne pendant des semaines pendant que j’explore le monde.

— Comme une lame enfoncée sur une blessure fraîche…, marmonna la pirate.

— Et devine quoi ! Pas plus tard que l’autre jour, une pêcheuse m’a attrapé par la queue ! J’ai vu ça comme un défi, donc je l’ai entraînée sous l’eau. Elle n’a tenu que deux minutes avant de mourir… Quelle faiblesse !

Un frisson s’empara de Ceralia et l’encouragea à s’éloigner. Un sentiment renforcé par l’arrivée de Maleth, qui se lécha les lèvres.

— Tends ta main pour me saluer, suggéra-t-elle avec un sourire tout sauf subtil.

Ciel, Maleth était encapuchonnée, et il faisait de toute façon nuageux. Ceralia dut renoncer à son confort, non sans répliquer comme le fit jadis une paladine : en tirant la langue.

— Votre harcèlement cessera bientôt ! se réjouit-elle. Hé la vampire, figure-toi que je vais rencontrer une sorcière, et elle va me délivrer de votre malédiction ! Qu’est-ce que tu vas répliquer ?

— J’espère qu’elle te transformera en poulet et te mangera, déclara Askara en jaillissant de l’eau.

Ceralia crispa ses poings face à une scène bien trop familière.

— Rôtie, de préférence ! enchaîna la sirène. Ou bouillie dans sa potion, c’est son choix.

— Vous ne pourrez pas me poursuivre à l’intérieur des terres ! se rassura Ceralia. Votre impératrice n’avait pas prévu ça !

— Contrairement à quelqu’un, Tharadia n’est pas la dernière des idiotes. Tu n’as aucun moyen de briser cette malédiction.

— Ça sonne comme un défi. Loin de vos abysses perdus, je suis connue pour être persévérante.

— Nous ne pourrons pas te suivre, et alors ? La route est dangereuse. Peut-être finiras-tu écrasée par la massue d’un troll. Ou dépouillée par des bandits. Ou emportée par des harpies dans leur nid. Ou un dragon…

— Assez de méchanceté ! s’interposa héroïquement Tejiki.

Un soupir de concert rythma l’arrière-salle. Et la sirène n’arrangea pas son cas en dévisageant l’ancienne capitaine avec une mine admirative.

— Tu as fini par m’écouter ! s’exclama-t-elle. Tu n’as pas fait de mal à quiconque depuis que tu nous as rencontrées.

— À cause de la malédiction ! corrigea Askara, plaquant sa main contre son front.

— Une possibilité ! Ou bien… Mon influence positive ? Tejiki aide à révéler le bon même chez les personnes jugées trop mauvaises ?

— Tu t’attribues trop de mérite.

— Tu es jalouse, Askara ! Avec mon soutien, Ceralia va répandre le bien autour d’elle ! Secourir les orphelins, offrir la soupe aux miséreux, voire encore…

— Je vais vomir, lâcha Ceralia.

Et elle essaya ! Mais se pencher face à une vampire affamée était rarement une bonne idée.

— Je n’étais pas sûre, mais vous m’avez convaincue ! décida la pirate. La prochaine fois que vous me verrez, votre impératrice n’aura plus aucune influence sur moi.

— Bon courage ! souhaita Tejiki.

— Va mourir, lança Askara.

C’était un nouveau périple qui débutait. J’aurais bien affirmé que Ceralia l’affronterait dignement, mais ce serait vous mentir mes enfants.

En effet, ce conte se poursuivra avec une sorcière. J’espère que vous avez hâte ! Soyez gentils, et patients, pour que je vous raconte comment Ceralia s’était débrouillée avec Runagwin.

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