La vie est un voyage

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La vie est un voyage, mais où aller ?, seule, à deux, à plus ?, à pied, à vélo, en voiture, en voilier, en montgolfière ? Et puis voyager, ce n’est pas forcément partir très loin, ou au-delà-des frontières. Quel voyage que d’aller dans son jardin s’émerveiller d’une fleur de clématite qui s’est préparée à bas bruit depuis l’hiver dernier pour éclore, juste pour votre plaisir, en ce frais matin de mai dans une discrétion éblouissante ! Et puis il y a aussi le voyage intérieur, sans limites celui-ci, mais non sans surprises.

Moi j’ai choisi de voyager seule, je suis partie droit devant avec le risque de me perdre pour mieux me retrouver. Je voyage à l’encre sympathique : rien n’est gravé dans le marbre, tout est ouvert, mon futur est en devenir, je voguerai au fil de l’eau, je respirerai au fil des fleurs, je m’envolerai au fil des vents.

Au bout de quelques jours d’errance heureuse, j’aperçois un scarabée bousier qui déplace au prix de gros efforts une énorme boule de terre, énorme à ses yeux d’insecte, bien sûr. Qui sait dans quel but le pauvre se donne tant de peine. Je reste à l’observer de longues minutes, et puis peu à peu une image apparaît en surimpression sur l’insecte : celle d’une petite fille avec sa souffrance, une souffrance aussi lourde qu’elle-même est frêle, seule et désemparée, une souffrance aussi grosse relativement que la boule de bouse par rapport à la taille du scarabée. Lui je ne sais pas pourquoi il la transporte ainsi, inlassablement, mais elle, je sais pourquoi : elle porte sa souffrance car elle n’a pas le choix, elle vit au rythme des vagues d’une marée d’équinoxe qui fouettent sauvagement le rivage ; elle n’a pas le temps de se sécher qu’elle en reçoit une autre en pleine face ou encore une troisième de dos, sournoisement ; elle étouffe, elle s’étouffe ; comme une huître perlière, elle est enceinte de quelque chose de douloureux qu’elle n’a pas voulu, lourde à en crever, et elle, la fillette, ne sait même pas l’entourer de nacre pour s’en protéger. Elle est comme le joueur de tennis qui subit le jeu, qui ne fait que courir de tous côtés pour renvoyer les balles de son adversaire de plus en plus maître du jeu. Mais plus je regarde l’insecte/fillette, plus je me demande pourquoi ils ne laissent pas leurs boules de bouse sur le bord du chemin. En m’en éloignant, prenant ainsi de la distance par rapport à la boule, j’y crois pas !, elle devient plus petite, de plus en plus petite ; elle n’est plus qu’un petit pois, puis un grain de sable, puis elle se fond dans le paysage, petit pixel de couleur parmi des milliards d’autres pixels.

- Je viens du fond de mon enfance, dit la fillette

- Moi je partais repiquer des salades et c’est pourquoi j’emportais cette belle boule de bouse, répond le scarabée

- Tu sais, je crois que tu te fatigues tellement que tu n’arriveras jamais jusqu’à ton jardin, tu mourras d’épuisement avant

- Tu crois ?

- Oui en vérité je te le dis, n’entends-tu pas ce silence assourdissant ?

- Oui, je l’entends !!!

- Que crois-tu que c’est ?

- Je ne sais pas

- Hé bien c’est le bruit d’un cimetière de scarabées-bousiers !!!

- Quoi ????

- Oui, à force de pousser vos bouses plus grosses que vous, vous n’avez sous les yeux qu’un grand écran couleur sirop d’érable et vous ne voyez ni où vous allez, ni vos frères qui agonisent sur leur chemin de douleurs

- Je n’arrive pas à croire ce que tu dis là, tu veux dire que trop préoccupé de ma bouse, je n’ai pas vu les miens souffrir et mourir ? Je … je me sens mal tout d’un coup !!!!

- Tiens, prends un p’tit Lu, ça te r’mettra d’aplomb

- Merci, j’adore ça. Mais comment sais-tu tout cela, toi ? Tu es un psychiatre, un entomologiste ?

- Non, je t’ai regardé vivre, c’est tout

- Mais c’est quoi ce halo diaphane autour de toi ?

- C’est de la brume : en fait j’ai une surjeteuse, et avec cette machine, je confectionne des linceuls de brumes pour les scarabées qui meurent d’épuisement, veux-tu que je t’en couse un ou préfères-tu arrêter de porter ta boule et vivre enfin ?

- Tu crois que je pourrais faire pousser mes salades sans ma boule de bouse et … vivre vraiment ?

- Oui, vois-tu, tout ce temps et cette énergie que tu passes avec ta bouse, tu pourrais les utiliser à être heureux et tu sais, les jardiniers heureux donnent des soins pleins d’amour à leur jardin et tout y pousse et s’y épanouit à merveille.

- Crois-tu vraiment ?

- Oui, et tu pourrais expliquer cela à tous tes frères-scarabées !!!

- Ce serait un sacré changement, une vraie révolution !!!

- Oui c’est sûr !!!

- Mais toi alors, que deviendrais-tu, tu ne pourrais plus coudre de linceuls de brumes pour nous ?

- Si, mais juste quand vous serez morts de vieillesse …. Et le reste du temps, je pourrais vous coudre des tuniques en voiles de nuages, des couvertures en rayons de soleil et des capes en flocons de neige

Le dialogue continua ainsi pendant des heures. Pour la première fois de sa vie, le scarabée ne poussa pas sa bouse mais grimpa dessus pour s’asseoir, et il découvrit le monde environnant, le lever et le coucher du soleil, tant de beauté qu’il n’avait jamais admirés jusqu’alors. La fillette découvrit qu’en ayant aidé le scarabée et ses frères, en ayant longuement parlé avec lui, avec eux, elle s’était peu à peu décentrée de sa propre boule de souffrance et avait commencé à vivre, elle aussi.

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