Pour une Cigarette

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Sorti de son bureau un peu plus tôt que d’habitude, il n’avait pas eu plus pressé que de rejoindre ses amis dans un pub, dans les quartiers animés qu’il aimait. La soirée avait débuté par quelques bières fraîches à la terrasse, puis ils avaient diné ensemble, s’amusant d’un rien et faisant de leur mieux pour séduire toute les jolies filles qui passaient. Entre rires et coups de cœurs éphémères, ils avaient laissé filer les heures sans s’en rendre compte. Quand vint l’heure de quitter le pub, ils décidèrent de finir la nuit dans une boîte à la mode. Les amis un peu gris finirent de s’enivrer au bar de ces lieux tapageurs, sous les lumières violentes et les rythmes accablants d’une musique qui rendait fou.

Le jeune homme, Tristan, fit une pause solitaire, un peu en retrait. L’alcool lui rendait la vie un peu étrange, un peu floue. La musique entrait en lui et bouleversait tout, dérangeait tout. La nausée lui vint presque et il profita d’un instant de lucidité pour aller prendre l’air. La nuit était bien avancée, pourtant il n’était pas encore temps de rentrer. Son appartement pouvait encore l’attendre.
Les gorilles de l’entrée le laissèrent se rafraîchir quelques minutes sur les dalles grises des grands boulevards.
Il prit une cigarette. Longue bouffée brûlante. Le calme revenait, petit à petit. Ce soir, il n’était pas d’humeur à prolonger la joyeuse folie avec ses amis. Se retournant vers l’entrée du Club, il pensa qu’il pourrait en profiter pour retourner chez lui. Quelques pas lui confirmèrent son projet. Il enverrait un message à ses amis un peu plus tard. Le froid de la nuit le faisait frissonner et il aimait cette sensation d’inconfort, le pressant d’aller se reposer sous la chaleur bienveillante de ses couvertures.

Quand après avoir jeté son mégot dans le caniveau d’une pichenette qu’il voulait élégante, il tomba nez à nez avec elle.
Belle, brune, grands yeux verts, traits réguliers, bouche fine. Fine et sophistiquée, elle leva un peu les yeux pour accrocher son regard. Elle semblait perdue. Blessée, peut-être. Elle n’exprimait que de la détresse, au moins un profond désarroi. Surpris, il la considéra un court instant, près de s’excuser de l’avoir bousculée mais elle lui sourit doucement.

Et son visage s’éclaira soudain. Tout son être changea à ce simple sourire. Une lumière quasi-divine entourait ce visage inconnu d’une aura mystérieuse. Ce sourire un peu naïf, enfantin, se planta en lui comme un couteau se ficherait au centre d’une cible qu’on penserait pourtant impossible à atteindre. Elle avait un visage d’ange. C’était un ange.

Aurore.

Elle lui demanda du feu d’un geste silencieux, une cigarette fichée entre ses doigts fins. Elle se pencha un peu entre les mains jointes du jeune homme et la cigarette s’embrasa dans un grésillement à peine audible. La flamme jaune éclaira le visage de l’ange. Ses longs cils dissimulaient son regard. Pourtant il venait de s’y noyer. Le monde venait de disparaître. Il ne restait plus qu’elle devant lui. Tétanisé sans seulement le comprendre, il resta quelques longues secondes mains jointes, oublieux de la flamme du briquet qui lui brula les paumes. Il était sidéré par sa beauté.
Amusée, elle lui prit doucement les mains et le ramena à la réalité. Il entendit enfin sa voix. Claire, douce. Au diapason. Quelques mots simples et anodins qu’il ne retint pas. Seules les notes le frappèrent, comme une virtuose appuierait sur les touches d’un piano.
Elle frissonna. Trop légèrement vêtue, elle expliqua qu’elle prenait un peu l’air, elle aussi. Ce dernier petit mot éveilla l’attention du trentenaire… La conversation s’engagea quand il lui proposa son manteau. Elle accepta en souriant. Puis ils se racontèrent l’un à l’autre.

Elle était rédactrice en chef d’un grand journal parisien, vivait seule dans un appartement dans le 14ème, près du parc Montsouris. Il était programmeur dans une boîte informatique, célibataire aussi, propriétaire d’un modeste deux-pièces-cuisine dans le 11ème. La Seine les séparait. Un monde aussi. Elle ne pouvait cacher l’aisance de sa vie. Lui, il exposait avec fierté la modicité de la sienne, le regard brillant, hérité de ses parents militants et peu fortunés. Elle fit quelques pas pour s’éloigner de la boîte de nuit, l’invitant sans le dire à faire un bout de chemin avec elle. Déjà docile et soumis, il l’accompagna le long des quais.

Discussion sereine et souriante, complicité naissante et inattendue.
Tristan était déjà amoureux sans savoir pourquoi. Aurore avançait de son pas léger et discret. Sans le comprendre, il se retrouva dans ses bras, les lèvres collées aux siennes. Il sentait son corps fragile plaqué contre lui, sur la pointe des pieds… Un taxi les déposa rue Cassini. Chez elle.

La nuit n’était pas finie.

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