Sans verbe.

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L'idée très simple, lettres et mots sans fonction de COD, ni de COI, et encore moins d'Attribut du Sujet (cas du Nominatif en Latin, toujours en mémoire, impératif), pfiou, apparition lorsque cent tasses dans mon esprit milliers de jeux de mots, jeux de sens, jeux de langage. Clin d'oeil à notre ami Wittgentsein ainsi qu'à son balai, très utile dans bien des cas. Présent de la langue, habituellement : les verbes et les participes. Capitaux. Problème pourtant : le vouvoiement. Personne inconnue : tutoiement, vouvoiement ? La différence d'âge, de statut pour petite aide. Très légère face à notre sentiment de total désarroi parfois. Alors formes impersonnelles. « Un peu d'eau ? », « Oui, merci », et plusieurs autres, au bon gré de l'inspiration. Inspiration, chère inspiration ! Quelle muse, quel mystère ! Quel charme. L'inspiration, difficile conquête.

Récit sans verbes, amour sans actes ? Absence de verbes, absence de sentiments ? Une histoire d'amour tout de même. Différente, voilà tout. Pas le même angle d'attaque, un point de vue différent, au fil des ans, des mois ou d'une plus courte durée, selon la profondeur de son attraction pour l'autre. Objectif de l'oeuvre : aucun. Courte pour une abréviation, une culmination, une saturation de nos horizons à propos du réel dixit Ricoeur, fuite de la citation exacte au milieu de tant d'autres choses, diversification de la pensée, donc tri, donc oublis. Malheureusement. Parfois, souvenirs en jachère, parfois d'une clarté absolue, trouble des mots, des sens. Et puis, à la fin, dernière extrémité, hommes inégaux devant elle, maladie incurable : Alzheimer. Ou la mort. Alzheimer, ou la mort de l'esprit. Bref, pas en soi quelque chose de l'ordre du ravissement. Enfin, la vie. La vie, la mort, indissociable.

Le début.

Une tasse de café, loin du champ de vision, le pot de café, pas très loin, donc plus près, plus exactement à portée de main. Le matin, réveil difficile, la sonnerie implacable, grognements du voisinage.

«

Pardon, pas possible cette machine !

Pfff, toujours pareil, toujours un mea culpa ridicule. Simple programmation, surtout pour quelqu'un comme vous !

Certes. Néanmoins, avant tout manuel, non intellectuel.

Encore des conneries ! L'intellect et le manuel : inséparable. Comme la vie et la mort. Le bénéfice de la lecture cher ami !

Bien, pardon. La prochaine fois,...

Pas de prochaine fois. Plus de réveil. Besoin de repos, nous les vieux.

Besoin de travail, nous les jeunes.

Pure rhétorique, pas bon du tout.

Au revoir », d'un ton sec.

Pas compliqué alors, juste de l'attention, du soin pour un dialogue, une introduction sans verbe. Pas un seul. Magie de la langue, oublieuse du verbe, pourtant toujours compréhensible, claire et fluide. Comme un amour, ou comme une vie sans amour. Le plus compliqué, le chemin le plus tortueux, une jolie page. Inédit. Pas non plus de participe présent, parfois des passé-adjectifs, pleine maîtrise de chacun des termes, de chacune des syntaxes. Résultat ? Langue un peu soutenue par endroit, par d'autres complètement relâchée, et surtout une observation pour le lecteur, à la recherche du moindre verbe. De la moindre erreur de l'auteur, auteur avant tout homme. Et l'auteur, derrière son écran, les doigts hésitants, le cerveau en ébullition, attentif, éveillé, stimulé. Un défi, pas le plus petit. Ecriture, langue, dénuée de sa chair, de son corps, de son cœur, de son noyau, écriture dénuée de verbe. Comment ? Mystère. Etonnement de l'auteur, découverte de ce pouvoir des mots, de cette absence des verbes, bien moins forts que les adjectifs, que les noms, que toute cette armée, autrefois simple cour, simple complément du noyau verbal. Maintenant, les verbes, aux oubliettes. Place à la richesse du vocabulaire, de la syntaxe, de la grammaire française. Place au défi, place à l'irréel, l'impensable.

Le travail du jeune homme, emmerdeur avec son réveil. Pénible, harassant, dans une usine de moto. Des pièces détachées par milliers, son décor, avec l'huile de moteur, le cambouis, la crasse. Pas d'autre choix pour Paul, sans diplôme, sans famille, sans argent. Vie dure, épuisante, sans presque aucune jolie fille pour camarade. Le soir, la pension, les vieux, les brailleurs, le chien, la concierge. Somme toute, loin des rêves de folie, loin d'une vie parisienne pleine de mondanités, une vie triste, morne. Paul, toujours les traits tirés, son moteur à lui, la réussite. L'usine depuis déjà deux ans, désormais âgé de dix-huit ans. Illusion quant à son avenir, rêves grandioses, grands châteaux, mais surtout, des vacances. Des vacances. Les pieds dans l'eau, dans des bottes de ski, sur le sable chaud, sur une douce pelouse chaude du soleil. Juste ça, des vacances, à lui, pourquoi pas en bonne compagnie, pourquoi pas avec cette fille, compagne de bus, le matin et le soir. Paul, l'amoureux sans frein, mais trop timide. Trop timide parce que mal dans sa peau, parce que ouvrier. Elle, belle, terriblement belle, dans sa robe à roses rouges, en corolle. Et son sourire ! Son sourire ! Inimitable, tendre, doux, délicat. Et son corps ! Si sensuel. Quant à son minois, irrésistible, seul mot à sa hauteur. Chaque matin, Paul, devant elle, paralysé. Oh, quel manque de courage ! Depuis des mois, et rien, jamais rien, à peine un regard, à la dérobée, rouge et confus. Rouge et confus, voilà le portrait de Paul face à celle du bus, pitoyable. Elle, dansante et virevoltante. Son rayon de soleil, sa bouffée d'air frais avant l'usine et l'air crasseux, vicié. Sa seule motivation, avec les vacances. En vacances, pas de question quant aux filles, comme la pluie. Elle ou les vacances ? Alors les vacances. L'amour, mais pas à ce point, vacances synonyme de repos, de sorties, donc de filles. Le soir, dodo sur une paillasse, à même le sol, rêves de filles, visibles le matin. Journée, routine. Déjeuner, maigre, de la soupe froide, à la tomate, au potiron, aux légumes du potager infructueux de la pension. Ecoeurant, mais nécessaire. Bout de pain rassis, un seul, attention au gaspillage.

Le vieux, râleur, retraité, épuisé par la vie.

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