La chambre d'hôte

5 minutes de lecture

Me v'là dans d'beaux draps moi ! Dans tous les sens du terme !

Je m'appelle Appauline (oui, avec "au", allez savoir pourquoi !), et je me suis lancée un défi un peu fou-fou. Faire le tour d'Ecosse à vélo. Oui, enfin, je vous vois venir ! "Une fille seule qui part faire du vélo dans un pays où il pleut tout le temps..." C'est en tous cas ce que mon entourage n'a cessé de me répéter. Mais je me suis bien renseignée sur Internet avant de partir : ils disaient que c'était au mois de mai qu'il y avait le moins de précipitations ; c'est donc la période que j'ai choisie pour mon périple... Tu parles ! C'est un vrai déluge, là, dehors !

Dans mon malheur, j'ai eu de la chance : après seulement quelques minutes, je suis tombée sur un panneau à l'entrée d'une longue allée. "Bed & Breakfast". Au bout de l'allée, un grand manoir. Je me suis bien dit que ça devait coûter une blinde, une chambre dans un endroit comme celui-ci, mais bon. Pas vraiment le choix. J'ai été reçue par une vieille dame. Un peu flippante avec son teint blafard, ses yeux noirs exorbités et sa large bouche tordue qui lui barrait le visage, mais néanmoins aimable et accueillante. Elle m'a donc conduite dans cette chambre aux beaux draps, imprimés de fleurs délavées, et galonnés de dentelles.

La chambre était assez grande, mais les imposants meubles qui y étaient disposés y prenaient toute la place. Un espace était réservé au lit, avec ses fameux draps donc, et deux tables de chevet supportant de lourdes lampes avec abat-jours, pampilles, et tout ce qu'il s'en suit. Un autre espace était destiné à la lecture, avec une haute bibliothèque, deux vieux fauteuils crapaud cramoisis au velours abîmé, une petite table en marbre rose, et une énorme et hideuse horloge comtoise dont le pendule représentait une grossière tête de chat. Enfin, une coiffeuse avec un grand miroir oxydé se trouvait près de la grande fenêtre qui donnait sur le parc inondé.

Une espèce de papier peint rosâtre à motifs baroques recouvrait tous les murs de pièce, ainsi que la porte, assombrissant encore plus cet endroit déjà lugubre. Des napperons en dentelle blanche jaunie étaient disposés sur chacun des meubles, protégeant le bois verni des innombrables chandeliers et bibelots disséminés dans la pièce. Le parquet grinçait à chaque pas, m'arrachant sursauts et haut-le-cœur à tout-va. D'ailleurs, l'épaisseur des murs me laissait entendre les grincements de parquet provenant d'à peu près tout le manoir, d'après mes estimations. Une odeur âcre régnait dans la pièce. Mais tout cela, ce n'était rien à côté de l'effrayante collection de poupées de porcelaine suspendues aux murs. Certaines avaient été cassées, puis recollées, laissant apparaître diverses cicatrices et autres balafres sur leurs visages poupons. Cette atmosphère me donnait froid dans le dos. En réalité, dans ma chance, j'ai eu un certain malheur pour le coup !

Enfin, au moins, maintenant, je suis au sec. Tout de même fatiguée par mon humide journée de pédalage et la petite saucée que je me suis prise avant d'arriver dans cette merveilleuse chambre, je décide de me mettre au lit. J'ouvre mon sac, sort ma batterie de secours pour y brancher mon téléphone (et oui, pas de prise à proximité), ainsi que quelques gâteaux roulés à la crème, bien au sec dans leurs emballages plastiques. Oui, c'est écœurant, mais, au moins, ça tient bien à l'estomac ! Je sais bien que la dame m'a précisé qu'il était interdit de manger, de boire, de fumer, et de faire tout un tas d'autres choses dans la chambre. Mais je ferai attention et, au cas où, je nettoierai le lendemain au moment de partir... En espérant que le déluge ait cessé d'ici là. En attendant, la pluie martèle toujours la fenêtre avec frénésie.

Soudain, la foudre déchire le ciel et frappe le sol avec fracas. Le grondement du tonnerre fait trembler tout le manoir (et moi avec). La lumière s'éteint. Apparemment, les plombs ont sauté. Oula. J'ai vraiment eu peur, là ! Mon cœur bat à cent à l'heure (ou à la seconde, plutôt). J'essaie de me calmer. C'était juste la foudre, et c'est juste une panne de courant. Je sors du lit pour regarder par la fenêtre. Le ciel nuageux clignote, parcouru par de nombreux orages. Je reste un instant à observer le spectacle de sons et lumières, puis décide de retourner dans mes beaux draps. Mais mon souffle s'arrête, et j'étouffe un cri.

Je viens de voir un reflet, dans le miroir. Comme un visage, décharné et pâle. Comment est-ce possible ? La chambre est plongée dans le noir. J'entends le parquet grincer. On ne dirait pas que ça vient d'une autre pièce... Mon cœur accélère encore. Mon corps se crispe tout entier. Je retiens ma respiration. Les yeux grands ouverts, je parcours du regard, immobile, l'obscurité de la pièce. Le bruit régulier du pendule et l'éclat de la tête de chat qui se balance de gauche à droite font monter mon angoisse. Dans mon état de stress, j'ai l'impression que le tic-tac et le mouvement s'accélèrent.

Un autre grincement de parquet.

D'un bond, je saute dans le lit et me cache sous les draps. Protection très utile en cas de... de rayons UV seulement en fait. Mais qu'est-ce que je fais là ? Je devrais sortir. Appeler à l'aide. Mon souffle est rapide et saccadé. Je sens mes mains trembler. Je n'ose même pas esquisser le moindre mouvement. Pas même pour attraper mon téléphone. Pourtant, sa lampe torche pourrait m'être utile. Je glisse ma main sur le matelas, cherchant à tâtons. Tic-tac, tic-tac. Voilà que j'ai encore l'impression que ce pendule accélère. Mais bon sang ! Où est ce téléphone ? Ah ! Ca y est. Je l'ai trouvé. Maintenant, le but est d'allumer la lampe torche avec une main qui tremble, pendant que l'autre tient fermement les couvertures au-dessus de moi.

Mais attends ! Si j'allume la lumière, on va me voir à travers les couvertures ! Non, arrête Appauline, ça suffit. Depuis tout à l'heure, ce n'est que ton imagination. Tic-tac, tic-tac. Allez. Trois, deux, un... D'un seul geste, j'allume la torche de mon smartphone et sort de ma cachette. Je n'aurais pas dû... Car ce qui se trouve juste là, devant moi, vient de m'arracher le plus glaçant des hurlements qu'il m'ait jamais été donné de pousser.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 14 versions.

Vous aimez lire Milya ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0