Chapitre 6

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Adrien déambulait lentement, les mains dans les poches et le regard teinté de tristesse. Il laissait ses pas le guider, âme en peine qui errait sans fin, sans but. Les yeux rivés vers le sol, il ne vit pas s’approcher à grands pas énergétiques un vieil homme qui agitait sa canne. Ce dernier le heurta de plein fouet et lâcha son bâton.

— Je suis vraiment désolé, s’excusa aussitôt Adrien. Je ne regardais pas devant.

— Maxîîîîîme aime une boîte de conserve ! Vous vous rende compte ?! le coupa le vieillard. Et en plus, il la trouve plus belle que Ginette ! VOUS VOUS RENDEZ COMPTE ?!

Adrien fit un écart pour échapper à la poigne du vieil homme qui avait ramassé sa canne et l’agitait comme s’il s’agissait d’un sabre.

— Excusez-moi monsieur, mais je suis pressé, se déroba-t-il en s’apprêtant à s’éloigner.

Le jeune artiste n’avait clairement pas envie d’écouter les vociférations d’un pauvre homme, il avait lui-même bien assez de soucis.

— Pressé pour quoi, espèce de sardines au poireau ?! Ce qui compte, c’est l’instant présent ! Et je suis en train de vous expliquer que tout ceci est un scandale, une mascarade, une illusion, une ARNAQUE !

L’homme attrapa vivement le bras d’Adrien et le secoua comme un prunier.

— Une arnaque je vous dis ! Comprenez-vous ?

La victime de ces cris sans queue ni tête serra les dents et dégagea son bras. Il fut pris d’une vive quinte de toux et un vertige l’obligea à s’appuyer contre un arbre à proximité.

— Ce n’est pas une nouveauté que la vie est une arnaque, murmura-t-il. Ne me secouez pas comme ça, vous me faites mal.

— Et Ginette, dans tout ça ?!

— Je me fiche de votre Ginette, laissez-moi tranquille ! s’écria le jeune homme en tentant tant bien que mal de réduire la douleur qui irradiait dans tout son corps et qui baignait ses joues de larmes.

— VOUS VOUS FICHEZ DE MA GINETTE ?! Petite sardine au poireau insolente ! Je vous parle actuellement d’un problème irrémédiable !

— Vous ne savez pas ce que c’est un problème irrémédiable. Vous au moins, vous n’êtes pas seul… Moi si, sanglota silencieusement Adrien.

Le vieil homme reposa sa canne et plongea son regard dans celui du jeune homme. Lentement, il porta sa main à son cœur.

— Ginette, elle est là. La vie n’a aucun sens si on n’a personne à aimer.

Un couteau transperça le cœur d’Adrien. Dans ce cas, pourquoi était-il encore en vie ? Que faisait-il encore là ?

— Au revoir, dit-il dans un souffle en se relevant et en commençant à s‘éloigner.

— Attendez, donnez-moi au moins votre avis ! C’est révoltant n’est-ce pas ?!

— Oui, sûrement ! s’écria l’artiste en s’enfuyant.

Ce dernier toussota sa réponse et mit un temps à retrouver une respiration calme. Il pressa le pas en ignorant la souffrance qui le fragilisait et provoquait des tremblements dans tout son corps. Il souhaitait s’éloigner le plus rapidement de ce vieil homme qui était assurément fou. Le jeune homme sentit ses muscles le lâcher et il eut à peine le temps de s’assoir dans l’herbe qui bordait le trottoir avant de s’écrouler. Les larmes inondèrent ses joues sans qu’il ne puisse les retenir.

La tristesse était devenue son quotidien, le bonheur un lointain idéal. Il souriait pour se créer un masque rempli de joie, une éternelle façade de mensonges. Il avait cru combler sa solitude et son désespoir avec Alexis, mais il ne s’agissait que d’une illusion en plus. Son ami n’avait pas trompé le vide qui régnait en son cœur. Adrien était toujours aussi seul et malheureux.

Secoué par des frissons, le corps frêle du jeune homme ne semblait plus pouvoir le soutenir. Malgré tout, l’artiste banda ses muscles et se releva avec peine. Son souffle saccadé se régularisa de lui-même lorsqu’il s’avança lentement sur le bitume. Il marchait sans but, titubait par moments, les yeux perdus dans le vague et les mains tremblantes. Que lui restait-il désormais ? Où étaient donc passées les couleurs qui égaillaient sa vie ?

Sans même s’en apercevoir, Adrien quitta la ville. Ses pas le guidèrent hors de cette immensité lumineuse et bruyante, loin de cette masse grouillante de monde. Il longeait la route où circulaient quelques voitures aux phrase déjà allumés : la nuit commençait à tomber. Le froid s’abattit progressivement sur les environs rurales. Le ciel s’était coloré d’un camaïeu écarlate.

La colline que venait de gravir le jeune homme surplombait l’horizon et donnait ainsi une vue imprenable sur la ville qui s’étalait à ses pieds. Mais cela avait-il la moindre importance ? Un paysage, aussi magnifique soit-il, ne lui rendrait jamais sa joie de vivre.

Adrien se laissa glisser au sol, sur l’herbe fraîche où s’étaient déposées quelques gouttes de rosée. Le vent balayait de sa puissante morsure les plaines environnantes, tandis que la luminosité ne cessait de baisser. Quelques étoiles firent leur apparition dans la voûte céleste, pâles éclats d’un rêve, d’un idéal inaccessible.

Le jeune homme fixait la ligne d’horizon dans l’espoir de disparaître une fois toute lumière éteinte. Un craquement retentit derrière lui, suivit de près par un aboiement. Ou tout du moins, c’est ce qu’il crut entendre, car lorsqu’il se retourna, il ne vit aucun chien, ni même aucune trace de vie quelconque.

Il se saisit d’une plaquette de médicaments distraitement. Soigner sa maladie était un calvaire qu’il subissait depuis sa plus tendre enfance. Examen médical sur examen. Cachets sur cachets. Regards remplis de pitié et faux-sourire. « Tout ira bien », « il va te falloir être courageux ». Il les détestait tous. Ceux qui l’avait mis au monde, ceux qui lui avait trouvé cette maladie, ceux qui l’avait forcé à ingurgiter tous ces anti-douleurs. Oui, il les haïssait tous. Mais plus encore, c’était lui qu’il haïssait.

Il ne suffisait pas de grand-chose après tout… Il n’avait pas à supporter cette vie alors qu’il souffrait tant. Adrien laissa tomber tous les antibiotiques qu’il possédait dans le creux de sa paume. Un bref éclair de lucidité lui rappela Alexis qu’il allait abandonner, mais sa douleur était devenue trop forte, trop puissant pour qu’il espère pouvoir la vaincre un jour.

Il ferma les yeux sur la beauté du monde et avala tous les médicaments d’un seul trait. Au moment de les avaler, une larme s’échappa de la barrière close de ses paupières. Rescapée de son désespoir. Rêve interdit d’un jour meilleur.

Inatteignable.

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