Bleu adieu

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Les fins courants d’hélium batifolaient dans la plaine, soulevant dans leur sillage cascatelles de sable bleu et éclats chamarrés de lazurite. De la voûte céleste clairsemée, une étoile à neutron lointaine baignait le paysage de ses rayons outremer. Ici, les arbres minéraux éperonnaient la gangue cristalline ; là, les branches de coraux émergés chantaient aux caprices d’un air dense ; irrespirable.

Oulak ne percevait pas leur mélodie ; seules les alertes d’urgence de son scaphandre stridulaient à ses oreilles.

— Je vais crever, ici, sur cette planète inconnue, dans ces plaines éternelles, de splendeur et de mort.

Le désespoir inspirait son âme de poète, mais ne remplissait pas sa jauge d’oxygène. Combien de temps pouvait-elle sonner avant le glas ? Il n’avait pas retenu ce genre d’information de l’entraînement. Aucun major ne les avait mis en garde contre un atterrissage forcé sur une zone inhabitée ; stérile. Aucun soldat n’était revenu vivant pour leur raconter.

*

— Trois places restantes ! C’est le moment de vous sortir les doigts de votre trou nauséabond ! De montrer à l’Imperium que vous valez mieux que de casser des cailloux dans ce pénitencier ! Commuez votre peine en service pour le second régiment et devenez des héros en repoussant l’invasion exo !

La harangue du rabatteur militaro-évangéliste n’avait pas laissé Oulak insensible. Une chance, rien qu’une maigre chance de retrouver Ari, son fils. C’était tout ce qu’il lui fallait. Où est-ce qu’on signe ? Deux cycles plus tard, le voilà embarqué sur un destroyer de l’avant-poste de la dernière frontière.

Après un entraînement sommaire, on le propulsa au travers des lames lasers des exos, champ de bataille titanesque à la gloire de la transhumanité. Son estafette foudroyante fonçait, fendait les lignes ennemies ; vaisseau kamikaze, tombeau sacrificiel pour une cause qui le dépassait.

Il ne reverrait pas Ari.

Charges à quinze bombes A vissées sur la coque, détonateur enclenché, Oulak fusait entre les faisceaux des sentinelles exos. Leurs tentacules de lumières striaient la trame noire de mille foudres cosmiques.

Soudain, une déflagration. Engloba l’espace, le temps, avala la matière, les atomes sur son passage. S’éteignit au seuil de sa ridicule carapace de métal.

Il voulait revoir Ari. Une chance, rien qu’une maigre chance…

Oulak décrocha, actionna le module d’éjection et chut dans le vide infini. Son estafette de mort alla s’échouer sur les remparts ennemis. L’explosion le souffla jusqu’à la planète bleue.

*

Alerte. Niveau d’oxygène critique.

La voix automatique narguait nonchalamment l’homme qui se savait déjà perdu. Un cri muet s’échappa de sa bouche au pas suivant. Le crash avait brisé sa jambe et les antidouleurs bienfaiteurs administrés par la combinaison n’officiaient plus. Oulak se sentait prêt. Prêt à en finir, prêt à agonir dans ce monde céruléen somptueux.

— Je vais crever ici.

Une lumière auréola sa vue périclitante. Quelque chose atterrissait, au loin. Les siens ? Enfin ! L’espoir affleurait dans son esprit, gorgeait ses muscles d’une nouvelle ivresse. Le sol cristal se fissurait à chaque boitillement et les cailloux perlés d’azur roulaient sous ses gants.

Tant qu’il arrivait…

*

— Joyeux anniversaire Bonhomme !

La bouille gênée tourna à peine les yeux vers le réticule. Sous les boucles châtaines, sa moue mimait son désir d’esquive. Ses réponses silences cherchaient à couper court à l’holo-communication. Derrière lui, les clameurs d’une fête ensoleillée l’appelaient à de meilleures activités. Mais Oulak ne se débina pas.

— Je t’ai trouvé un super cadeau sur XB-42. Tu joues toujours au leviball, hein ? Alors, tu vas adorer. Je t’ai envoyé ça par coursier express, je pensais que ça arriverait avant le jour J, mais avec les aléas des conduits luminiques, c’est toujours compliqué… Enfin, tu l’auras avant que je revienne ! Même si j’aurais préféré être là pour te le donner.

Son débit de parole fusant, Oulak se noyait dans le bourbier d’une relation brisée, enterrée depuis longtemps. Les antiques mails qu’ils échangeaient ne suffisaient pas à maintenir le ciment. Huit ans. Ari fêtait ses huit ans… Il commençait tout juste à parler lorsqu’il l’avait quitté. Comme il rêverait d’entendre à nouveau le son de sa voix.

Le bonhomme entrouvrit ses lèvres. Le cœur d’Oulak se figea dans l’attente du prodige.

— Pourquoi tu nous as abandonnés, Papa ?

« Parce que je n’avais pas le choix ! Ta mère, l’Imperium, les murs sidérites de ma prison creusée sur ce caillou de l’espace ne m’ont pas laissé le choix ! Mais je n’ai jamais voulu t’abandonner. Je t’aime, Bonhomme ! Tu le sais que je t’aime, n’est-ce pas ? »

N’est-ce pas ?

Les mots qu’il aurait voulu dire moururent avant d’être prononcés. Son ex-femme avait coupé la communication.

*

Alerte. Réserves d’oxygène épuisées.

Ses vaisseaux sanguins explosaient en voile rouge sur sa vision des plaines saphir.

La lumière, la lumière était si proche.

Une force puisée de ressources inconnues tractait sa carcasse. Ses gesticulations de désespoir se frayaient un chemin à travers le champ cristallin. Brisaient fragments et poussières azurées comme les strates de sa conscience. Ses poumons brûlaient d’aspirer du vide.

La lumière, la lumière était si loin.

— … Vais… crever…

Le bleu obnubilait sa vue, luttant avec le rouge, le noir, le blanc dans un affrontement de flashs erratiques. Même le chaos mourrait en lui. Raison déclinait pendant que son esprit marivaudait avec la folie. Les délires fantasmés d’une vie de gâchis. Si seulement il avait pu dire à Ari combien il l’aimait.

— Papa, papa ! Lève-toi !

Oulak rouvrit un œil perdu sur les plaines immuables. Bleues inchangées. Si ce n’est la silhouette d’Ari qui se découpait nette dans le halo.

— Qu’est-ce que tu fais là, Bonhomme ? voulut-il dire.

— Tu viens jouer avec moi ?

Ari arracha un polype lazurite et siffla avec entrain dans l’instrument improvisé. Un éclat de rire transperça le silence de mort. Oulak ne sentit pas son corps se relever ; il voguait seulement derrière la silhouette de son bonhomme, jusqu’aux tentacules de lumière aimantes de l’exo.

Heureux, si heureux…

Le sourire de pardon d’Ari lui promettait un non-avenir radieux.

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