XIII

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La berline Mercedes sautillait au rythme des trous et des ornières qui parsemaient le chemin forestier. Francis faisait son possible pour les éviter mais les nombreux branchages tombés au sol lors de l’orage de la veille en masquaient la plupart.

« Tu es sûr que c’est le bon chemin ?, lui demanda Solange, pour la énième fois.

– Je te dis que oui, répondit-il, incertain. Il m’a dit de tourner dans le chemin après le virage en épingle et de rouler pendant six kilomètres. J’ai fait ce qu’il m’a dit.

– Mais ça fait déjà un quart d’heure qu’on roule.

– Tiens, regarde ! C’est là ! », conclut-il, soulagé.

Une énorme bâtisse leur fit face au milieu d’un grand pré en friche. La même que sur les photographies. Francis continua d’avancer et aperçut un jeune homme qui sortait de la maison et venait à leur rencontre.

« Tiens, c’est lui. », glissa sa femme.

Le jeune homme leur intima par de grands gestes de se garer devant la maison, à côté d’une camionnette flanquée du nom et du slogan d’une compagnie de location de véhicules. Francis se gara, éteint le moteur et ils descendirent, au rythme d’un couple de soixante ans passés, dans le grincement des portières et des corps vieillis.

« Bonjour !, lança Francis, à l’attention du jeune homme qui s’approchait.

– Bonjour Monsieur, bonjour Madame, répondit-il avec un large sourire. Bienvenue !

– Merci, mais je vous en prie, appelez-moi Francis, et voici ma femme Solange.

– Enchanté Francis, moi c’est Romain. Vous avez trouvé facilement ?

– Oh oui, c’était bien indiqué.

– Eh bien parfait. Voici donc la maison, s’exclama Romain en écartant les bras en direction de la façade.

– Elle est superbe !, s’exclama la vieille dame. La même que sur les photographies. Sauf l’arbre là. C’est l’orage qui a fait ça ?, ajouta-t-elle en montrant l’énorme branche tombée au sol.

– Eh oui, malheureusement, le hêtre a pris la foudre hier. Heureusement il s’en remettra. » Puis, rallumant son visage : « Je suis sûr que vous voulez visiter l’intérieur !

– Et comment ! », confirmèrent-ils.

Ils pénétrèrent ainsi tous trois par une petite porte d’entrée qui donnait sur une vaste pièce commune très propre et densément meublée.

La visite fut longue et ponctuée des exclamations du couple d’acheteurs, toujours plus excité par le cachet de la maison, par ce mélange de pierre et de bois, cette grande bibliothèque et le nombre de pièces.

« On veut faire un gîte pour les randonneurs et les vacanciers, indiqua Solange après la visite des deux premiers niveaux, visiblement emballée par ses projets d’avenir.

– C’est une bonne idée, répondit leur hôte. La maison dispose de huit vastes chambres et d’un gros poêle propice aux veillées hivernales.

– Et donc, comme vous le mettiez dans l’annonce, les meubles sont vendus avec la maison, c’est ça ?, demanda Francis.

– Oui, tout à fait, j’ai chargé ce week-end dans le camion ce que j’emportais. Tout ce que vous voyez ici appartient à la maison.

– Vous avez tout chargé tout seul ?, admira Solange.

– On n’est jamais tout seul ici. », répondit-il en souriant.

Ils ne comprirent pas tout à fait ce que cela signifiait mais lui rendirent poliment son sourire, et le suivirent au deuxième étage.

Ils firent le tour de chaque pièce et convinrent que ce niveau allait demander quelques travaux de rénovation avant de songer à accueillir des visiteurs. Francis et Solange voulurent savoir pourquoi seule une chambre était propre et occupée mais Romain ne savait pas vraiment, cela avait été la maison de ses parents ; lui vivait à La Rochelle.

De retour dans le couloir, pendant que les hommes devisaient de sujets d’hommes – de peu d’intérêt donc –, Solange examina les tableaux accrochés au mur, tout du long. La plupart représentaient des gens et d’autres des groupes de gens très peu vêtus.

« Vous les laissez aussi ?, demanda-t-elle à Romain, en balayant le bras.

– Oui, aussi. Plus encore que les meubles, les tableaux appartiennent à la maison.

– Eh bien ma foi, je ne sais pas toi Solange, mais j’aime beaucoup cet endroit et je suis prêt à signer aujourd’hui !, lança Francis, alors qu’ils s’apprêtaient à redescendre après deux bonnes heures de visite.

– J’ai le coup de foudre aussi !, jubila-t-elle en réponse.

– Je suis content de l’entendre, ajouta Romain, toujours affable. Nous redescendons ?

– C’est vous le patron ! », exulta Francis.

Les deux hommes passèrent le palier et s’engagèrent dans l’escalier. Solange piétina dans leur direction, achevant de passer doucement en revue les peintures. Elle n’avait jamais rien compris à l’art mais elle savait reconnaître les jolis dessins. Et à de rares occasions même, il lui était arrivé qu’un tableau lui procurât un sentiment, un état de fascination, aussi léger que passager, et elle avait aimé la sensation d’être face à quelque chose qui la dépassait complètement, quelque chose de délicieusement magique, d’irréel. Mais rien de tout cela parmi les œuvres qui composaient cette galerie désordonnée de visages.

« Tu viens, Solange ?, cria Francis, deux étages plus bas.

– J’arrive ! », répondit-elle, en tournant les talons en direction de la volée de marches, rendant le couloir à un silence morne.

Il est dommage que la vieille femme n’ait pas su admirer comme il se doit les représentations picturales qui étaient offertes à sa sensibilité. Beaucoup auraient pu être des chefs-d’œuvre de leur temps. Elle aurait ainsi notamment pu apprécier le portrait rutilant de cette jeune femme rousse dont les yeux gris semblaient s’animer, et même briller, au gré des nuances de la lumière ambiante et des mouvements de l’observateur.

Ce traitement si soigné restituait en effet comme jamais dans son regard, la parfaite expression de la terreur.

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