Lundi (suite)
8h45 :

Les mots de Synalco résonnent encore dans l'appartement quand Gio et lui nous quittent. Nous avons finalement convenu d'attendre que je sois livrée des quatre exemplaires avant de prendre une décision. Je reste intimement convaincue que les livres ne causeront aucun problème. Avec un peu de chance, ils auront été imprimés avant que je ne désactive la mise en ligne des histoires, donc, logiquement, rien ne devrait se produire.

Angus et moi sommes complètement vidés, et apprécions de nous retrouver seuls. Il est bientôt neuf heures et il faut absolument que nous partions travailler.

- Alors, vous avez discuté Synalco et toi ? Je demande l'air de rien en me préparant pour aller au bureau.

- Oui, un peu ... j'ai appris plus sur toi en quelques minutes qu'en quinze années de vie commune.

Je le regarde, et il n'a pas l'air de vouloir en dire plus. Autant dire que ma curiosité était piquée pourtant, quelque part au fond de moi, je n'avais pas envie de savoir. J'essaie néanmoins de déchiffrer ses pensées en l'observant. Il n'a pas l'air choqué, dégoûté ou effrayé. A ce stade j'imagine qu'il est juste dépassé par les évènements et qu'il a besoin de temps pour digérer tout ce qui lui arrive.

- On en rediscute ce soir si tu veux. Me propose-t-il finalement en m'embrassant tendrement.

- D'accord. On a besoin de se changer les idées.

Je lui rends son baiser et nous partons.

En roulant je reçois un appel téléphonique et je sais que c'est Synalco.

- Allo ?

- C'est moi... Tu vas bien ?

- Je suis épuisée pour être franche, mais soulagée que Giacomo soit revenu.

- Oui, je voulais te remercier encore. Je n'y croyais plus...

- Ah mais, c'était sans compter sur mon opiniâtreté ! Quand j'ai un défi à relever, je m'accroche comme une moule à son rocher !

Il rit et je crois que c'est la première fois que je l'entends rire.

- Je voulais aussi te dire que je ne voulais pas ... enfin, tout à l'heure, j'ai été trop direct, et ... j'espère que tu ne m'en veux pas.

- Je comprends tout à fait que tu aies peur. Je ne t'en veux pas, non, je suis juste un peu anxieuse. Je n'ai pas du tout envie de voir tous nos efforts réduits à néant à cause de moi... de mes livres... Je suis tellement désolée d'avoir causé tout ça...

- Tu ne pouvais pas le savoir, mais, je voulais tout de même te demander pourquoi tu as décidé de montrer à tous les histoires que tu écris. Pourquoi maintenant ?

Je soupire en entendant sa question, et je réponds simplement :

- Parce que j'avais envie d'avancer. C'est un peu comme si j'assumais le fait d'écrire, ce côté créatif que je garde secret ... que personne ne connaît, tu comprends ?

Il ne répond pas et je sens une boule se former dans mon ventre. J'attends sa réaction, et cela prend un temps infini, alors je plaide encore ma cause :

- Et puis, c'est une bonne chose de l'avoir fait, puisque cela nous a permis de retrouver Giacomo.

Silence. Il ne dit rien et ça commence à m'inquiéter sérieusement. Je constate que j'ai toujours du réseau, donc, son silence n'est pas dû à une coupure de communication.

- Synalco tu es toujours là ? Tu m'entends ?

Rien. Je respire un bon coup, j'arrive pratiquement sur mon lieu de travail. A peine arrivée, je me connecte à ma boite mail et je consulte mes messages fébrilement, car j'en cherche un tout particulièrement et j'exulte enfin :

-Ca y est ! Le voilà ... !

La société à qui j'ai fait appel pour imprimer mes histoires m'informe que ma commande est partie samedi dernier qu'elle est en cours de livraison.

- D'accord, ... donc je devrai les recevoir demain ou mercredi.

Soudain, je vois un autre message, l'en-tête ne vient pas de la société d'imprimerie mais du transporteur. Et il semblerait que la livraison soit en cours !! Et que la date présumée c'est le 26.

- Mais le 26, ... c'est aujourd'hui !!!

La panique me gagne, il faut que je vérifie le délai de fabrication d'un livre. Je fouille parmi mes e-mails et retrouve la validation de commande du site de l'Imprimeur :

« ... délai d'impression et de fabrication trois à quatre jours, et livraison de la commande sous deux jours ouvrés. »

Je fais le calcul et me rends compte que je me suis fourvoyée ! Mon cœur s'emballe, je sens la panique monter.

- Mais alors, ça veut dire que mes histoires ont été imprimées après le blocage sur le net, et qu'il est possible qu'elles « s'échappent » de nouveau... Tout est à refaire !

Mon téléphone sonne et interrompt ma réflexion. Numéro inconnu : C'est Synalco, quel soulagement !

- Oh, Synalco, enfin ! Je suis en train de ...

- Ce n'est pas Synalco, c'est moi, Giacomo.

- Non... pas ça... Je gémis.

- Il était avec moi et puis, il s'est effacé ! Qu'est-ce qui se passe ? Pourquoi lui ? Tu avais dit que notre histoire n'avait pas été publiée !

Le ton est dur, froid, je sens littéralement sa colère me glacer peu à peu, malgré tout, j'essaie de reprendre le dessus :

- Je n'ai pas menti. Je n'ai rien diffusé non plus, je te le promets, je suis aussi stupéfaite que toi... Normalement rien en ce qui vous concerne ne figure dans les histoires, rien du tout...

Et là, je réalise d'un seul coup pourquoi Synalco a disparu et je m'en veux énormément.

- Alors si rien ne nous concerne, pourquoi ? Je n'ai pas erré tout ce temps dans les méandres de tes souvenirs pour revenir et le perdre, si toi tu m'as oublié pendant toutes ces années, moi j'ai tous mes souvenirs, avec lui...

Sa voix se brise et je l'entends renifler, il pleure.

- J'ai utilisé son nom. Je balbutie.

- Comment ça, je ne comprends pas.

- J'ai utilisé son nom comme pseudonyme pour signer mes histoires. Son nom apparait sur tous les livres !