Chapitre 2

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Vendredi (suite)

Je retiens mon souffle, il va parler, c'est certain, je me demande quel peut être le son de sa voix...

Quand j'écris, je visualise beaucoup de choses, je peux ressentir beaucoup d'émotions, cependant, je ne me suis jamais vraiment demandé comment « j'entendais » la voix de mes personnages.

- Ça va ? Je demande d'une petite voix

Il hoche doucement la tête, et semble se reprendre. Il a même l'air soulagé.

- Je savais que tu me reconnaîtrai...

Je souris, parce que je suis contente d'avoir trouvé, et parce que ça voix me plaît vraiment beaucoup. Elle est un peu grave, légèrement voilée, sans doute à cause de l'émotion, douce et surtout, bien timbrée. C'est un grand progrès au stade où nous en sommes. Je soupire de soulagement du coup.

Je profite du fait qu'il me parle pour lui poser d'autres questions. Si tout cela se passe dans ma tête et que je suis bonne pour aller en hôpital psychiatrique, je veux, autant que faire se peut, m'assurer que tout ça est bien réel ....

- Dis-moi ce que je peux faire pour toi ?

- Tu le sais déjà, aussi ...

Ah ? Je le sais ? Je réfléchis très vite. La première histoire que j'ai écrite parlait de deux garçons, Synalco et Giacomo, hermaphrodites (je sais, drôle d'idée ...). Je les ai fait grandir, mûrir, leur amitié et leur amour aussi. Leur histoire a duré longtemps, pour eux comme pour moi et j'avoue que je n'arrivais pas à me séparer d'eux. Juste, je ne sais pas trop pourquoi, un jour, j'ai fait mourir Giacomo...

Tout ceci se passe dans ma tête. Je me remémore les différentes histoires, les peines, les joies, les autres protagonistes qui les accompagnaient ... et pendant que les souvenirs défilent, on se regarde lui et moi. Il semble « entendre » ce qui se passe dans ma tête ... il peut lire mes pensées ?

- Oui, je le peux ...

Dingue !!! Je ne peux réprimer un sourire bête et je secoue la tête :

- C'est ... comment le dire ... je n'ai pas de mots...

- Je perçois ce que tu ressens et ça me suffit ...

- Tu cherches Giacomo, c'est ça ?

- Oui.

- Mais il est ...

Je n'arrive pas à dire le mot qui convient forcément ici, « mort », mais bon, je suis consciente que tout ce qui se passe depuis une bonne demi-heure maintenant est complétement surnaturel, que je ne suis plus à ça près.

- ... mort ... Je termine tout de même.

- Fais-le revenir alors.

Il me demande ça naturellement, comme si c'était aussi facile que de faire une omelette !!

- Tu peux le faire.

Il insiste en plus.

- Oui, j'insiste.

- Oh, s'il te plaît, ne le fais pas aussi ... ouvertement !

Je cache mon visage entre mes mains, c'est trop étrange, il lit en moi, plus vite que mes pensées n'arrivent.

Je le sens alors prendre mes poignets et écarter mes mains de mon visage. Il a les mains chaudes et douces. Je me laisse faire.

- J'ai confiance en toi. Tu peux le faire, parce que ... tu sais qu'il le faut.

Je le regarde avec de gros yeux. Je ne me vois pas, mais je sais que mon visage est toujours très expressif, et j'imagine très bien ma tête à cet instant précis. D'ailleurs, il sourit, encore ...

- Je ... il faut que je réécrive l'histoire alors ? ...

- C'est un bon début...

Je ne sais plus si je pense ou si je dis les choses car il vient de répondre à haute voix.

- Est-ce que tu entends tout ? Est-ce que tu peux tout lire ... dans ma tête ... je veux dire ...

- Oui, mais seulement en ce moment, sinon, je ne le fais pas. Je vais arrêter, ça te gêne je le vois bien.

Il accentue cette dernière phrase en opinant du chef.

- Merci. Préviens-moi quand tu repasses en mode « lecture intérieure » ok ?

- D'accord.

Bon, avec tout ça, il est bientôt 18h30, et je ne sais toujours pas comment va se dérouler la suite. Je ferme les yeux un court instant et me concentre un peu. Il faut que je retrouve les écrits de leur histoire à Giacomo et lui. Je les ai gardés, je le sais. Partant de là, je verrai comment arranger les choses. J'ai assez d'imagination pour ça. Et soudain, je réalise une chose, très important, d'ordre pratique : Synalco, où va-t-il aller en attendant ?

J'ouvre les yeux et me tourne vers lui, et là mon cœur manque de s'arrêter : Synalco n'est plus là !!

Je suffoque tant ça me surprend. J'ai une bouffée de chaleur qui me submerge et je sens mon cœur battre très vite. Puis, je me calme, presque d'un seul coup. J'ai rêvé toute éveillée, je ne vois que ça pour expliquer ce qui vient de se passer, les quarante-cinq dernières minutes de ma vie ont juste été extraordinaires !

Je me cale bien dans mon siège et prend une profonde inspiration, je redémarre et roule doucement dans le village, la tête pleine de pensées, leur cœur assaillit par une multitude de ressentis.

Je me dis que j'ai vraiment un gros problème si ça commence comme ça ...

Je conduis distraitement jusqu'au feu rouge au croisement principal. Je m'arrête.

Du coup, je fais quoi ? Je modifie l'histoire quand même ? C'est dingue, je me pose la question de savoir si oui ou non, je dois faire dans la réalité ce que je me suis imaginé se passer dans mon imagination !!

Le feu passe au vert et je repars, toujours dans mes pensées, à me parler tantôt à voix haute, tantôt à me figurer les choses dans ma tête. Je regarde à ma droite, le siège passager est vraiment vide.

Soudain, je vois mon sac à main posé justement là. En fait, je deviens folle, s'il y avait vraiment eu quelqu'un ici, il se serait assis dessus ? Non, sérieusement ?

Je termine mon trajet, en souriant mais inquiète tout de même pour ma santé mentale.

Je me gare sur le parking derrière le bâtiment, à la place habituelle. Mon homme n'est pas encore rentré. Tant mieux, il faut que je me remette de mes émotions... Je m'attèle aux gestes du quotidien habituels comme vérifier le courrier. Aujourd'hui il n'y a que des pubs.

Je monte les trois volées de marches et arrive devant la porte de mon appartement. A chaque fois que je passe une étape, j'avoue que je m'attends à le revoir. Mais non, personne sur le parking, ni devant ma porte. Je suis presque déçue...

Je rentre et ma petite chatte m'accueille en miaulant un peu, en me sentant, et pour ça je lui tends mes mains. Le contrôle olfactif passé, je me mets à l'aise. Etape 1 : Je range ma veste et mon sac à déjeuner. Ah oui, je sors aussi mon portable de mon sac à main, je ne suis pas du tout accro aux réseaux sociaux, non, c'est juste que je regarde beaucoup de mangas et je lis mes mails, eh oui !

Encore un petit effort, je range ici et là des papiers, les pubs de la boite aux lettres, je nettoie la litière et je remets des croquettes dans la petite gamelle de mon chat. Bon, maintenant, étape 2 : je m'affale sur le canapé et mets la télévision en sourdine. Mon chat reçoit le signal et vient se lover sur mes jambes pendant que je prends mon portable. J'ouvre la pochette de protection et là je reste coite : l'écran est fendu !

Je n'arrive plus à respirer, je regarde mon téléphone sans rien comprendre ... comment il a pu être abîmé ?? Il n'y avait rien avant, je le sais, je suis partie du boulot, il était encore intact !!

C'est quoi ce délire ? Je ne l'ai pas fait tomber, je l'avais bien dans mon sac à main, qui était toujours posé sur ...

Oh mon Dieu ... je me redresse, et mon chat surpris décampe. Mon sac à main était sur le siège passager ... là où ... non, je ne peux pas le croire ... je déglutis, là où Synalco s'est assis ... et c'est donc lui qui aurait ... ce serait à cause de lui que ...

Ma tête tourne, un vertige me prends, violent, je manque d'air. Non, non, non et non. Je divague, ce-n'est-pas-possible !!!

J'en suis là de mon conflit intérieur quand la porte d'entrée s'ouvre : c'est Angus, mon homme...

- Coucou Choupinoute ! Me dit-il en souriant.

- Coucou Choupinou, je lui réponds en lui rendant son sourire. Je fais comme si de rien n'était. Comment lui dire ce qui vient de m'arriver ? Je me lève et le suis un peu partout dans notre appartement comme je le fais souvent. On discute de nos journées, de tout de rien, qu'il faut refaire des courses, la déclaration d'impôt, bref, je fais en sorte de m'occuper aussi l'esprit.

Il a une sortie tout à l'heure et donc, je serai seule. J'en profiterai pour réfléchir et ... et je ne sais pas trop en fait. Chercher mes écrits sur Synalco et Giacomo ?

- Tu m'écoutes ?

Soudain la voix de mon cher et tendre me parvient et je sursaute :

- Heu ? Oui ?

- J'ai finalement pu joindre ma grand-mère et j'ai confirmé qu'on allait à son anniversaire.

- Ah oui, parfait.

Je me rassois sur le canapé et prends mon portable. En l'ouvrant je revois la fissure qui barre l'écran avec une belle diagonale. J'ai une petite boule au ventre d'un coup. Mince alors, il faut que je lui dise, je n'ai pas le choix.

- Heu ... chou, mauvaise nouvelle. L'écran de mon portable est fendu.

Je lui tends l'objet, et il regarde en haussant les sourcils.

- Ah ?...

Il manipule mon portable un peu. Et me le rend.

-Apparemment la fonction tactile de l'écran marche bien. On va regarder pour faire remplacer juste la vitre... Je m'en occupe ce week-end.

- OK, merci. J'ai dû poser un truc lourd dessus, dis-je l'air de rien...

- Mmm, normalement on peut le démonter, ... on verra ça... je dois me préparer Choupinoute...

- Ok, pas de soucis, tant que je peux appeler et envoyer des sms, ... ce n'est pas urgent.

Je minaude un peu et il se penche pour m'embrasser :

-Merci ! Je répète.

Voilà une bonne chose de faite. Je n'aime pas lui cacher des choses, notre couple fonctionne très bien et surtout grâce à une excellente communication, je n'ai pas menti, donc tout va bien...

Quand je me retrouve seule, je me mets à chercher mon dossier « Top Secret » que je retrouve très vite. C'est une pochette en carton à rabat. Elle est remplie de feuilles volantes sur lesquelles j'ai écrit une multitude d'histoires. C'est toujours plus ou moins la même chose : des romances entre deux garçons. Je n'écris pas de nouvelles sur des couples hétéros, je trouve que les personnages féminins sont difficiles à cerner, à décrire, à imaginer. Donc je m'en tiens au style Yaoi, comme on dit dans le jargon des romanciers.

A présent, je dois retrouver celle qui m'intéresse précisément. Et surtout, le fameux passage où je fais disparaître Giacomo... Honnêtement je ne m'en souviens plus. Je feuillette les piles de papiers. J'ai apparemment classé un peu l'ensemble au moment où j'ai rangé cette pochette il y a quelques années, je lis en diagonale et je repère ici et là le prénom de Synalco associé à d'autres. Donc, c'est vrai, j'ai vraiment fait ça : j'ai fait disparaître Giacomo.

Je me rends compte que je me suis plongée dans ma lecture et que le temps passe, sans retrouver le fameux passage.

Soudain, mon téléphone portable sonne, appel inconnu. Habituellement je ne prends pas la communication, mais là je décroche :

- Allo ?

- Alors, tu trouves ?

Je ne respire plus. Quelques secondes passent ...

- Tu es toujours là ? Respire ... ne reste pas en apnée.

La voix de Synalco dans mon téléphone ... je ferme les yeux, et prends une grande inspiration et expire.

- Co-comment tu as eu mon numéro ? Je balbutie.

- Tu veux vraiment le savoir ?

- N-Non, finalement, non. Et pour répondre à ta question, non.

- « Non », tu ne trouves pas l'histoire ou « Non » tu ne trouves pas le moment où il meurt ?

Il est franc. Mais sa voix est douce, je ne ressens pas de reproche.

- J'ai trouvé mes écrits, je dois feuilleter et lire pour le retrouver en fait...

- Entendu. Je ne vais pas te déranger plus longtemps, tu es bien assez troublée comme ça... Ajoute-t-il avec un léger sourire dans la voix.

- Oui, merci.

Je souffle et j'hésite à lui demander si tout cela est vraiment réel. Mais il le sait déjà ...

- Oui ? Dis-moi ?

- Est-ce que tout ça se passe pour de vrai ? ... Je me demande juste si je ne deviens pas folle.

- Je comprends, c'est normal...

- Et du coup ? ... Ça l'est ?

- D'après toi ?

- Je ne suis pas douée pour les devinettes ...

- Je sais ...

Je l'entends qui sourit encore et il ajoute :

- Prends les choses comme elles viennent, ne réfléchis pas trop.

- OK ... je regarde pour l'histoire alors.

- Fais-vite, s'il te plaît ...

Soudain, je le sens inquiet, sa voix tremble, même son souffle est saccadé. Et je ne sais pas exactement comment, c'est ça le plus incroyable, mais je ressens tout ce qu'il ressent.

- Je me dépêche, ne t'en fais pas ...

- Merci, ...

- Comment je fais pour te joindre ?

- Pense juste à moi.

- D'accord.

J'ai la tête qui tourne et je me sens lasse d'un seul coup. Je regarde toutes les feuilles noircies de mon écriture étalées devant moi. Il y a des passages où je mentionne Giacomo et puis, soudain, une nouvelle histoire commence en disant que Gio est mort depuis 3 ans. Curieux. Je me concentre pour essayer de me souvenir le motif de ce changement. Je n'y arrive pas et finalement, je me dis qu'il faut que je reprenne un plus en amont et que je « zappe » complétement ce passage, et tout ce qui suit. Cela implique forcément de faire disparaître d'autres personnages, et là, j'ai une frayeur : et si en faisant cela, d'autres personnages apparaissaient et demandaient aussi des modifications quant à leur propre histoire ? Je déglutis, non, on va se calmer et se dire que ce n'est que Synalco qui le demande ... enfin, j'espère...

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