Une nuit

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Il a suffit d'une nuit. Les pensées se sont bousculées, les rêves se sont effrités. Deux années passées à imaginer, à croire en l'irréalisable, à s'empêcher d'aimer. C'est long, tu sais ? Je ne te comprends pas. Je ne t'ai jamais compris. Qui es-tu, au fond ? Un mirage, une ombre qui flotte autour de moi, qui me fuis quand je la suis, qui me suis quand la fuis. Tout ce temps passé à t'observer, à nier. Non, je n'ai jamais avoué. À personne. Toute les fois où on m'a posé la question, cette fameuse question, j'ai répondu par la négative. Une fois, j'ai donné un prénom. Ce n'était pas le tien. C'était seulement celui d'un visage, un beau visage, un rêve de plus qui s'embrase et se consume. Je leur ai dit de se taire, je ne voulais pas que tu saches, que tu croies que quelqu'un d'autre avait sa place dans mon esprit.

Mais désormais, tout est fini. Je crois que c'est pour de bon cette fois. Plus jamais je ne reverrai ton visage, comme je n'ai plus jamais revu le sien. Toutes ces heures passées à t'observer -sans jamais me l'avouer- parties en fumées. Certains m'en voudront de ne pas être au courant. Mais personne ne sait. Je ne veux pas qu'on me pose de questions. Je veux juste oublier, t'oublier. Te garder dans un coin de ma tête, me rappeler que j'ai été bête, que tu as été bête. Peut-être qu'on se recroisera un jour. Je planterai mes yeux dans les tiens, je sourirai, et tu détourneras le regard, comme toujours. Tu m'auras sûrement oubliée.

Je sais que tu m'as remarquée. Je sais que tu n'aimais pas mes regards, je sais que c'est pour cette raison que tu t'es éloigné. Ça m'a fait mal tu sais. Pas autant que la fois précédente, non. Parce que je ne pensais pas à toi quand je ne te voyais pas. Je me le suis interdit. Je ne voulais plus souffrir. C'est trop douloureux. Je te parlais et tu ne me répondais pas. Comme un simple fantôme sans aucune importance à tes yeux. Je suis sûre que tu le faisais exprès. Ou alors tu étais dans la lune, à des années lumière de ce qu'on pouvait raconter. Dans un monde à part, un monde où nous n'existions pas et où tu n'étais plus ce garçon stupide. Si seulement...

Te souviens-tu de cette matinée, ce mercredi d'hiver, lorsque tu t'es assis derrière le piano et que tu as laissé tes doigts courir sur les touches poussiéreuses ? À ce moment-là, je n'ai pas cessé de te dévorer des yeux. J'ai pleuré, tu sais. Pleuré de cette mélodie que je connaissais par cœur et que j'avais l'impression d'écouter pour la toute première fois, pleuré de te savoir inaccessible, pleuré d'être aussi bête. Et puis il y avait elle à mes côtés... Je savais qu'elle t'aimait, j'ai remarqué qu'elle te voulait. Je me sentais stupide d'acquiescer bêtement lorsqu'elle vantait ton talent. Comme si moi, je n'avais rien ressenti. J'aurai voulu lui hurler qu'elle ne t'aurait jamais. J'aurais voulu lui dire que je la détestais. Juste pour ça.

Tu sais comment s'appelle ce sentiment ? C'est de la jalousie. Pourquoi étais-je jalouse ? Je ne t'aimais pas. Non, je ne t'aimais pas. Je ne devais pas t'aimer. Et pourtant...

Pendant plusieurs mois, tu m'as ignorée. Tous ces repas passés ensemble, pas même un regard dans ma direction. Même lorsque que tu étais assis à côté de moi pendant une heure entière. Tu ne prononçais plus jamais mon nom. Si j'avais été seule quelque part avec toi, tu ne m'aurais pas regardée. Que s'était-il passé ? Je suis si peu intéressante que ça ? Pourquoi a-t-il fallu que tu t'éloignes tant de moi ? Alors j'ai appliqué la règle d'or : feindre l'indifférence. J'ai enfermé mon cœur à double, triple, quadruple tours. Je n'essayais plus de te parler, je ne t'observais qu'à la dérobée, je ne te demandais plus rien. Et petit à petit, tu es redevenu comme avant. J'étais de nouveau incluse dans tes conversations. Jamais lorsque nous étions seuls, oh non, surtout pas. C'aurait été bien trop beau.

Je me souviens encore du tout début. Cette fois où tu étais assis derrière moi. Les mots coulaient tout seul, sans effort, sans gène, sans rien pour nous arrêter. C'est la première, la seule fois où tu ne cachais pas derrière cette façade. J'aurais aimé que le temps s'étale à l'infini...

Je me sens tellement bête d'écrire tous ces mots après deux années passées à ignorer. Ignorer ce sentiment indescriptible qui me ronge. N'était-ce pas justement cette vérité que je voulais cacher ? Je ne pourrais jamais plus admirer ton sourire, ce grain de beauté au coin de ta bouche, les mèches de tes cheveux bouclés qui collent à ton cou... Je n'aurai pas dû m'emballer. Je savais que c'était inutile. J'ai vu ton comportement avec elle, j'ai su que tu étais plus stupide que dans n'importe quelle situation.

Je ne te connais pas. C'est ça la différence. Je ne me noie pas inutilement dans le mensonge. Je sais que tu es différent de tous, que personne ne sait ce qu'il se passe au fond de ton crâne et que personne ne le saura jamais. Est-ce que tu seras capable un jour d'ouvrir ton cœur ? D'abandonner ces blagues et ce rire débiles qui te collent à la peau ?

Parfois, j'aimerais n'exister pour personne. Simplement planer autour du monde, ne pas me soucier de cette solitude contre laquelle je lutte chaque jour. Il fut un temps où je m'enfermais avec ce bouclier autour de moi. Je ne voulais plus que quiconque m'approche. Je ne voulais plus entendre les gens me dire je t'aime et m'abandonner par la suite. J'étais sortie de la bulle de confort que je connaissais depuis toujours. Alors j'ai connu la souffrance. La souffrance de tout avoir à reprocher à tout le monde mais de devoir me taire. La souffrance de ne plus avoir la force d'être présente, de me fondre dans la masse et de passer des heures et des heures seule dans le noir. La souffrance d'être consciente de cette souffrance. C'est infime, n'est-ce pas ? C'est lâche de penser que c'était de la souffrance. C'était au fond de mon cœur mais ça n'avait pas lieu d'être. J'ai noirci des pages et des pages de mots que personne ne lira jamais. Parce que personne ne sait ce qu'il se passe là-haut. J'en ai marre de faire semblant. J'en ai marre de m'en vouloir lorsque je suis heureuse et que je me fiche des problèmes qu'on me raconte. Je veux être un peu plus libre. Je ne veux plus être désolée pour les autres et mentir à tout le monde.

Je crois que je ne me l'avouerai jamais. Je ne l'avoue toujours pas. Si on me pose la question, je réponds non, je le sais. Parce que je n'accepte pas de m'être laissée emporter. Je ne veux plus que ça m'arrive, je ne supporte plus d'être stupide.

*

J’ai fait un rêve. C’était beau. Comme un dernier adieu. Je t’ai regardé t’éloigner. Je voulais que tu te retournes, que tu vois cette flamme briller dans mes yeux. Mais tu as continué. Je savais que c’était la dernière fois. Alors je n’ai pas bougé. J’ai oublié le monde et j’ai laissé un petit bout de moi s’en aller à tes côtés, pour toujours et à jamais.

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